Banques privées: accélération du processus de consolidation

Yves Hulmann

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Pour Christian Hintermann de KPMG, les conditions de marché toujours favorables incitent certains établissements à se rapprocher.

Une tendance unidirectionnelle depuis plusieurs années. En l’espace d’une décennie, le nombre de banques privées en Suisse a diminué de plus d’un tiers. Alors que l’on comptait encore 158 banques privées en 2011, on ne dénombrait plus que 96 établissements de ce type en juillet 2021. Et il ne devrait plus y en avoir que 93 à la fin de cette année, indique l’étude «Clarity on performance of Swiss Private Banks», réalisée conjointement par KPMG et l'Université de Saint-Gall (HSG). L’écart entre les grandes et petites banques s’est encore creusé l’an dernier. Ainsi, les plus grandes banques privées ont enregistré un afflux net d’argent frais affichant un taux de croissance de 3,6% en moyenne en 2020, comparé à 2,4% pour les établissements de taille moyenne et par rapport à des retraits atteignant 2,9% pour les plus petites banques. Les différences sont également marquées au niveau de la rentabilité : ainsi les grandes banques ont légèrement amélioré leur ratio coûts/revenus à 74,2% l’an dernier (75,3% en 2019), tandis que ce ratio s’est détérioré à 95% (85,3% en 2019) chez les petites banques. Du côté des banques de taille moyenne, ce ratio a atteint 83,9% en 2020 (82% en 2019). Quels sont les principaux enseignements que l’on peut tirer de cette étude? Entretien avec Christian Hintermann, Partner Financial Services chez KPMG Suisse et co-auteur de l’étude.

Avec 15 transactions de fusions et acquisitions (« M&A») dénombrées en 2020, puis 9 durant les seuls sept premiers mois de 2021, l’activité de consolidation a été élevée au cours des douze derniers mois. Comment l’analysez-vous?

Nous assistons clairement à une accélération du processus de consolidation. Il s’agit d’une accélération systémique qui s’explique, à mon avis, par la combinaison de plusieurs facteurs. D’une part, les prix ont augmenté lors de transactions impliquant des banques privées. D’autre part, certaines petites banques parviennent à la conclusion qu’il sera peut-être difficile de continuer à exister de manière indépendante à l’avenir compte tenu d’un environnement plus exigeant, notamment en termes d’investissements IT, de coûts liés à la réglementation, etc.

Ces transactions sont-elles avant tout des transactions forcées qui résultent de la situation de ces établissements et de l’environnement de marché – ou s’agit-il plutôt de rapprochements réalisés grâce à des contacts personnels établis entre les directions de différentes banques?

S’agissant de l’environnement de marché, on peut observer qu’il a été - en dépit de la pandémie de Covid-19 – dans l’ensemble plutôt favorable en 2020 et en 2021 jusqu’ici. Certes, la faiblesse des taux d’intérêt et du dollar a pu pénaliser certains établissements. En même temps, les marchés des actions ont évolué de manière positive depuis près d’un an et demi. C’est pourquoi je pense que certaines transactions ont été décidées justement avec la conscience que l’environnement de ces 12 à 18 derniers mois a finalement été plutôt favorable et que le moment est opportun pour effectuer un tel pas.

«Certaines transactions ont été décidées justement avec la conscience que l’environnement de ces 12 à 18 derniers mois a finalement été plutôt favorable et que le moment est opportun pour effectuer un tel pas.»
L’étude indique aussi que 6 des 8 transactions de consolidation annoncées au cours des douze derniers mois concernaient des établissements dotés de moins de 5 milliards de francs d’actifs sous gestion. Disposer d’une taille critique suffisante devient-il aujourd’hui un critère clé pour continuer à exister dans le domaine de la banque privée?

Deux aspects doivent être mentionnés. D’une part, en valeur absolue, il y a davantage d’acteurs qui correspondent à ce segment que de grands établissements. Parmi les 96 banques privées dénombrées par l’étude de KPMG, 44 d’entre elles sont des petits établissements qui disposent d’actifs sous gestion inférieurs à 5 milliards de francs. D’autre part, il y a certainement davantage de pression pour ces banques de petite taille à envisager des rapprochements ou des rachats que du côté de la vingtaine de grands établissements qui gèrent des actifs supérieurs à 25 milliards de francs.

Comme les années précédentes, votre étude répartit les banques privées non seulement en fonction de leur taille mais aussi d’après leur compétitivité en les répartissant en quatre catégories. Aux deux bouts de l’échelle, le nombre de «strong performers» (ndlr : avec un ratio coûts/revenus inférieur à 70%) est passé de 23 établissements en 2019 à 20 en 2020, tandis que 32 banques sont considérées comme étant des «weak performers» (ndlr : avec un ratio coûts/revenus supérieur à 90%) comparé à 25 instituts un an plus tôt. Quelles solutions sont envisageables pour ces derniers?

On ne peut bien sûr jamais prédire quelle sera exactement l’évolution de tel ou tel établissement à l’avenir. Parmi les «weak performers», certaines de ces banques ont déjà mis en place des mesures correctives pour améliorer leur situation. Toutefois, il faut aussi être réaliste à propos de ce qui peut être réalisé ou non : une banque privée ne peut pas améliorer d’une année à l’autre son ratio coûts/revenus de plus 90% à moins 70%, par exemple. La plupart du temps, il n’est pas possible de réaliser une rapide amélioration de sa situation en une ou deux années. Il est en général nécessaire que le conseil d’administration prenne des décisions au sujet du futur positionnement de la banque. Pour y parvenir, il faut des actionnaires très engagés. Parfois, cela se traduit par une concentration des activités sur quelques segments, parfois par la vente de l’établissement.

«La plupart des grandes banques privées accordent beaucoup d’importance aux questions de durabilité dans leur apparence extérieure.»
Certaines petites banques feraient-elles mieux d’abandonner la licence bancaire pour continuer d’être actives en tant que simple société de gestion de fortune?

Cela fait plusieurs années que cette possibilité d’abandonner la licence bancaire fait l’objet de discussions, mais cela n’a finalement pas été souvent réalisé.

Indépendamment des seules questions liées à la taille, les petits établissements feraient-ils mieux de se spécialiser sur quelques niches spécifiques comme les placements durables ou les crypto-monnaies par exemple?

Il y a quelques exemples de banques qui ont réussi à croître en se positionnant de manière très spécifique. Il y a des banques qui se concentrent sur certains sujets comme le domaine de la durabilité. D’autres banques se spécialisent avant tout en fonction d’aires géographiques bien précises, que soit à l’intérieur de la Suisse ou à l’étranger. S’agissant des crypto-actifs et crypto-monnaies, il y a aussi deux ou trois établissements qui proposent une offre de services spécialement conçus pour les entrepreneurs de ce domaine. Se concentrer sur une niche bien spécifique permet à la fois de se différencier mais limite aussi la clientèle potentielle.

A propos de durabilité, 22 banques privées sur 83 que vous avez analysées ont placé les critères ESG parmi leurs priorités stratégiques. Est-ce peu ou beaucoup?

Nous avons évalué le caractère durable de ces établissements sur la base de l’analyse de leurs sites Internet. C’est une manière de le faire, il y aurait aussi d’autres manières de le faire, par exemple via des questionnaires. On observe que la plupart des grandes banques privées accordent beaucoup d’importance aux questions de durabilité dans leur apparence extérieure. C’est une tendance qui va en s’accentuant.

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