Les marchés financiers sont confiants que les entreprises continueront de présenter des bénéfices en hausse et que les taux d’intérêt baisseront. La correction de cet été semble déjà oubliée. Quelles seront les prochaines étapes? Thomas Meier, gérant de portefeuille auprès de MainFirst, à Francfort, répond aux questions d’Allnews:
Quelles leçons tirez-vous de la correction du début août?
Les attentes élevées des investisseurs accroissent la nervosité des marchés mais cette nervosité peut disparaître aussi vite qu’elle est apparue. L’augmentation de la volatilité a été considérable en deux jours, à la publication de statistiques conjoncturelles défavorables aux Etats-Unis dans un contexte de valorisations élevées. La correction a été forte. Après des mois marqués par une de modestes fluctuations quotidiennes, la chute de 10% de l’indice japonais a surpris. Mais le rebond a été si rapide que la baisse n’a pas provoqué de conséquences majeures sur les marchés internationaux.
Ce type de corrections est un phénomène salutaire pour les marchés parce qu’il rappelle l’existence des risques de marché. L’euphorie est globalement absente des marchés actuels, à l’exception d’attentes parfois très optimistes sur certains segments. Les capitaux affluent dans les actions, souvent en faveur des grandes capitalisations et des segments de forte croissance.
Les cours des actions ont retrouvé les niveaux d’avant la correction. Est-ce que les marchés sont plus vulnérables qu’on ne le pense?
Je ne le pense pas. Les marchés ont preuve d’une remarquable résistance. De nouvelles corrections sont toutefois possibles en fonction des données économiques. Un ralentissement de l’économie américaine semble se produire, par exemple dans la consommation. Mais les résultats trimestriels des entreprises ont été convaincants, malgré quelques faiblesses sectorielles, à l’image de la consommation.
La hausse de la consommation est-elle en danger?
Les hausses de prix des dernières années ont pénalisé le pouvoir d’achat des consommateurs. Les entreprises sont parvenues à transférer la hausse de leurs coûts aux consommateurs pour maintenir les marges. Mais les augmentations de dépenses publicitaires ne suffisent plus guère à provoquer une hausse des ventes, comme on le voit avec les produits de marque tels que Nestlé.
Les clients ont également adapté leur comportement au processus de «shrinkflation» (caractérisée par une quantité réduite pour le même prix du produit, ndlr) si bien qu’ils apprécient les marques blanches. Certes, les salaires nominaux augmentent et les taux de chômage sont bas, mais les coûts supportés par les consommateurs se sont nettement accrus, de l’énergie aux assurances. Il semble qu’à la suite d’une hausse des tarifs allant jusqu’à 30%, dans certains pays le nombre d’automobilistes qui roulent sans assurance s’est nettement accru. Enfin, l’épargne accumulée durant le covid s’est progressivement épuisée.
Non seulement les bas revenus mais aussi la classe moyenne souffre d’une érosion du pouvoir d’achat qui conduit les consommateurs à freiner leurs dépenses. L’industrie du luxe n’est pas épargnée, d’autant que le marché chinois n’est pas en reprise. Par conséquent, la croissance économique mondiale devrait se limiter à 2 à 3% l’année prochaine et également à long terme, mais pas plus.
Les statistiques de l’emploi ont été très fortement révisées à la baisse aux Etats-Unis. La probabilité d’une récession, qui était nulle ce printemps, est montée à 20%. Sera-t-elle bientôt le scénario de base?
Les perspectives de croissance sont déjà révisées à la baisse. La hausse du PIB mondial devrait atteindre 2,3% en 2025 contre 2,6% cette année. L’Europe profitera d’une légère accélération mais les Etats-Unis subiront un ralentissement de 2,5% en 2024 à 1,5-2% l’an prochain. Ce n’est pas problématique pour les marchés. Il en irait autrement si la croissance tombait à 0,5% et s’accompagnait d’une nette hausse du chômage. La question porterait alors sur la réaction de la Fed.
La Fed est-elle trop en retard?
