Lancés fin 2022 sur le marché suisse, les indices à décrément ne semblent pas faire l’objet d’une demande significative. Du moins pas autant que sur d’autres marchés européens tels que la France, où ce type de sous-jacent connaît une forte croissance. Entretien avec Eric Barthe, expert en ingénierie financière et auteur d’un ouvrage sur les indices à décrément, Decrement Indices – Purpose, Performance, Pricing, Hegding, Marketing.
A l’échelle globale, quels sont les marchés où les produits structurés sur indices à décréments sont les plus demandés?
L’Europe est de loin le principal marché, même si ces indices commencent à apparaître outre-Atlantique. C’est en France qu’ils sont le plus demandés, car ce marché est friand des produits structurés long terme, comme dans le cadre des contrats assurance vie, pour lesquels ces indices sont les plus adaptés. L’Allemagne et l’Italie deviennent aussi des marchés importants.
S’agissant de la Suisse, il semble que l’activité y demeure faible, même après le lancement d’indices à décréments par SIX Group depuis début 2022. Comment l’expliquer?
En Suisse, la plupart des produits structurés tels que les barrier reverse convertibles ou les autocallables proposent des durées de vie de un à deux ans en moyenne, voire trois. Les indices ou actions à décréments n’apportent pas vraiment d’amélioration de coupon ou de barrière pour ce genre de maturités.
En France, en revanche, comme je le soulignais précédemment, les maturités des produits structurés utilisant des indices à décréments sont typiquement de l’ordre de cinq à sept ans. L’impact du dividende est significatif sur de telles maturités et permet d’offrir des coupons plus élevés ou des barrières plus basses. Mais, bien entendu, à maturité le risque en capital dépend de la performance de l’indice à décrément et pas du «vrai» indice. Si ces coupons sont plus élevés, c’est bien parce que l’indice à décrément est destiné par construction à sous performer le vrai indice.
«Plus ces dividendes encaissés par la banque sont importants, plus la banque peut en échange offrir un coupon élevé.»
Justement, d’un point de vue technique, comment le fait d’appliquer un décrément, apparemment purement théorique, se traduit-il dans les faits par des coupons plus élevés? D’où provient cette source de financement permettant à un émetteur de proposer des rendements plus élevés?
C’est une question de pricing. Pour couvrir le risque du produit structuré, la banque va porter le sous-jacent et encaisser les dividendes à mesure qu’ils sont payés. Le montant de ces dividendes est l’un des paramètres qui déterminent la valeur du coupon. Plus ces dividendes encaissés par la banque sont importants, plus la banque peut en échange offrir un coupon élevé. Bien entendu ces dividendes ne sont pas connus en avance
D’où l’idée de créer un sous-jacent synthétique qui paie un dividende synthétique appelé le décrément, connu en avance. Ce décrément est presque toujours fixé à un niveau supérieur aux dividendes historiques du sous-jacent. Par ailleurs ce décrément est payé de manière quotidienne au lieu d’être payé un, deux ou quatre fois par an comme les vrais dividendes.
La banque remplit ainsi un triple objectif. Premièrement, le niveau du décrément est connu en avance, par conséquent, le risque de dividende est éliminé. Deuxièmement, le niveau du décrément est plus élevé que le vrai dividende, donc le coupon est plus élevé. Enfin, les dates de paiements sont connues. Il n’y a ainsi plus de risque de changement de date de dividende.
«Il est difficile pour un émetteur de se distinguer par rapport à la concurrence.»
Et comment la banque procède-t-elle pour se couvrir?
En pratique, la banque porte le vrai sous-jacent, mais sa dette vis-à-vis de l’investisseur est indexée sur le sous-jacent synthétique qui va sous-performer, compte-tenu de son décrément plus important que le dividende. Ce profit est rendu, entièrement ou partiellement, à l’investisseur sous la forme d’un coupon plus élevé ou d’une barrière plus basse.
C’est simple. Imaginez une action qui vaut 100 euros et qui va payer un vrai dividende de 3 euros. Imaginez aussi que je construise un décrément 5 euros sur cette action. Imaginez encore qu’absolument rien ne se passe pendant un an, et que le titre ne bouge pas. En tant que banque, je me couvre en achetant la vraie action qui cotera alors à 97 euros alors que le décrément vaudra 95 euros. Je devrai payer au client un montant indexé sur 95 euros alors que j’ai 97 euros dans mon hedge. C’est donc un profit pour moi que je peux rendre partiellement ou entièrement au client sous la forme d’un coupon plus élevé.
Il est frappant d’observer la multiplication de variantes d’indices à décréments, intégrant diverses thématiques, qu’elles soient sectorielles, factorielles ou basées sur des normes de durabilité. Et ce, alors même que les indices à décréments représentent une innovation relativement récente. Que doit-on en penser?
En soi, les indices à décréments sont une innovation positive. Toutefois, la construction d’un indice à décréments plain vanilla, si je puis dire, est relativement aisée. Toutes les banques peuvent le faire. Ce qui signifie qu’il est difficile pour un émetteur de se distinguer par rapport à la concurrence. D’où ces tentatives de lancer des variantes thématiques, en particulier si la banque dispose d’une équipe de recherche conséquente sur laquelle elle peut s’appuyer pour offrir des indices à décréments différents.
Mais l’investisseur doit faire preuve d’une vigilance extrême face à ce type de produits. Il n’est pas rare de constater des indices à décréments se présentant comme des benchmarks intégrant des critères verts ou ESG, alors que, si l’on regarde dans le détail, ces indices ne diffèrent pratiquement en rien des indices classiques, tels que l’Eurostoxx 50. La transparence sera un enjeu crucial pour les indices à décréments, d’autant que ces sous-jacents représentent déjà 50% des flux dans les produits structurés dans certaines régions.