ESG – Une mine d’or pour la place financière suisse

Florence Anglès, Capco Genève

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Présente dès la première heure, la Suisse peut bénéficier d’un avantage concurrentiel grâce à la qualité reconnue de son secteur financier.

Du développement durable à la Responsabilité Sociale des Entreprises

Notre société évolue et la croissance telle que nous l’avons connu n’est plus soutenable, nous avons pris conscience que nous vivons dans un monde où les ressources sont limitées. «Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est une nouvelle ère de croissance économique, une croissance vigoureuse et, en même temps, socialement et environnementalement durable».

Ainsi, la croissance n’est soutenable que si elle préserve le capital naturel et intègre au-delà de son volet économique, les dimensions environnementale et sociale. Il s’agit du développement durable, «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs» (rapport Brundtland (1987)).

Ce n’est que dans les années 50 que le terme RSE
apparaît aux USA dans un contexte de mouvements sociaux.

C’est un nouveau projet de société prôné par les pouvoirs publics et qui se décline au niveau des entreprises au travers de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). 

La RSE n’est pas un concept récent, cette notion est venue d’outre Atlantique avec une forte connotation religieuse d’inspiration protestante datant des années 20. L’homme d’affaires prospère doit également redonner à la société, une sorte de contrat implicite, le «trusteeship». Ce n’est que dans les années 50 que le terme RSE apparaît aux USA dans un contexte de mouvements sociaux. Elle se propage progressivement au monde académique avec son père fondateur Howard R. Bowen, économiste d’inspiration keynésienne, célèbre pour son ouvrage «Social Responsibilities of the Businessman». Selon lui, «la responsabilité sociale de l’entreprise renvoie à l’obligation pour les hommes d’affaires de réaliser les politiques, de prendre des décisions et de suivre des lignes de conduite répondant aux objectifs et aux valeurs qui sont considérés comme désirables dans notre société». La maximisation du profit pour l’actionnaire n’est plus l’unique objectif du dirigeant, qui vise également la prise en compte des parties prenantes, peut-être un moyen de lutter contre la montée du communisme de l’époque.

La RSE est ainsi intimement liée à la notion de gouvernance d’entreprise, de la séparation des pouvoirs entre actionnaires et dirigeant, du rôle de ce dernier ainsi que de sa déontologie. Cela a donné naissance à une discipline de gestion reposant sur l’étude des relations entre l’entreprise et la société, le champ académique «Business and Society».

Du durable aussi dans la finance

La durabilité gagne peu à peu du terrain et touche l’ensemble de l’économie. Comme la composante intergénérationnelle du développement durable met l'accent sur l'objectif d'un horizon à long terme, il s’avère nécessaire de développer de nouveaux instruments et mécanismes de financement de l'économie. La finance et la durabilité s’unissent pour donner naissance à la finance dite durable, c’est-à-dire une finance plus responsable en essayant de gommer au maximum l’asymétrie d’information et l’aléa moral. La transparence devient alors la règle du jeu. 

Les investissements durables ont bondi de 62% en un an
et représentent un tiers de l'ensemble des actifs gérés en Suisse.

La finance durable comprend selon le Global Sustainable Investment Alliance 7 grandes stratégies depuis l’exclusion jusqu’à l’impact investing. Comme l’Europe est l’épicentre de cette finance, la Commission européenne s’est engagée en faveur d’une économie pleinement durable en Europe. Connu sous le nom de Green Deal européen et appelé à devenir le plus grand projet européen sur plusieurs décennies, cette initiative vise à faire du vieux continent le premier continent neutre pour le climat d’ici à 2050. Pour y parvenir, le plan d’investissement du Green Deal mobilisera au moins 1000 milliards d’euros au cours de la prochaine décennie, en utilisant les marchés financiers comme intermédiaire. Ainsi, le financement d’une croissance durable constitue un volet clé du pacte vert européen et le plan d’action de 2018 de la Commission européenne est l’épine dorsale législative. Des modifications des réglementations existantes et de nouvelles réglementations sont nécessaires pour définir un vocabulaire et des règles communes.

