Au début de l’été 2024, HarbourVest avait annoncé le renforcement de sa présence en Suisse avec l’ouverture d’un bureau à Zurich dirigé par Simon Jennings. Quel est l’intérêt des investisseurs actuellement pour les placements dans les marchés privés et quels sont les segments qui sont les plus recherchés par les investisseurs helvétiques? Basé à Boston, John M. Toomey, le directeur (CEO) de HarbourVest, fait le point sur les tendances des marchés à l’occasion d’un passage en Suisse.
Comment évaluez-vous de façon générale l’environnement de marché actuel pour les marchés privés comparé à d’autres investissements tels que les actions?
Sur le long terme, nous voyons toujours la possibilité d’obtenir des rendements excédentaires en investissant dans les marchés privés. Tout au long de 2024, la performance des marchés d’actions a été portée par celle d’un nombre restreint de titres de sociétés, principalement les valeurs technologiques. Et ces actions avaient de surcroît beaucoup de corrélation entre elles.
A cet égard, un des atouts importants des marchés privés est aussi leur aspect de diversification. Investir dans les marchés privés permet de se diversifier en dehors des marchés des actions cotées en bourse. Le simple fait que les placements dans les marchés privés apportent un élément de décorrélation par rapport aux marchés boursiers a en soi déjà de la valeur – indépendamment même de la performance réalisée.
Un autre aspect qu’il faut garder à l’esprit est que beaucoup d’entreprises cotées en bourse qui ont eu un historique de performance très positif au cours des 10 ou 20 dernières années ont été détenues en mains privées à leurs débuts. Il suffit de penser à des exemples de titres tels que Google, Facebook ou toutes sortes d’autres valeurs de la tech.
«Nous mettons à disposition des solutions d’investissement de qualité institutionnelle à une base de clientèle toujours plus large.»
Les actions de la «Big Tech» ont subi une importante correction durant le 1er trimestre 2025 (ndlr: avant même la forte baisse de début avril). En outre, le nombre d’IPO reste faible – surtout en Europe. La possibilité de réaliser des exits par le biais d’IPO constitue-t-elle un aspect décisif pour les marchés privés – ou s’agit-il seulement d’un facteur parmi d’autres?
Le fait qu’il y ait des IPO est en soi une aide. Toutefois, les entrées en bourse ne constituent qu’une forme d’exits parmi d’autres pour les marchés privés. Il est possible revendre une participation à d’autres investisseurs ou à d’autres fonds dans le cadre de transactions secondaires. Quand le marché des IPO est dynamique, c’est en soi positif. Lorsqu’il y a moins d’IPO, il y a toutefois aussi d’autres moyens de revendre des participations.
«Le simple fait que les placements dans les marchés privés apportent un élément de décorrélation par rapport aux marchés boursiers a en soi déjà de la valeur – indépendamment même de la performance réalisée.»
Observez-vous actuellement de grandes différences d’attitude concernant les marchés privés chez les investisseurs basés aux Etats-Unis et en Europe, en particulier en Suisse?
HarbourVest est une société active sur le plan global depuis longtemps, ce qui nous donne la possibilité de comparer les différentes régions. S’agissant de la Suisse, les investisseurs sont très constants dans leur approche vis-à-vis des marchés privés. Les investisseurs institutionnels sont un peu plus prudents qu’ailleurs mais aussi très conséquents une fois qu’ils ont décidé de s’intéresser à une classe d’actifs. Il y a aussi un biais envers les aspects de durabilité qui est plus important que dans certaines autres régions du monde.
S’agissant du type d’investisseurs, l’accent est particulièrement placé sur les besoins de la gestion de fortune. Il y a aussi beaucoup de family offices qui sont très intéressés aux placements privés, tout comme c’est le cas pour les personnes fortunées et même celles qui font partie de la catégorie dite «core affluent». Les acteurs de la banque privée et de la gestion de fortune sont très importants pour nous en Suisse.
Que pensez-vous de la tendance de vouloir démocratiser davantage les marchés privés, en permettant d’y avoir accès via des seuils d’entrée sensiblement plus bas qu’auparavant?
Notre mission est de mettre à disposition les placements privés à la disposition des investisseurs – pour autant, nous ne nous adressons pas directement aux clients finaux. Nous mettons à disposition des solutions d’investissement de qualité institutionnelle à une base de clientèle toujours plus large. La distribution s’effectue via des partenariats ou via d’autres sociétés qui se chargent des aspects de relation avec les clients tels que le fait de devoir connaître son client («KYC»), de vérifier que les produits soient adaptés à leur profil, etc.
«En Suisse, les investisseurs institutionnels sont un peu plus prudents qu’ailleurs mais aussi très conséquents une fois qu’ils ont décidé de s’intéresser à une classe d’actifs.»
Les infrastructures sont une thématique qui a continuellement gagné en importance ces dernières années. Est-ce le cas aussi chez HarbourVest?
J’observe que la nature des placements que l’on rattache à la thématique des infrastructures a évolué. Auparavant, quand on parlait d’infrastructures, on pensait d’abord à des placements tels que des péages, qui généraient des revenus très prévisibles et qui avaient pour but de stabiliser les portefeuilles.
Maintenant, les infrastructures concernent aussi des domaines plus technologiques tels que exploitants de centre de données, les sociétés actives dans les énergies propres, etc. Ces sociétés sont capables de générer des flux de cash-flow réguliers et des rendements attrayants tout en ayant une croissance élevée.
En Suisse, les caisses de pension peuvent théoriquement allouer jusqu’à 10% de leurs actifs à la seule thématique des infrastructures. Utilisent-elles cette possibilité?
Les infrastructures sont clairement un marché en croissance en Suisse - en comparaison, le capital-investissement est un segment déjà nettement plus mûr. Beaucoup d’investisseurs institutionnels sont intéressés par la régularité des rendements et la prévisibilité des placements en infrastructures, ce qui devrait soutenir leur adoption par les investisseurs à l’avenir.