ESG, trois questions contrariantes

Eric Barthe, Anova Partners

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Notations, performance et paradoxe de valorisation. Quelques points restent en suspens…

Réchauffement climatique, pollution, problèmes de gouvernance, manque de transparence: tous ces problèmes trouveraient leur solution grâce à l’investissement ESG. Cela revient à dire que les effets des investissements financiers seraient plus puissants que la législation: au lieu de légiférer sur les pratiques des entreprises, on oriente les investissements vers les sociétés ayant les meilleures pratiques, réduisant ainsi leur coût du capital. Les autres sociétés verraient, au contraire, leur coût du capital augmenter.

À quelques jours de la COP26, la pression régulatoire n’a jamais été si forte sur les sociétés pour qu’elles dévoilent leurs métriques ESG et sur les gestionnaires pour qu’ils incluent ces problématiques dans leurs choix d’investissement. La vague ESG est puissante et devrait concerner le tiers des actifs sous gestion dans le monde en 20251. Face à ce mouvement d’ampleur, il n’est pas interdit de se poser quelques questions.

La notation est-elle fiable?

Pour être pertinentes pour les gestionnaires d’actifs, les notations doivent couvrir un grand nombre de sociétés. Devant ce travail de masse, les agences de notations ne peuvent se fier qu’aux données ESG fournies par les sociétés elles-mêmes. Même si certaines données brutes peuvent être retraitées, l’essentiel de la notation est construit à partir des données que les sociétés elles-mêmes veulent bien communiquer.

La pression du régulateur impose progressivement à certains types d’investisseurs d’avoir l’essentiel de leurs actifs dans l’ISR.

Un certain nombre de compagnies se sont spécialisées dans la notation ESG (MSCI, Sustainalytics, RobecoSAM etc.). Cependant, selon une étude du MIT publiée en 2019, la corrélation entre les notations de ces agences n’est que de 61%2. Les raisons de ces différences résident principalement dans la fiabilité des données et dans les méthodes d’agrégation de scores numériques et qualitatifs.

En effet, les cas d’incohérence ne manquent pas: le cas le plus récent et le plus douloureux fut celui de la société Wirecard. Cette société a prospéré pendant près de 10 ans jusqu’à rejoindre le club des 30 plus grosses sociétés allemandes et faire partie de la sélection du fond DWS ESG investa… Mais, on se rend compte en 2020 que 1,9 milliards d’euros manquaient dans les caisses. Le Financial Times avait suspecté des fraudes depuis 2015 et insistaient sur les problèmes de gouvernance, malgré ces suspicions, aucun audit n’a permis de repérer une telle fraude…

L’ESG est-il un investissement performant?

Voilà un autre sujet sur lequel il est difficile d’y voir clair. Pour les distributeurs de fonds, la réponse est claire: les actions des compagnies ESG battent le marché. Mais quel aveu! Les gestionnaires d’actifs devraient alors une fière chandelle aux régulateurs qui en leur imposant de tenir compte des critères ESG leur aurait donné la recette d’une meilleure performance et donc de frais de performance plus élevés!

Heureusement, les choses sont plus complexes. Comme l’a montré un rapport3 de l’institut Scientific Beta en avril 2021, l’ESG n’est pas un facteur de surperformance. Cet institut a analysé le facteur ESG et l’a comparé à d’autres facteurs: volatilité, taille, momentum, qualité. La conclusion est que l’alpha supposé de l’ESG est expliqué par le facteur qualité (autrement dit choisir des actions ESG revient à choisir des actions au bilan sain et aux revenus stables, et rien de plus). La surpondération des valeurs technologiques qui ont surperformé ces dernières années (dont l’impact écologique est probablement sous-évalué4) et un effet de mode qui gonflerait le prix des compagnies ESG (et donc qui assureraient des rendements futurs moins importants) serait la raison de la surperformance récente. Autrement dit, oui les indices ESG surperforment en ce moment, mais cela est dû au fait que les sociétés membres sont des entreprises au bilan sain, que le secteur technologique est surpondéré et que l’afflux de capitaux gonfle les prix. Quiconque est maintenant investi en ESG profite donc de ces trois phénomènes. Mais cela durera-t-il et à qui pourrait profiter la vague ESG?

L’ESG, une opportunité pour les investisseurs… non soumis à l’ESG?

Clairement, la pression du régulateur impose progressivement à certains types d’investisseurs d’avoir l’essentiel de leurs actifs dans l’ISR. Les actifs qui n’auront pas le précieux label seront donc vendus puis ignorés par ces investisseurs. Ces actifs non ESG au coût du capital élevé offriront donc des rendements espérés plus élevés aux investisseurs non soumis à des règles strictes sur l’ISR.

Par ailleurs, rien, pour le moment, n’interdit à une société d’émettre une obligation verte (donc destinée à financer des projets verts) ainsi qu’une autre obligation non verte. Pour le même risque de crédit, cette dernière obligation offrira un rendement plus élevé. La tendance ISR/ESG offrirait alors des opportunités aux investisseurs non soumis à des obligations de ce type et bénéficiant d’actifs bradés.

 

 

1 Bloomberg. Février 2021 «ESG assets may hit $53 trillion by 2025»
2 MIT Sloan School. Août 2019. «Why ESG rating vary so widely»
3 Scientific Beta publication. Avril 2021 «Honey, I shrunk the ESG Alpha»: Risk-Adjusting ESG Portfolio Returns
4 Le Monde diplomatique. Octobre 2021 «Quand le numérique détruit la planète» Guillaume Pitron

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