De quoi sera fait demain

Nicolette de Joncaire

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Les placements privés se sont beaucoup développés et cet élan se poursuivra. Entretien avec Lionel Aeschlimann du groupe Mirabaud.

Préparé à la transition vers le travail à distance, le groupe Mirabaud a enregistré un premier semestre positif et n’a pas eu à freiner ses développements. Dans un contexte suffisamment inédit pour que toute prévision soit difficile à établir, Lionel Aeschlimann, associé gérant de la banque, revient sur les enjeux de l’asset management dont il est responsable au sein du groupe. Conversation.

Comment l’élection de Joe Biden va-t-elle transformer la politique américaine et avec quel impact sur les marchés?

Il est délicat de tirer des pronostics car les lendemains d’élection peuvent être bien aléatoires. Souvenez-vous: dans les premières heures qui ont suivi celle de Trump en 2016, les marchés ont chuté brutalement de 4% pour remonter de 5% immédiatement. Il faut retenir toutefois que près de 71 millions de personnes ont voté pour Trump et que l’écart entre les deux candidats a été bien moins important que prévu. Il faut aussi retenir que l’équilibre final ne sera connu qu’au 5 janvier en fonction des résultats des deux sièges sénatoriaux de Géorgie qui décideront de la majorité au Sénat. Ceci étant, l’hypothèse, largement retenue, d’un président démocrate assorti d’un Sénat républicain devrait assurer une certaine stabilité plutôt favorable aux marchés financiers. En tout état de cause, Biden restera dur envers la Chine, sans l’agressivité et l’imprévisibilité de son prédécesseur ce qui apaisera l’énervement général. Une hausse massive de l’impôt des sociétés est beaucoup plus improbable qu’elle ne l’était avec la «vague bleue» anticipée. De même, la règlementation financière restera probablement modérée et, surtout, il ne faut attendre ni hausse des taux à long terme, ni creusement massif du déficit, car le stimulus fiscal sera plus mesuré. En bref, l’opposition entre président et Sénat devrait ralentir tout excès, dans un sens comme dans l’autre. Une bonne chose à terme car il n’est pas forcément utile de creuser les déficits au détriment des générations futures.

«L’avancée prometteuse d’un vaccin a entraîné une rotation sectorielle rapide
confirmant notre positionnement: la gestion active est plus essentielle que jamais.»
Nous avons vécu l’année sous le signe du COVID. Quelle est votre évaluation de son impact?

L’épidémie va s’estomper et finira par disparaitre mais laissera, outre une phase de récession massive - 15% de chute du PIB en Grande-Bretagne, 10% en Europe, 5% en Suisse -, de profondes cicatrices. Cette pandémie, et les mesures qui l’ont accompagnée, aura des conséquences structurelles; sur les chaînes de valeur et d’approvisionnement en particulier. Rappelons qu’au cours de 20 ou 30 dernières années, les chaines d’approvisionnement ont été construites avec en tête deux paramètres: l’efficacité et l’optimisation des coûts. Depuis mars, on observe un repositionnement de ces valeurs avec cette fois-ci un accent plus marqué sur l’empreinte écologique et les droits des travailleurs. Cette réorientation va participer à un processus partiel de relocalisation dont l’objectif est aussi de diminuer la dépendance vis-à-vis de la Chine. La pénurie de masques ou de tests est une leçon que nous retiendrons tous et ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, même si le commerce international en souffrira. L’autre phénomène, déjà largement couvert, est celui de l’accélération de la digitalisation dans tous les champs d’activité, de la médecine à l’architecture, sans oublier la finance. Et sans oublier non plus l’impression 3D; car même les respirateurs artificiels peuvent être imprimés. Sur le plan des marchés proprement dits, la crise a intensifié la dispersion entre gagnants et perdants. Certaines sociétés d’hier ne se remettront pas, d’autres prendront la relève. De même l’annonce la semaine passée concernant l’avancée prometteuse d’un vaccin a rebattu les cartes et entraîné une rotation sectorielle rapide confirmant notre positionnement: la gestion active est plus essentielle que jamais.

Le virage vers une finance responsable et durable a pris une ampleur inédite. Cela correspond-il à une demande de la clientèle?

