L’Europe va reprendre des couleurs

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«En France tout le monde est dans les starting blocks pour retourner au café», se plait à expliquer Laurent Denize d’Oddo BHF.

Optimiste, Laurent Denize l’est raisonnablement. Il attend un fort rebond de l’activité en Europe, notamment en France et en Italie, dès que les restrictions associées à la pandémie seront levées. Anticiper reste toutefois difficile car on ne connait ni les dates de fin des confinements, ni l’impact qu’auront les nouveaux variants. Mais les campagnes de vaccination vont bon train et, compte tenu de la part déjà immunisée, seuls 30% de la population devrait être vaccinée pour assurer une protection immunitaire collective. Avec une croissance de son PIB de l’ordre de 5% en 2021, l’Europe devrait reprendre quelques couleurs.

Vous prévoyez un fort rebond de la croissance en général, plus particulièrement en France et en Italie. Pour quelles raisons?

Le rebond est déjà perceptible surtout en France, en Italie et en Espagne parce que ce sont les pays où les mesures ont été les plus fortes et dont l’économie a reculé le plus. Notez qu’en France, la consommation a déjà marqué une hausse de 23% en décembre. Partout l’épargne s’est accumulée:  1500 milliards de dollars aux Etats-Unis, plus de 100 milliards en France. Il est tout à fait probable que cette épargne soit largement dépensée dès que possible et ruisselle, accélérant une hausse de la consommation et une redynamisation de l’économie.

A quel rythme?

Difficile d’évaluer une trajectoire précise car le premier trimestre reste flou en raison des variants du virus dont l’impact rend l’anticipation difficile. Mais la vaccination de masse progresse et il suffirait que 30% de la population soit inoculée pour atteindre un début d’immunité collective compte tenu de l’existence de ceux ont déjà été immunisés par contraction du virus. La logistique s’est mise en place et plus de 10% de la population a déjà été vaccinée aux Etats-Unis. L’intégralité de l’épargne, accumulée au cours de la crise, ne sera pas dépensée d’un coup (et l’output gap ne sera pas comblé) mais il n’y a aucun doute sur l’accélération de demande qui se produira dès la réouverture. Notamment sur les services de type hôtel ou restauration. En France, tout le monde est dans les starting blocks pour retourner au café. Il faudra toutefois un certain temps pour se débarrasser des masques et rappelons que la distanciation sociale peut réduire la productivité. N’oublions pas non plus que de nouvelles habitudes de consommation se sont mises en place au détriment notamment du commerce classique. En tout état de cause, la reprise sera au rendez-vous.

En France, il y a encore peu, 54% de la population
était réticente au vaccin. Désormais 54% se disent prêts.
Vos scenarios sont optimistes mais que se passerait-il si les campagnes de vaccination ne portaient pas leurs fruits?

Le risque me parait faible. En France, il y a encore peu, 54% de la population était réticente au vaccin. Désormais 54% se disent prêts. Entre un début d’efficacité prouvée (en particulier par l’expérience israélienne) et un ras-le bol généralisé, la vaccination de masse suivra son cours.

Quels sont à votre sens les risques les plus importants de 2021?

L’un des risques les plus importants concerne la deuxième partie du plan Biden. Rappelons qu’il s’agit de 1900 milliards en tout, soit 10% du PIB, mais que seuls 1000 milliards environ font l’objet d’un consensus. L’une des difficultés va être le financement de ce plan. Si la croissance bénéficiaire des entreprises se situe autour de 30% comme espéré, la hausse des taxes (dont celles sur les sociétés) n’impacterait négativement qu’à hauteur de 8%. Si, par contre, si cette croissance se limitait à 10%, ce serait un vrai choc de marché.

Quelles zones géographiques vous paraissent-elles particulièrement attrayantes et pour quelles raisons?

Le dollar étant en phase baissière avec une accélération des déficits jumeaux, on peut attendre une réallocation des flux de capitaux vers l’Europe et les émergents, notamment l’Asie du sud-est qui prend son indépendance avec l’accord de libre-échange signé en janvier. Le bénéfice de cette réallocation ira vraisemblablement aux pays plus cycliques comme Taiwan ou la Corée du Sud.

Que se passerait-il si les banques centrales, en particulier la Fed, commettaient des erreurs tactiques (similaires, par exemple, au tapering de 2013)?

Ce serait une catastrophe mais de telles erreurs de politique monétaire sont devenues très improbables. Il ne sera pas question de modifier la trajectoire adoptée. Les achats peuvent être diminués ou accélérés en fonction de l’inflation mais comme l’a dit autrefois Janet Yellen «je suis prête à regarder l’inflation dans le blanc des yeux». Quant à Jerome Powell, il reste très keynésien.

Il est beaucoup question de rotation mais quels sont vraiment les secteurs qui vont reprendre à moyen-long terme?

Les secteurs cycliques, l’industrie, l’automobile et pourquoi pas les banques sur lesquelles il faudrait un peu moins de régulation (en particulier sur la fiscalité des dividendes) et peu plus d’unité européenne. Le CEO du groupe Volkswagen, Herbert Diess, déclarait il y a peu qu’il attendait une forte reprise en milieu d’année. Nous allons sortir d’un type de crise jamais vu et le retournement sera lui-aussi d’une ampleur inédite.

Ce qui est important est le changement d’orientation
que l’on observe, en Allemagne en particulier.
Comment exploiter les tendances structurelles, sans miser sur des valeurs déjà survalorisées?

Il ne s’agit pas de parier sur Tesla ou sur d’autres titres dont on évalue mal la valeur par l’analyse fondamentale mais de capturer les méga-trends par une analyse systématique des données. A ce propos, notre équipe de recherche utilise le traitement du langage naturel pour identifier les sous-thèmes puis les sociétés qui vont porter les marchés. Bien évidemment, ces sous-thèmes évoluent dans le temps. Rappelons que 1500 à 2000 milliards de dollars seront dépensés chaque année sur la transition climatique et qu’il s’agira là d’investissements coordonnés sur un même thème aussi bien en Chine, qu’en France ou aux Etats-Unis. Les opportunités seront colossales et il est clair que les PME en bénéficieront le plus ce qui nous mène à favoriser les small caps au niveau mondial. Nous avons un certain savoir-faire dans ce domaine et j’aimerais rappeler ici qu’Oddo a notamment été responsable de l’IPO de Moderna.

Il est beaucoup question de poussées inflationnistes mais quelle chance ont-elles de se produire dans un univers de chômage élevé et de taux nuls?

Nous n’en sommes pas encore là. Ce qui est important est le changement d’orientation que l’on observe, en Allemagne en particulier où l’austérité n’est plus la solution. Le seul moyen de rembourser la dette est la croissance. Il s’agit donc d’augmenter les investissements et non plus de réduire les coûts. L’acceptation de l’Allemagne de soutenir le développement de l’Europe signifie que la cohésion se renforce et que les primes de risque diminueront en Europe dans une optique de croissance retrouvée. Mais l’inflation va grimper à court terme aidée par des effets de base et ce fort rebond de la croissance.

Et quel avenir pour le Royaume-Uni post-Brexit?

Je reste optimiste. Il est difficile de prendre ses marques dans cette nouvelle relation mais la croissance britannique sera la même qu’en Europe une fois passée la période noire du variant. Le Brexit a heurté la croissance du pays de façon sensible mais l’accord a minima pose les bases d’une reconstruction et nous repondérons le Royaume-Uni de manière significative.

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