«Don’t sell in May»

Salima Barragan

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Le fameux adage n’est pas d’actualité cette année. Avec Vincent Juvyns de J.P. Morgan AM.

L’adage recommande «sell in May», and go away. Mais pour faire quoi des liquidités? réplique Vincent Juvyns qui souligne que les taux d’intérêts sur les dépôts bancaires sont négatifs en Suisse et en Belgique. Pour le stratégiste de marché de J.P. Morgan Asset Management, les constats sur les fronts sanitaire et économique sont favorables aux actions. Seuls quelques doutes subsistent sur l’inflation à court terme. Pourquoi donc vendre, alors que cette classe d’actifs offre une protection contre l’inflation? Entretien.

La période actuelle que les économistes comparent aux Roaring Twenties, est pourtant très difficile à anticiper. Quel est votre constat?

Compte tenu de l’environnement sanitaire, l’anticipation de l’inflation est délicate. Lorsque les économies réouvriront pleinement, la consommation reprendra avec frénésie et les entreprises engageront à nouveau. Si le front sanitaire est encore très fragile dans certaines régions, notamment en Asie du Sud, il s’est sensiblement amélioré aux Etats-Unis. En Europe, la troisième vague semble derrière nous et je valide la thèse d’une ouverture franche des économies lors du second semestre. Tous les PMI, un indicateur avancé de l’économie, sont dans le vert ce qui démontre une synchronisation économique mondiale qui conforte nos prévisions optimistes sur le front économique.

«Sous le coup des chèques distribués aux ménages américains ou de la revalorisation
des allocations chômage, nous aurons une économie américaine sous stéroïdes.»
Quel sera l’effet des efforts américains pour relancer l’économie?

Contrairement aux crises précédentes, les banques centrales maintiendront durablement leur soutien. Et nous assistons aussi à un activisme budgétaire conséquent. Durant ses 100 premiers jours à la Maison-Blanche, Joe Biden a ratifié 60 ordonnances, dont des réformes majeures qui auront un impact immédiat sur l’économie. Sous le coup des chèques distribués aux ménages américains ou de la revalorisation des allocations chômage, nous aurons une économie américaine sous stéroïdes.

Et qu’attendez-vous en Europe?

La BCE a signalé qu’elle maintiendrait une politique monétaire expansionniste. Son attentisme se traduit dans ses rachats obligataires. Par ailleurs, les discussions sur l’allocation du fonds européen de relance vont bon train, et cerise sur le gâteau, les ménages ont continué à thésauriser leurs revenus et une partie de l’épargne excédentaire va retrouver le chemin de la consommation. Sa croissance de l’ordre de 5 à 6% sera moins forte qu’aux Etats-Unis. Cependant, son économie étant plus ouverte sur le monde, elle va ainsi indirectement profiter du plan de relance américain puisque la relance de la consommation devrait soutenir les importations US ce qui sera en fin de compte positif pour le développement de la balance commerciale européenne.

Avez-vous changé vos vues sur le dollar US?

Nous avions commencé l’année avec une position courte sur le dollar qui n’a pas fonctionné et que nous avons clôturé. Nous avons changé nos vues parce que l’exceptionnalisme américain qui reste intact, avec les écarts de croissance et de taux importants soutiendront le billet vert à court terme.

Le raffermissement du dollar et la hausse des taux américains n’arrangeront pas les affaires des marchés émergents. Quelle est leur place dans votre allocation régionale?

Nous les avons descendus à neutre. Certaines banques centrales sont en train de remonter les taux et ce resserrement des conditions monétaires, comme ce fut le cas lors de la rechute en Chine, rend ces marchés moins favorables pour des placements. En outre, un grand nombre de pays émergents font face à une situation sanitaire délicate ce qui affecte négativement leur économie.

«Sur un horizon de temps plus long, on devrait retrouver
une tendance d’inflation similaire à celle qui prévalait avant la pandémie.»
L’inflation à long terme est un grand débat qui divise les experts. Est-elle de retour?

A court terme, un pic d’inflation transitoire à plus de 3% est très probable, soutenu par la disruption des chaines logistiques et les hausses de prix déjà envisagées par les entreprises. Mais sur un horizon de temps plus long, on devrait retrouver une tendance similaire à celle qui prévalait avant la pandémie. La hausse des marchés immobiliers aux Etats-Unis et en Europe ainsi que de possibles hausses de salaires sont les seuls éléments qui pourraient entrainer une inflation durable et nous les surveillons donc attentivement.

Taux d’intérêt: avons-nous une réévaluation du risque d’inflation?

Dès que les taux réels passeront en territoire positif, leur progression sera limitée car les banques centrales ainsi que les investisseurs reviendront à l’achat. Il y a actuellement de grands débats sur la politique américaine mais la prochaine hausse des taux n’est pas attendue avant 2022. Nous nous attendons à une pentification de la courbe avec le 10 ans à 2% d’ici la fin de l’année. Nous sommes encore loin du niveau du Taper Tantrum de 2013 où les taux avaient atteint 3%. Dans cette situation, il est préférable d’être investi en crédit plutôt qu’en obligations souveraines et nous avons identifié une poche très intéressante: le high yield européen dont les maturités sont courtes et les rendements attractifs.

Quelle est votre recommandation face à l’adage «sell in May et go away»?

Ne pas vendre les actions au mois de mai, comme le veut l’adage même si les valorisations sont hautes et leur potentiel d’appréciation à long terme limité. Comme nous l’avons vu lors de la saison des résultats, les valorisations sont justifiées. Vendre en mai: mais pour quoi faire? Il n’y a pas beaucoup d’alternatives à l’heure où les banques centrales maintiennent des taux nuls ou négatifs. Et si les liquidités ne se transforment pas en rendement, autant recevoir des dividendes. En cas d’inflation, les actions offrent aussi une bonne protection.

Sur la partie actions, que privilégiez-vous?

Les titres cycliques et value sont à privilégier avec une préférence pour les petites capitalisations américaines qui seront les principaux bénéficiaires du plan de Joe Biden pour rénover les Etats-Unis. Si nous assistons à la repentification de la courbe, les financières seront à plébisciter ainsi que les sociétés de la santé qui seront soutenues par la réforme sur les soins de la santé. Et n’oublions pas le marché cyclique par excellence: l’Europe. 

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