Les décisions des banques centrales sont depuis quelque temps en retard («behind the curve»). Elles ont longtemps mené la dernière guerre. Il est temps qu’avec l’imminence d’un ralentissement, elles aient une approche pro-active. Aux Etats-Unis, le mandat de la Fed ne se limite pas à la stabilité des prix mais inclut également un faible taux de chômage et la croissance économique. Son regard est concentré depuis l’an dernier sur la lutte contre l’inflation. La Fed sera maintenant plus attentive à l’évolution du marché de l’emploi.
Le ralentissement conjoncturel n’inquiète pas les marchés s’il se traduit par de prochaines baisses de taux d’intérêt, lesquelles inciteront à une hausse des investissements. Ces derniers dépendront aussi des futures élections présidentielles. A l’approche de ce rendez-vous, les décisions d’investissement pourraient être retardées.
Quelle allocation d’actifs privilégiez-vous?
Les conditions-cadres restent favorables aux actifs financiers. Mais n’oublions pas que -cela vaut aussi pour la Suisse- le rendement des placements doit dépasser le niveau d’inflation. Dans cette perspective, les investisseurs suisses sont probablement en avance sur les allemands dans la mesure où ils sont davantage investis en actions qu’en obligations ou en produits d’assurance-vie.
«Après un environnement déflationniste, nous sommes entrés dans un cadre structurellement inflationniste.»
Il importe que la performance de placement dépasse une hausse des prix. L’inflation devrait rester proche de 2 à 3% en réponse aux limitations aux échanges internationaux, aux changements de la chaîne d’approvisionnement et à la pénurie de main d’œuvre qualifiée. Après un environnement déflationniste, nous sommes entrés dans un cadre structurellement inflationniste.
Comment les investisseurs doivent-ils réagir?
Les épargnants doivent procéder à changement de mentalité en termes d’allocation des actifs. L’accent doit être mis sur l’augmentation de valeur. La question des 10 ou 20 prochaines années consistera à se demander comment définir l’allocation d’actifs afin de préserver le pouvoir d’achat de sa fortune et non plus comment la maximiser. L’épargnant doit être prêt à augmenter ses risques, par exemple en utilisant des corrections telles que celle du début août. Il ne peut plus guère ignorer l’investissement en actions dans une optique à long terme. L’investisseur en actions a été choyé ces dernières années, notamment aux Etats-Unis. Il devra se satisfaire de gains plus proches de 5 à 6%, ce qui dépasse toutefois l’inflation.
Quels sont les plus grands risques?
Le plus grand risque réside dans l’accumulation des dettes. Celles-ci ont atteint un total de 313'000 milliards de dollars dans le monde. Les Etats ont augmenté plus que proportionnellement leur endettement depuis la crise financière. Les Etats-Unis y ont largement contribué sous l’impulsion aussi bien des républicains que des démocrates. Il serait temps que les autorités changent d’état d’esprit et consolident leurs dettes.
L’Allemagne avance dans le sens d’une consolidation. Nous avons vu la vive réaction possible des marchés aux propositions de Liz Truss au Royaume-Uni. Il n’est pas possible de préciser le moment où les marchés prendront peur de l’accumulation des dettes, mais l’investisseur demandera une prime de risque à ce sujet. Le financement de la dette américaine constitue déjà le premier poste du budget américain.
Est-ce que le risque est plus élevé avec Kamala Harris ou avec Donald Trump sachant que tous deux sont très dépensiers et étatistes?
Les deux programmes économiques sont problématiques. Personnellement, je préférerais l’élection de Kamala Harris mais son idée de fixer un plafond aux prix de l’alimentation est absurde.
L’idée d’une hausse des droits de douane, avancée par les deux camps, est incompréhensible. Un tel relèvement sur les produits chinois ne peut être payé que par les consommateurs américains eux-mêmes. Avec de telles décisions protectionnistes, les prix des réfrigérateurs, des souliers et des habits seraient plus chers. Depuis plusieurs années, les entreprises chinoises établissent des filiales dans des pays tels que le Vietnam pour réagir aux mesures des Etats-Unis. Il en ressort qu’il est très difficile de compenser les avantages de coûts de la Chine.
