Ces petites entreprises qui connaissent la crise

Salima Barragan

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De plus en plus de microentreprises sont sommées de rembourser leurs prêts COVID. Avec Christian Wenger du Cautionnement romand.

Inébranlables, les grandes sociétés cotées suisses ont affiché de solides résultats semestriels tout juste un an après le gel de l’économie. En revanche, les microentreprises dont on n’entend peu parler, sont dans une position nettement moins enviable. L’inégalité des forces entre grands et petits acteurs économiques n’est certainement pas nouvelle, mais le système des prêts COVID a mis en lumières la réalité de ces structures de 1 à 10 employés qui échappent aux statistiques. Ce sont ces dernières qui ont majoritairement souscrit aux prêts COVID auprès de l’un des 4 organismes de cautionnement. L’occasion de faire le bilan, un an après la distribution des prêts, avec Christian Wenger, Directeur du Cautionnement romand.

Quel a été votre rôle lors de la distribution des crédits COVID?

Nous sommes une coopérative privée d’utilité publique dont l’ADN remonte aux années 30 et qui facilite l’accès aux crédits bancaires pour les PME en octroyant notre cautionnement. Depuis mars 2020, nous sommes également partie intégrante des crédits COVID-19. En seulement deux semaines, un programme de 17 milliards de francs soutenu par quatre organismes de cautionnement a été mis sur pied. Ces prêts étaient totalement réassurés par la Confédération. Du jour au lendemain, nous avons dû gérer 138'000 conventions de crédits.

Sur 17 milliards de prêts , près de 3 milliards ont déjà été remboursés.
Plus de 3’600 cas font l’objet de suspicion d’abus, soit environ 2,6% des prêts. .
Quelles étaient les conditions de ces crédits?

Jusqu’à 500’000 francs, les donneurs de crédits octroyaient des prêts à des taux d’intérêts nuls. A partir de ce seuil, les taux passaient à 0,5%. Les conditions sont ensuite réévaluées chaque année par le Conseil fédéral. Ces fonds doivent impérativement être utilisés pour les liquidités courantes, et non par exemple à servir au remboursement à des proches. Dans certains cas, les petites entreprises en raison individuelle ont tendance à mélanger les concepts de fortune commerciale et de fortune privée, ce qui pose un problème avec les conditions du crédit COVID-19, même si cette confusion a toujours été bien tolérée. Lorsque nous découvrons que les conditions des prêts ne sont pas respectées, nous demandons aux entreprises, voire aux donneurs de crédit, de rembourser leur prêt immédiatement. Enfin, les sociétés qui contractent des prêts COVID-19 ne peuvent pas distribuer des dividendes, aussi petits soient-ils. D’ailleurs, cette clause de non-paiement du dividende a incité certaines entreprises à rembourser leur prêts COVID-19 avec anticipation. 

Combien de crédits ont-ils déjà été remboursés?

Sur 17 milliards de prêts accordés, près de 3 milliards ont déjà été remboursés. Dans la plupart des cas parce que les entreprises concernées n’avaient pas réellement besoin de cet argent ou que les restrictions au maintien du crédit COVID-19 étaient trop importantes. Les autres ont été forcées de rendre les fonds à cause d’abus.

Quelles est la proportion d’abus constatés et que risquent ces fraudeurs?

Pour l’instant, les plaintes pénales correspondent à 0,8% du nombre de crédits octroyés. Mais des contrôles sont toujours en cours.  Plus de 3’600 cas font l’objet de suspicion d’abus, ce qui représente environ 2,6% des prêts. Pour ne pas compromettre la rapidité du versement de crédit, les contrôles n’ont pas été faits en amont mais postérieurement, notamment par le biais des dispositions applicables aux preneurs de crédits. Par conséquent, le pourcentage de plaintes pourrait augmenter dans les mois à venir. 

Selon mon estimation,
le taux de défaut des crédits COVID-19 pourrait se monter à 20%.

Un an après le gel de l’économie, comment se portent les entreprises qui ont contracté des prêts COVID?

Nos interlocuteurs sont essentiellement des microentreprises. Contrairement aux moyennes et grandes entreprises qui se portent bien, j’émets des réserves pour ces petites structures. Dans beaucoup de cas, elles ont subi des pertes. Les mois qui suivent seront très difficiles pour elles, notamment pour celles issues du secteur du divertissement et des congrès ainsi que de nombreux restaurateurs.

Vis-à-vis des entreprises cotées suisses qui ont globalement présenté un très bon premier semestre, comment expliquez-vous autant de différence?

Les moyennes et grandes entreprises jouissent d’un accès aisé au crédit bancaire ainsi qu’à d’autres formes de financement. Ce n’est pas le cas des petites entreprises. Or, près de 83% des crédit COVID-19 ont servi à des microentreprises. Lors de la crise, seule société sur cinq a fait appel à un crédit COVID-19. Ce qui est peu et donc rassurant quant à l’état des réserves financières des autres, sachant également que deux tiers des entreprises suisses n’ont pas de crédits bancaires. Bien que les microentreprises génèrent un quart des emplois, elles échappent malheureusement encore aux statistiques et suscitent peu d’intérêt de la part du public. 

Quid des faillites et des changements d’activités pour ces microentreprises?

Mon estimation, bien entendu personnelle et subjective, est que le taux de défaut des crédits COVID-19 se montera à 20%.

Quelles sont les prochaines étapes pour les petites sociétés qui n’ont toujours pas remboursé leur prêt COVID?

Selon la loi, les prêts arriveront à échéance en 2028, sans obligation d’amortissement. Cependant, nous voyons déjà de plus en plus de clients sommés de rembourser leur prêt. L’argent deviendra plus difficile à obtenir, notamment en fonction des perspectives économiques incertaines ainsi que de l’évolution prochaine des politiques d’octroi de crédit des banques. 

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