En mars, l’actualité économique et sur les marchés avait été largement dominé par les discussions au sujet des plans de relance, notamment en Allemagne, avant que les annonces liées aux droits de douane annoncés par Donald Trump ne deviennent le sujet majeur au début de ce deuxième trimestre. Le point sur la situation avec Guillermo Felices, directeur et stratège en investissement mondial chez PGIM Fixed Income.
Quelles sont vos attentes concernant la politique de la Réserve fédérale américaine (Fed) au cours des prochains mois et quelle a été votre interprétation de sa dernière réunion de mars?
Lors de sa réunion de mars, la Fed a revu à la baisse ses prévisions de croissance; elle a toutefois aussi revu à la hausse ses prévisions d’inflation. La Fed s’inquiète de la croissance mais elle est bloquée car l’inflation est toujours supérieure à l’objectif visé (ndlr: la hausse des prix s’est maintenue à 2,5% pour le mois de février selon l’indice PCE).
À la suite de l’annonce de droits de douane réciproques agressifs le 2 avril, les inquiétudes concernant la croissance se sont accrues mais la Fed n’a pas signalé de nécessité immédiate d’assouplir sa politique monétaire en raison des considérations inflationnistes liées aux droits de douane ainsi que des anticipations inflationnistes élevées.
Quel est l’impact de la discussion actuelle sur les droits de douane aux Etats-Unis?
Les droits de douane sont négatifs pour la croissance et font tendenciellement grimper les prix. En matière d’inflation, il y a deux éléments à surveiller. Premièrement, l’imposition de droits de douane tend à faire monter les prix des biens importés. Deuxièmement, nous devons garder un œil sur les données réelles de l’inflation tout comme des attentes en matière d’inflation.
Dans l’ensemble, l’incertitude au sujet de l’inflation a augmenté ces dernières semaines. D’une part, car l’application de droits de douane entraîne un effet de premier tour qui est relativement facile à estimer. Si vous appliquez des droits de tant de pour cent, les prix augmentent de tant de pour cent pour tel ou tel produit. D’autre part, les discussions au sujet des droits de douane affectent à leur tour les attentes en matière d’inflation et peuvent influencer les futures décisions des entreprises.
En Europe, quelles sont vos attentes concernant la BCE pour les prochains mois?
La BCE a déjà abaissé ses taux à six reprises au cours de ce cycle et nous nous attendions à une nouvelle baisse pour le 17 avril (ndlr: la BCE a abaissé son taux directeur de 25 points de base à 2,25%). Même si l’on s’attend à ce que la croissance soit soutenue par une politique budgétaire expansionniste au cours des prochaines années, la zone euro continue d’évoluer dans un contexte de croissance très faible et d’inflation modérée. Les risques liés à l’application de droits de douane américains sur les produits européens accroissent les risques de ralentissement. Dans ce contexte, la BCE se sent à l’aise pour continuer d’abaisser encore ses taux.
Les importants écarts de croissance du PIB entre les pays de la zone est-elle une source de dilemme pour la BCE qui pourrait remettre en question sa décision de continuer à abaisser ses taux?
L’Allemagne reste de loin la plus grande économie de la zone euro et se trouve toujours dans une situation très difficile. En raison de la faiblesse des exportations vers la Chine, tout comme à cause des prix de l’énergie qui restent élevés. Les indicateurs de l’industrie manufacturière outre-Rhin restent toujours faibles.
«Les pays tels que l’Espagne et l’Italie ont fait preuve de plus de résilience mais cela ne devrait pas empêcher la BCE d’abaisser ses taux, compte tenu de la faible croissance d’ensemble attendue dans la zone euro.»
Les pays dits périphériques de la zone euro tels que l’Espagne et l’Italie ont fait preuve de plus de résilience mais cela ne devrait pas empêcher la BCE d’abaisser ses taux, compte tenu de la faible croissance d’ensemble attendue dans la zone euro (soit 0,6% en 2025) et d’une inflation plus modérée. C’est pourquoi, nous nous attendons toujours à deux baisses de taux directeurs de la part de la BCE cette année.