Il n’y a aucun doute. Pour ce qui est de Mirabaud Asset Management dont je suis responsable, la clientèle est essentiellement institutionnelle – AVS, fonds souverains, fonds de pension (en Suisse mais aussi en France et en Italie). Pour cette clientèle, la finance durable est centrale depuis longtemps, raison pour laquelle nous avons adhéré au PRI en 2010 et avons, cette année, obtenu la note maximale de A+ dans toutes les catégories. Être un gérant actif, c’est d’abord choisir c’est-à-dire prendre ses responsabilités. C’est pourquoi nous intégrons les critères extra-financiers depuis toujours, même si longtemps, ils ont été perçus sous l’angle du risque. En d’autres termes, prendre en compte la gouvernance, l’adéquation sociale ou le respect de l’environnement (auxquels nous avons ajouté l’impact climatique il y a quelques années), était vécu comme une mitigation des risques. Il y a trois ans, nous avons pris la décision d’intégrer directement ces dimensions ESG dans tous nos portefeuilles.

De quelle manière?

Par certaines exclusions, bien évidemment, mais aussi par l’engagement vis-à-vis des entreprises que nous sélectionnons. Je dis bien engagement et non activisme au sens étroit, entendant ainsi un accompagnement sur le long terme de l’orientation des entreprises en portefeuille. Clairement, en tant que société privée, nous ne sommes pas tenus à des résultats à court terme, ce qui nous permet ainsi de faire preuve de patience.

Mirabaud a pris une place importante dans la gestion de la prévoyance.

Plus de de la moitié de ce que nous gérons au niveau de l’Asset Management est l’argent de fonds de pension. En 2003, Mirabaud a créé la FCDE, une fondation de prévoyance complémentaire 1e destinée à gérer la part extra-obligatoire des salaires et revenus d’un certain nombre de professions. Nous avons ensuite apporté cette fondation sur les fonts baptismaux du lemania pension hub1. Il me parait important de signaler que la part surobligatoire des retraites et en augmentation constante. C’est également vrai du libre-passage. En d’autres termes, les montants sur la gestion desquels les adhérents peuvent avoir un mot à dire s’accroissent régulièrement. Y apporter l’expertise de Mirabaud me parait essentiel.

«Je regrette personnellement la détérioration de l’intérêt pour les marchés
boursiers car ces derniers représentent la démocratisation de l’actionnariat.»
Les placements privés de type private equity ou private debt semblent gagner en faveur. Quelle place prendront-ils dans la gestion du futur?

Ils se sont beaucoup développés pour deux raisons, et cet élan se poursuivra. La première raison est que les marchés cotés croissent moins qu’auparavant car le nombre d’IPO décline et beaucoup de grandes sociétés restent en mains privées. Je regrette personnellement cette détérioration de l’intérêt pour les marchés boursiers car ces derniers représentent la démocratisation de l’actionnariat. L’autre raison de l’essor de l’investissement (ou de la dette) direct est la recherche de rendement dans la mesure où l’investisseur y bénéficie de la prime d’illiquidité.

Quels sont les stratégies correspondantes chez Mirabaud?

Nous avons lancé, il y a trois ans, un premier fonds de private equity, Mirabaud Patrimoine Vivant, sous l’impulsion de Renaud Dutreil, ancien président de la filiale américaine de LVMH. Cette stratégie est centrée sur les sociétés françaises, en particulier de l’arc alpin, détenant un savoir manufacturier ancré dans leur terroir depuis plusieurs générations. Plus récent, Mirabaud Lifestyle Impact & Innovation vise davantage des sociétés plus jeunes, adaptées à la demande des consommateurs de demain, où les cycles plus courts, la protection de l’environnement et la qualité de la consommation sont privilégiés. En matière de transition climatique, il faut savoir que l’aviation compte pour environ 3% des émissions de CO2 alors que la mode pèse pour 30%. Se tourner vers le cuir à base de cellules souche ou vers les diamants de laboratoire prend là tout son sens. Nous nous rendons compte qu’avec la crise du COVID, la sensibilité de la clientèle à cet égard a augmenté.

Quelques mots sur Mirabaud Grand Paris?

Cette stratégie, à la croisée de l’immobilier et du Private Equity, veut tirer parti de ce qui est, à ce jour, le plus grand programme d’infrastructure au monde, soit plus de 35 milliards d’euros. Ce renouvellement de Paris, une ville aujourd’hui enfermée dans une ceinture de banlieues mal entretenues, est à la hauteur de la refonte de la ville par le baron Haussmann au XIXe siècle. En parallèle de l’infrastructure sociale en développement (gares, écoles, hôpitaux), verront le jours d’importants projets immobiliers - donc certains compteront des milliers de logements - qui sont en recherche de financement. Ce type de fonds de promotion peut prétendre à un taux interne de rentabilité supérieur à 15%, il s’agit là d’opportunités de choix pour les investisseurs.

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