La Suisse: pionnière dans la finance durable

La Suisse de son côté n’est pas en reste. Pionnière de la première heure dans ce domaine, elle peut bénéficier d’un avantage concurrentiel grâce à la qualité reconnue de son secteur financier et au développement durable fortement ancré dans sa constitution. Selon l’art, 73 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse: «La Confédération et les cantons œuvrent à l’établissement d’un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l’être humain.» 

Considérée au départ comme un secteur de niche, certaines grandes institutions financières suisses se sont positionnées dessus depuis de nombreuses années dans l'attente d'un plus grand engouement des clients privés et institutionnels pour ce type d'investissement. Selon le Swiss Sustainable Investment Market Study 2020, la taille des investissements durables en 2019 est d'environ 1'163,3 milliards de francs, soit une augmentation de 62% par rapport à l'année précédente. Ce montant correspond à 1/3 de l'ensemble des actifs gérés en Suisse.

Développement des investissements durables en Suisse (en milliards de francs)

Source: «Swiss Sustainable Investment Market Study 2020»

 

Toutes les différentes approches ont augmenté en volume. L'appétit des investisseurs privés a également crû, ils sont désormais plus ouverts à la discussion. La performance de l'investissement durable n’est plus au cœur du débat et même le contexte actuel marqué par le COVID-19 témoigne de sa résilience. La récente crise pandémique pourrait même être un tournant pour l'investissement ESG et plus généralement pour la finance durable. Cependant, il est difficile pour les banques d'utiliser une approche standard car les intérêts et les préférences des clients privés peuvent varier d'une personne à l'autre. Une approche sur mesure peut être le meilleur moyen de répondre aux attentes des clients.

Performance de l'indice MSCI ACWI des leaders ESG par rapport à l'indice MSCI ACWI

Source: MSCI
 
De la réglementation à l’autoréglementation

Du point de vue réglementaire, la Suisse suit de près l’évolution de la réglementation dans l’UE mais elle a décidé de prendre une autre direction, faisant appel au volontarisme: l’autoréglementation ou le «soft law» en invoquant le principe de subsidiarité de l’action publique et de la primauté de solution venant du secteur privé. Certaines initiatives volontaires existent déjà en Suisse, par exemple les UN PRI (les Principes pour l'Investissement Responsable) et les Principes pour une banque responsable de l’UNEP FI qui appellent à aligner le secteur bancaire sur les objectifs de Développement Durable des Nations Unies et de l'Accord de Paris sur le climat. Certaines des grandes banques suisses (Credit Suisse, UBS, Julius Baer, J. Safra Sarasin et Pictet) ont adhéré à ces principes bancaires.

Les banques et les gérants d'actifs ont été très proactifs.

Toutefois, la situation évolue rapidement en Suisse. En juin de cette année, le Conseil fédéral a publié un rapport d'évaluation des mesures possibles d'optimisation du cadre réglementaire. La plupart des mesures ne nécessitent pas l'intervention de la Confédération mais certaines doivent être examinées d'ici la fin de l'année, notamment la transparence et les obligations de reporting sur les informations ESG, les obligations fiduciaires et le suivi des risques climatiques par la Finma. Dans le même temps, les banques et les gérants d'actifs ont été très proactifs. Ainsi, l'Association suisse des banquiers (ASB) a élaboré des lignes directrices pour l'intégration des considérations ESG dans le processus de conseil pour les clients privés et la Swiss Funds & Asset Management Association (SFAMA) en collaboration avec Swiss Sustainable Finance a élaboré des recommandations pour les gérants d'actifs afin d'inclure les critères de durabilité dans leurs processus d’investissement.

Pionnière dans le domaine, la Suisse bénéficie de tous les atouts pour voir prospérer et rayonner encore plus la finance durable. Même si d'excellentes conditions existent déjà pour son développement, certains défis subsistent encore comme la sensibilisation dans les banques, la formation du personnel et la communication aux clients... Pour renforcer son positionnement, la Suisse a décidé de suivre une approche non contraignante. Cependant, pour être efficace, cela peut exiger que le régulateur et les associations financières travaillent en étroite collaboration. Sous ces conditions, «la Suisse est en mesure de devenir un pôle international de premier plan en matière de finance durable. La finance durable est une opportunité à saisir pour notre place financière!» (ASB).

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