Cinq années placées sous le signe de l’innovation

Yves Hulmann

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Peter van der Welle, stratégiste chez Robeco, anticipe de 2022 à 2026 une forte hausse des investissements, notamment en lien avec la transition énergétique.

C’est un rite qui est bien ancré dans les habitudes de la communauté financière en fin d’année. Chaque automne, à l’approche du nouvel exercice, stratèges et experts en prévisions conjoncturelles livrent leurs prévisions pour la future année. Qu’en est-il toutefois à plus long terme? Quels taux de croissance et quelles performances peut-on anticiper pour différentes classes d’actifs pour les années qui suivront la pandémie? Le point avec Peter van der Welle, stratégiste chez Robeco et co-auteur du rapport annuel intitulé «Expected Returns 2022-2026» qui fournit une vue d’ensemble des performances prévisionnelles auxquelles les investisseurs peuvent aspirer au cours des cinq prochaines années pour différentes classes d’actifs.

Dans son rapport portant sur les perspectives de rendement pour les cinq prochaines années, Robeco indique envisager la période allant jusqu’à 2026 avec un «optimisme modéré». Qu’est-ce qui vous rend optimiste pour les années à venir – ou au contraire plus prudent?

Notre optimisme repose sur un paradoxe. D’un côté, de nombreux événements indiquent que l’on se dirige vers une catastrophe climatique si rien n’est fait. De l’autre, on voit qu’il y a de plus en plus de réactions, à la fois du côté de la population et des entreprises face à cette situation. Des événements comme les inondations en Allemagne et en Belgique l’été dernier ou les incendies survenus en Grèce, en Italie ou en Californie ont marqué les esprits.

D’un point de vue économique, cela implique que davantage d’investissements seront effectués dans de nombreux domaines. Cela devrait entraîner une stimulation de l’économie par l’offre. Compte tenu des efforts pour réaliser la transition climatique, cela impliquera aussi davantage de dépenses des investissements du côté des entreprises (capex) ainsi qu’une augmentation de la productivité. Les trois à cinq prochaines années seront marquées par une nette progression de la productivité ainsi que par des innovations technologiques.

S’agissant de l’inflation, nous anticipons une hausse des prix de l’ordre de 2% dans la zone euro et de 2,25% aux Etats-Unis à l’horizon 2026.
Dans l’immédiat, la relance de l’économie et l’accélération des dépenses d’investissement ne sont-elles pas en grande partie conditionnées par le maintien de taux d’intérêt très bas «offerts» par les banques centrales?

Nous n’anticipons qu’une remontée très modérée des taux d’intérêt au cours des prochaines années. Les taux d’intérêt à court terme de la Fed (fed fund rate) ne devraient pas dépasser les 2% d’ici à 2026. Quant à l’inflation, nous anticipons une hausse des prix de l’ordre de 2% dans la zone euro et de 2,25% aux Etats-Unis à l’horizon 2026.

Accorde-t-on dès lors trop d’importance à l’évolution de l’inflation à court terme, qui se situe à des niveaux beaucoup plus élevés actuellement, en particulier aux Etats-Unis?

Il ne faut pas non plus minimiser les risques liés à l’inflation. En tant qu’investisseur, il faut rester vigilant à ce sujet. Toutefois, il faut à ce sujet distinguer entre, d’un côté, l'inflation sous-jacente non cyclique, qui est élevée en raison des contraintes de l'offre et qui indique donc une hausse de l'inflation par les coûts, et, de l’autre, l'inflation sous-jacente cyclique, qui devrait, elle, continuer d’augmenter en raison de plusieurs facteurs, notamment l'amélioration de la situation du marché du travail et la hausse des loyers et des prix du logement. En plus de la dynamique sous-jacente entre les composantes de l'inflation de base, il y a également la dynamique de l'inflation nominale ou globale qui est restée à un niveau relativement élevé au cours des derniers mois en raison de la hausse des prix de l'énergie.

Quelle réaction attendez-vous alors du côté des banques centrales?

