Certaines actions monteront, d’autres baisseront. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura «dispersion» ou d’importants écarts de performance. Professeur de finance et spécialiste des produits dérivés et structurés, trader et responsable de l’ingénierie financière, Eric Barthe nous explique comment packager une stratégie qui s’inscrit dans processus en cours de rotation de marché.
Qu’est-ce que le trade de dispersion ou «spot dispersion trade»?
Pour les traders d’options, mettre en place un trade de dispersion consiste à exprimer une vue sur la volatilité d’un indice, tel que le S&P500 ou l’Eurostoxx 50, par exemple, par rapport à la volatilité des titres composant cet indice. Si les titres sont peu corrélés, alors la volatilité de l’indice peut-être modérée même si la volatilité individuelle des titres est élevée. On dit qu’il y a dispersion.
Une version destinée aux investisseurs retail existe aussi. Même si elle diffère en de nombreux points, elle repose sur cette même idée qu’au sein d’un indice ou d’une classe d’actifs, des écarts de performance peuvent exister selon le secteur et la géographie des titres. Aussi, il est utile de souligner qu’il s’agit d’une stratégie «market neutral», à travers laquelle ce qui importe n’est pas la performance en soi des actions sous-jacentes mais leurs écarts de performance.
Comment mettre en place une telle stratégie?
Le fonctionnement de la stratégie consiste en un panier d’une vingtaine de titres. Le payoff final consistera dans la dispersion entre ces actions. Mais comment définir cette dispersion? Nous mesurons la performance pour chacun des titres, ainsi que la performance globale du panier. Puis nous procédons au calcul de l’écart de performance de chaque action par rapport à celle du panier. Ainsi, si une action individuelle enregistre une performance de 20% contre 2% pour le panier, nous dirons alors que la contribution de l’action à la performance du panier est de 18%. La dispersion est donc la moyenne de ces 20 écarts de performance par rapport au panier. Ainsi, si tous les titres ont la même performance, la dispersion sera nulle. Il faut qu’il y ait écart de performance entre les titres pour qu’il y ait dispersion.
«C’est un produit délicat à hedger pour la banque émettrice, dans la mesure où le strike est flottant»
Pourquoi choisir cette quantité de titres au sein du panier de référence?
Si le panier est excessivement concentré, la banque émettrice devient sujette au risque idiosyncratique du panier. L’influence d’une seule action sur l’ensemble du panier pourrait s’avérer excessive. En revanche, si le panier est trop étoffé, le temps de calcul devient trop long, ce qui ralentit le pricing de l’ensemble du book.
Quels types de produits structurés peuvent être construits sur la base de cette stratégie de dispersion?
On trouve cette stratégie exprimée soit en format warrant, ce qui revient à un call sur la dispersion, soit en produit de protection du capital. Le produit de protection du capital consiste dans le remboursement du capital à 100% à maturité, augmenté du rendement du call sur la dispersion. De sorte que l’investisseur commence à gagner un rendement à partir d’un certain niveau de dispersion. En l’absence de dispersion, le call expire sans valeur, mais le capital est protégé.
Comment émettre un option sur une dispersion?
C’est un produit délicat à hedger pour la banque émettrice, dans la mesure où le strike est flottant ou mouvant et la direction des titres est indifférente a priori, car c’est la dispersion qui importe, pas la direction. Par exemple, au départ de l’option, ce n’est qu’après avoir constaté que le titre A est monté de 5% et que le titre B a baissé de 5% que le trader se trouve short A et long B. C’est une fois passé le premier mouvement des titres que le trader saura plus ou moins évaluer où devrait se situer le prix d’exercice, qui changera, comme je l’ai dit, avec le temps en fonction de l’évolution concrète du marché. Le hedging est dynamique et le prix de la couverture dépend grandement du modèle adopté.
«Les produits de type «Twin Win» me semblent particulièrement adaptés au secteur tech américain.»
Le marché offre-t-il, selon vous, des opportunités pour une stratégie de dispersion?
Je pense que oui, dans la mesure où nous assistons à une rotation significative des portefeuilles. Une rotation régionale qui s’effectue au profit des marchés actions européens et chinois et au détriment du marché américain. La rotation est également sectorielle, ceux ayant le mieux performé au cours des dernières années commencent à se stabiliser. C’est le cas des titres de croissance et des valeurs technologiques américaines. Tandis que des secteurs autrefois délaissés, tels que la santé et les télécoms, attirent à nouveau l’intérêt des investisseurs. Les secteurs qui seront les moins sujets aux tarifs américains devraient bien se porter.
La technologie américaine corrigeant quelque peu, quels produits structurés peuvent tirer parti de cette situation?
Les produits de type «Twin Win» me semblent particulièrement adaptés au secteur tech américain. Si le sous-jacent rebondit, nous pouvons participer intégralement à sa hausse. S’il recule modérément, même cette perte sous-jacente constitue un gain pour le détenteur du certificat Twin Win, tant qu’un seuil ou une barrière prédéfinie n’a pas été franchie. Il est donc doté d’un mécanisme de sécurité tout en permettant une participation intégrale à la performance. Le produit fonctionne un peu comme une stratégie d’option dite de «straddle», qui combine un call et un put de même prix d’exercice et de même maturité. Ce n’est pas un produit très négocié par rapport aux autocalls ou aux convertibles à barrière, alors qu’il présente un grand intérêt, notamment dans le contexte actuel.