Tensions commerciales et incertitudes sur les droits de douane imposés par les Etats-Unis, pause dans l’assouplissement de la politique monétaire de la Fed et impact de l’annonce d’un programme d’investissements géant en Allemagne sur les taux d’intérêt en Europe: les sujets d’actualités ne manquent pas sur le plan macroéconomique actuellement. Le point sur la situation avec Mabrouk Chetouane, directeur de la stratégie de marchés internationaux, chez Natixis Investment Managers Solutions, qui s’exprimait à l’occasion d’une journée de présentation destinée aux médias européens qui s’est tenue fin mars à Paris.
Il est selon vous aujourd’hui plus important que jamais de distinguer le «bruit» du «signal». Qu’est-ce qui relève du bruit ou au contraire du signal dans l’environnement économique actuel?
Le bruit, ce sont notamment les multiples annonces faites par Donald Trump et sa manière de casser les règles existantes du multilatéralisme ou de les remettre sans cesse en question. C’est le cas pour les règles de l’OMC en matière de commerce international mais aussi dans d’autres domaines. Les effets de sidération et de saturation de l’espace informationnel déroutent et perturbent les investisseurs.
«Si les Etats-Unis apparaissent comme un partenaire peu fiable à l’avenir, le billet vert en subira les conséquences, et ce malgré la posture plus attentiste de la Réserve Fédérale.»
Les annonces au sujet de l’imposition de droits de douane, qu’elles soient effectivement mises en œuvre ou non, sont-elles simplement du bruit supplémentaire ou pourraient-elles entraîner une récession à terme?
A supposer que Donald Trump et son administration finissent par indiquer une direction claire de la politique qu’ils souhaitent mener en matière tarifaire, par exemple en imposant 25% de droits douane aux produits importés du Canada, on saurait à quoi s’attendre. Les entreprises pourraient alors faire leurs calculs, s’adapter à la nouvelle donne. Or, aujourd’hui, une chose annoncée le lundi est annulée le mardi, puis une autre annonce survient le mercredi… La vraie difficulté tient dans l’incohérence et l’inconstance du cadre économique mis en place par l’administration Trump. Le fait que l’on fasse des allers et retours en permanence finit par être un vrai problème pour les entreprises, dans la formation de leurs plans d’investissement notamment.
Et qu’en est-il du «signal»? A quels aspects les investisseurs doivent-ils être attentifs en particulier?
Les investisseurs doivent se concentrer sur les dynamiques de croissance des économies comme celles des Etats-Unis et de la zone euro, ainsi que la posture des Banques Centrales. Il s’agit d’évaluer quelles seront les dynamiques de demande interne, de consommation des ménages et des projections d’investissements des entreprises et comment elles évoluent. Il est important de s’intéresser aux intentions des entreprises en matière d’investissements et d’embauches, qui constituent le moteur de la croissance. A ce sujet, il est important de souligner qu’il n’y a pas de signes de récession actuellement dans le flux de données macroéconomiques américaines. Certes, un affaiblissement de la croissance aux Etats-Unis apparaît probable de par l’incertitude croissante; en revanche, une récession semble toujours peu probable.
«Un affaiblissement de la croissance aux Etats-Unis apparaît probable de par l’incertitude croissante; en revanche, une récession semble toujours peu probable.»
Quelles sont vos attentes concernant les banques centrales, Fed et BCE en particulier, au cours des prochains mois?
Concernant la Fed, il n’y a pas eu de grands changements dans ses annonces effectuées lors de sa réunion du mois de mars. Elle souligne toujours manquer de visibilité et préfère, logiquement, adopter une attitude de type «wait and see».
Du côté de la BCE, nous anticipons encore trois baisses de taux cette année qui permettront d’arriver à une posture monétaire accommodante, le taux de dépôt s’orientant à 1.75%. Les entreprises et les Etats de la zone euro ont des besoins de financement massifs qui nécessitent un volontarisme monétaire à l’échelle de la Zone.
Concernant l’évolution des taux des emprunts d’Etat, le rendement du Bund allemand à 10 ans est passé d’environ 2,4% début mars à environ 2,8% à mi- mars (ndlr: 2,68% lundi) suite aux annonces concernant les plans d’investissements géants annoncés par le gouvernement allemand relatifs à la défense et aux infrastructures. Est-ce un signe de confiance envers le potentiel de reprise de l’économie allemande ou plutôt de défiance, par crainte d’éventuels risques d’endettement?
Il ne faut pas voir de signaux négatifs envers l’économie allemande dans cette réaction des marchés obligataires. Au contraire, il s’agit plutôt d’une réaction favorable dans la perspective d’une stimulation de la croissance de l’économie allemande. Les taux à 10 ans montent non pas en raison de l’inflation mais plutôt parce que les investisseurs anticipent des taux de croissance plus élevés. A cela s’ajoute une prime de terme. Lorsqu’il y a des émissions de dette importantes, il faut aussi proposer une rémunération un peu supérieure pour attirer les investisseurs. C’est dans cette optique qu’il faut interpréter cette hausse des taux. S’il y a plus de dette mais également davantage de croissance, ce n’est pas un problème. Les Etats-Unis ont un déficit budgétaire de l’ordre de 6,5% mais ce n’est pas un problème car ils ont aussi un taux de croissance élevé, de l’ordre de 6% en valeur nominale. Ce n’est pas un sujet outre-Atlantique.
«Il ne faut pas voir de signaux négatifs envers l’économie allemande dans la réaction des marchés obligataires.»
Concernant le marché des devises, vous anticipez une dépréciation graduelle et structurelle du dollar sur le long terme: pourquoi?
En raison du risque d’une possible perte de confiance. Une partie des investisseurs chinois et japonais se détournent en partie du marché des obligations américaines. Il y a un réel mouvement de désexposition vis-à-vis des actifs américains. Outre l’aspect de l’instabilité politique ou relative aux droits de douane, il y a aussi la question de l’extra-territorialité du droit américain et qui peut inciter certains investisseurs à se défaire de leurs actifs investis aux Etats-Unis.
Quelle autre monnaie pourrait prendre le relais pour remplacer le dollar?
Il ne faut pas s’attendre à un remplacement du dollar comme valeur de réserve à l’international. Il y a un équilibre qui s’est construit au cours des années et il n’est pas possible de se défaire du dollar du jour au lendemain. Il y a néanmoins une évolution sur le temps long qui s’effectue, avec une recherche de diversification, qui mérite d’être observée attentivement en ce qui concerne le dollar et qui peut conduire à son affaiblissement.
Et c’est d’ailleurs ce que semble vouloir l’administration Trump - le fait d’avoir un dollar faible permet de soutenir l’économie d’exportation. Le Dollar peut baisser pour des raisons également plus structurelles. Si les Etats-Unis apparaissent comme un partenaire peu fiable à l’avenir, le billet vert en subira les conséquences, et ce malgré la posture plus attentiste de la Réserve Fédérale.