S’agissant de la Fed, la Réserve fédérale américaine ne va adapter sa politique monétaire que très graduellement. La Fed dispose d’une certaine marge de manœuvre car elle peut agir de deux manières: premièrement, via la réduction de ses programmes de rachats d’obligations («tapering») ; deuxièmement en relevant ses taux («tightening») dans un second temps. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, nous n’anticipons qu’une hausse modérée des taux directeurs, aussi bien du côté de la Fed que de la BCE, au cours des cinq prochaines années.

Quelles en seront les implications pour les marchés des actions qui ont aussi été largement soutenus par le niveau très faible des taux d’intérêt – l’argument TINA («There is no alternative») peut-il être mis en avant indéfiniment?

Quand l’on part d’une situation de taux d’intérêt très faibles, comme cela a été le cas au moment de la sortie de la crise financière en 2009, c’est souvent un contexte favorable au coup d’envoi de marchés haussiers qui se traduisent ensuite par des niveaux de valorisations plus élevés. Toutefois, il n’existe pas une règle tout faite qui permettrait de dire qu’à tel ou tel niveau de valorisation, les marchés sont trop chers – et l’on se dirige automatiquement vers une correction. Hormis les taux qui influent sur l’attrait des marchés d’actions, il faut aussi tenir compte, en particulier, de l’évolution des marges bénéficiaires des entreprises.

Les exemples d’émergence très rapide de nouveaux entrants ne manquent pas dans des domaines tels que l’automobile ou le secteur de la santé.

Pour les prochaines années, je pense que l’on verra des niveaux d’évaluation plus modestes pour les marchés d’actions. Pour les marchés d’actions des pays développés, notre étude anticipe au cours des cinq prochaines années un rendement annuel moyen de 4,25% lorsqu’exprimé en euros et de 5,25% en dollars. Des rendements proches sont aussi escomptés pour les marchés émergents, soit 4% par an en euros et 5% en dollars. Les actions resteront, dans l’ensemble, attrayantes ces prochaines années mais la faiblesse des taux d’intérêt n’offrira plus un soutien aussi marqué à cette classe d’actifs qu’au cours de la dernière décennie. De plus, compte tenu du niveau déjà très bas des taux d’intérêt actuellement, la perspective d’assister, en cas de nouvelle récession, à une baisse supplémentaire des taux d’intérêt - susceptible de les porter à des niveaux encore plus bas que lors des deux dernières récessions - est désormais plus limitée.

Vous anticipez beaucoup d’innovations technologiques. De qui viendront-elles?

S’agissant des marchés des actions des pays développés, les investisseurs qui placent l’essentiel de leur argent dans les grandes capitalisations («large caps») devront être attentifs à l’émergence de start-up et nouveaux entrants qui seront parfois capables de leur prendre d’importantes parts de marché, dans certains cas en quelques années seulement.   

Vos anticipations sont très favorables pour les cours des matières premières. Pourquoi?

Nous anticipons effectivement des rendements annuels moyens de 5% pour les matières premières en euros et de 6% en dollars. Il faut s’attendre à une forte demande en particulier pour les métaux industriels, aussi sous l’effet des programmes liés à la transition climatique. Pour construire une éolienne, il faut au moins neuf fois plus de métal que pour équiper une centrale à gaz. Les investissements dans les énergies vertes requerront beaucoup de métaux et d’extraction minière.

Anticipez-vous une poursuite de l’affaiblissement du dollar et si oui pourquoi?

Effectivement, nous anticipons une poursuite de la dépréciation du billet vert au cours des prochaines années. Pour autant, celle-ci sera plus limitée que celle observée l’an dernier. Le billet vert sera tiraillé entre deux tendances. Côté positif, le dollar sera certainement la première des grandes devises à profiter d’un resserrement des taux, bien avant l’euro ou le yen par exemple. Cela peut lui permettre de regagner momentanément du terrain durant certaines phases. Côté négatif, le dollar demeure, à ses niveaux actuels, légèrement surévalué en termes de parité de pouvoir d’achat, ce qui continuera d’exercer une pression à la baisse sur le long terme.

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