Comme l’a récemment écrit un commentaire du Wall Street Journal, les deux candidats veulent défendre l’économie américaine avec une approche étatiste mais ils oublient les principes qu’avaient avancer avec raison Ronald Reagan, à savoir que l’Etat devrait se tenir à distance du fonctionnement de l’économie.
«Il n’appartient pas à l’Etat de gérer l’économie parce qu’il n’atteindra jamais les objectifs recherchés.»
Ce comportement interventionniste est sans doute l’une des conséquences à long terme des politiques interventionnistes mises en oeuvre lors de la pandémie. Il n’appartient pas à l’Etat de gérer l’économie parce qu’il n’atteindra jamais les objectifs recherchés. L’exemple des subventions massives en faveur des véhicules électriques en témoigne. Le marché adoptera progressivement ce type de véhicule sans que l’Etat n’intervienne. L’Etat doit se limiter à fixer les conditions-cadres.
Est-ce que la prochaine déception des marchés viendra de réduction des estimations de bénéfices si l’on considère les propositions de hausses d’impôts des entreprises?
La concurrence fiscale internationale pour les entreprises a conduit à une forte baisse des taux d’imposition. En Allemagne, malgré une situation économique difficile, cette concurrence fiscale a obligé notre gouvernement à réduire l’imposition des entreprises.
La grande époque de la baisse des impôts des entreprises arrive à sa fin, mais les taux ne devraient pas augmenter significativement. Une économie globalisée empêchera que des différences majeures ne s’observent entre les pays.
La tendance de la charge fiscale sera à la hausse. Elle pourrait aussi concerner les droits de succession et l’impôt des plus fortunés.
Quels segments du marché des actions appréciez-vous particulièrement actuellement?
Le segment des small & mid caps a présenté une surperformance à 12 reprises au cours des 20 dernières années, une performance similaire à trois reprises et une sous-performance cinq fois. Depuis 3 ans, il a nettement sous-performé pour différentes raisons, notamment une concentration de la hausse sur un petit nombre de Mega-Caps. Mais ces quelques titres représentent 70% de l’évolution du marché, ce qui signifie que le marché dans son ensemble a évolué moins favorablement que ne le suggère le S&P 500.
La valorisation de ce segment est correcte mais certainement pas excessive. Et la plupart des entreprises de taille moyenne ou petite présentent d’intéressants taux de croissance des bénéfices, des bilans solides, et avec une forte part de marché sur des niches de marché attractives. Les small & mid caps européennes présentent une décote qui n’a jamais été aussi élevée qu’à l’époque de la crise financière.
Certes, l’attrait des ETF auprès des investisseurs pénalise ce segment, mais quiconque cherche des titres qui devraient profiter d’une solide augmentation de valeur à moyen terme y trouvera d’énormes opportunités.
Ce type d’entreprises a révélé une grande capacité d’adaptation aux défis de ces dernières années. Notre sélection de titres est particulièrement axée sur ce dernier aspect. Dans 3 ans, ces titres se trouveront à un niveau très supérieur à celui d’aujourd’hui.
La baisse du dollar peut-elle les toucher?
Ces dernières décennies, les entreprises ont fortement réduit leur dépendance à l’égard des fluctuations de change. Prenez l’exemple de Nestlé, avec probablement environ 2% de son chiffre d’affaires en Suisse. Ses sites de production sont remarquablement répartis sur tous les continents. Ce sont les variations de change fortes et rapides qui posent un problème.
Quel est votre avis sur l’action Nestlé?
J’ai beaucoup d’estime pour Mark Schneider, le CEO du groupe. Nestlé traverse une période transitoire. Dans le langage du footballeur, Nestlé est bon numéro 6, un milieu de terrain défensif. Le niveau de rentabilité a atteint un plateau, comme l’a compris le marché. La croissance organique devrait s’accroître, ce qui n’est pas aisé dans l’environnement actuel. Mais plusieurs segments de l’assortiment sont très intéressants, comme la santé animale et le café. Le dividende et les rachats d’actions le rendent aussi attractifs. Les années dorées appartiennent certes au passé, mais il appartient au management de répondre à ses promesses. Les années fastes appartiennent certes au passé, mais la nouvelle direction doit viser des lignes ambitieuses et tenir ces promesses.