Comment expliquez-vous le rebond spectaculaire du taux des obligations allemandes à 10 ans, qui est passé de 2,4% début mars à 2,9% à mi-mars, avant de revenir aux environs de 2,47% à la mi-avril. S’agit-il de réactions exagérées ou justifiées?
Pour les marchés, l’annonce du plan d’investissements à plusieurs centaines de milliards en Allemagne en mars a été bien accueillie. La politique budgétaire conservatrice de l’Allemagne a toujours été un facteur limitant pour la croissance, en particulier pendant les périodes de faible croissance de l’activité. Le fait que le gouvernement allemand soit désormais prêt à assouplir sa politique budgétaire est une bonne nouvelle à cet égard. Au cours des prochains mois, la question sera toutefois de savoir comment ces réformes seront mises en œuvre.
Les réactions des marchés des actions n’ont-elles pas été exagérées ou irrationnelles au sujet du programme d’investissements annoncé en Allemagne?
Non, je ne pense pas que la réaction des marchés observée en mars puisse être qualifiée d’irrationnelle. Simplement, les marchés tendent à intégrer ce type d’annonces dans leurs prix de façon immédiate. En cas de déception lors de la mise en œuvre de tels programmes d’investissement, il peut en résulter une volatilité accrue. Fin mars, les marchés attendaient de voir plus de preuves que la croissance va réagir aux mesures de relance budgétaire annoncées. Maintenant, les risques à la baisse en lien avec les négociations sur les droits de douane avec les Etats-Unis dominent l’évolution des prix des actions.
Quel devrait être l’impact des mesures de relance annoncées outre-Rhin sur l’économie européenne?
Deux effets peuvent en résulter. Premièrement, il faudra voir de quelle manière ces mesures de relance vont se répercuter sur d’autres secteurs de l’économie. Il s’agira d’observer quel sera l’effet multiplicateur de ces dépenses sur le reste de l’économie, d’évaluer comment elles vont ruisseler sur l’économie. Deuxièmement, il faudra voir quel sera l’effet sur le sentiment général de l’économie. Est-ce que les entreprises et les consommateurs vont réagir positivement et dans quelle proportion? Tout cela est difficile à prédire à l’avance.
Néanmoins, l’effet de premier tour sur l’économie sera certainement positif. En outre, si la BCE reste sur sa trajectoire de baisse des taux d’intérêt, cela aura aussi certainement un impact positif.
Quelle est votre analyse au sujet du marché des obligations d’entreprise?
Jusqu’à l’annonce des droits de douane réciproques aux Etats-Unis le 2 avril, le marché des obligations d’entreprises était un bon endroit pour investir. Les obligations d’entreprises offraient aux investisseurs des rendements plus attractifs que les obligations d’Etat, tout en présentant moins de risques de correction que les actions.
«Nous ne donnons pas encore le feu vert pour le crédit, car l’économie mondiale est plus fragile maintenant que les risques liés aux droits de douane ont dégénéré en une potentielle guerre commerciale mondiale.»
Nous avions toutefois exprimé nos inquiétudes quant au niveau élevé des spreads dans un contexte de ralentissement de la croissance économique aux Etats-Unis. Les incertitudes liées aux droits de douane américains ont encore brouillé les cartes et les spreads de crédit se sont élargis. Nous restons prudents et ne donnons pas encore le feu vert pour le crédit, car l’économie mondiale est plus fragile maintenant que les risques liés aux droits de douane ont dégénéré en une potentielle guerre commerciale mondiale.
Y a-t-il des secteurs d’activités que vous favorisez ou au contraire évitez?
Malgré la vague de ventes généralisée qui a suivi le 2 avril, nous privilégions les secteurs obligataires défensifs tels que les obligations IG (ndlr: Investment grade ou catégorie investissement) et les CLO. Il est difficile d’avoir une opinion tranchée compte tenu de l’escalade des risques politiques et de récession, mais nous commençons à observer une rotation des marchés américains vers d’autres régions, comme l’Europe. Nous ne souhaitons pas aller à contre-courant de cette tendance.