Taxes Airbus: Washington sanctionne, Bruxelles menace

AWP

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Le représentant américain au Commerce accepte toutefois le principe de l’ouverture de négociations.

Des taxes punitives américaines sont entrées en vigueur vendredi sur de nombreux produits européens provoquant le courroux de Bruxelles qui promet de riposter, mais Washington a aussi ouvert la porte à des négociations.

Selon le ministre français de l’économie Bruno Lemaire qui s’est «longuement entretenu» à Washington avec le représentant américain au Commerce Robert Lighthizer (USTR), celui-ci a accepté le principe de l’ouverture de négociations. «Le plus tôt sera le mieux», a lancé le ministre à la sortie de son entretien déplorant toutefois «l’erreur politique et économique» de la décision américaine.

Cette hausse des droits de douane américains contre des produits européens pour une valeur de 7,5 milliards de dollars s’est imposée à 00H01 heure de Washington (04H01 GMT). Elle est intervenue quatre jours après le feu vert de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Washington d’imposer des sanctions contre l’UE en représailles aux subventions accordées à l’avionneur européen Airbus.

«Regrettant» cette décision, la Commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, a estimé vendredi que l’UE n’a «pas d’autre choix» que des représailles.

L’UE devrait en effet à son tour être autorisée l’an prochain par l’OMC à imposer des sanctions douanières contre les Etats-Unis, accusés d’avoir subventionné Boeing.

Une fois de plus, Mme Malmström a regretté cette escalade. «L’imposition réciproque de sanctions douanières ne sert les intérêts à long terme de personne», a-t-elle déclaré dans un communiqué.

«Elle provoquera des dommages très importants dans la production aéronautique aux États-Unis et dans l’UE et entrainera des dégâts collatéraux dans de nombreux autres secteurs déjà touchés par les tensions commerciales actuelles», a-t-elle ajouté.

Plus tard vendredi, le ministre français de l’économie Bruno Le Maire a rencontré à Washington pendant près d’une heure le négociateur en chef américain Robert Lighthizer qui lui a confirmé que ces nouvelles sanctions ne seraient pas suspendues.

Le responsable américain a néanmoins ouvert la porte à des négociations avec l’Union Européenne. «Il faut le prendre au mot et aller le plus vite possible (...) au regard de la gravité de ce qui touche les producteurs européens et en particulier les viticulteurs français», a déclaré Bruno Le Maire à l’AFP à la sortie de l’USTR.

Selon lui, pour parvenir à un accord sur ce différend il faudra traiter cette question des aides à Boeing et à Airbus «le plus largement possible». Il n’a pas donné plus de précision sur ce qu’il entendait par là.

«Nous avons une commission européenne très expérimentée. Ce sera à elle de préciser» ce qui sera apporté dans ces discussions, a juste ajouté le ministre français.

Cette nouvelle offensive du président américain Donald Trump, survient alors que Washington est en pleine guerre commerciale avec la Chine.

Mercredi, l’impétueux dirigeant s’en est encore une fois pris aux Européens, qui se comportent, selon lui, de façon injuste en érigeant des «barrières énormes» contre les importations américaines dans l’UE.

Il n’avait toutefois pas fermé la porte à un accord entre les deux parties.

Vin et avions

Dans la ligne de mire des Américains: les du constructeur Airbus, fabriqués essentiellement dans les usines du Royaume-Uni, de la France, d’Espagne et d’Allemagne, qui coûteront dorénavant 10% de plus quand ils seront importés aux Etats-Unis. Les vins européens et une multitude d’autres produits de grande consommation allant du textile aux fromages sont également dans le collimateur de Trump, avec une taxe de 25%.

Avant de se rendre à l’USTR, M. Le Maire avait dénoncé un «geste agressif» de la part «des alliés américains» et qualifié de «profondément injustes» les sanctions qui touchent le vin français.

Les Européens craignent avant tout que Donald Trump ne continue sur sa lancée et n’impose mi-novembre des droits de douane plus élevés sur les voitures européennes. Ce qui affecterait particulièrement le secteur automobile allemand.

Adoptant une politique résolument protectionniste, le dirigeant américain a déjà imposé des droits de douane plus élevés sur l’acier et l’aluminium en provenance de l’UE et d’autres pays alliés.

En juillet 2018, Donald Trump et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avaient conclu une sorte de trêve à Washington, promettant de mener des négociations, qui n’ont jusqu’ici abouti à rien.

La bataille juridique entre Airbus et Boeing devant l’OMC remonte à 2004, quand Washington a accusé le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et l’Espagne d’accorder des subventions illégales pour soutenir Airbus.

Un an plus tard, ce fut au tour de l’UE d’accuser Boeing d’avoir obtenu 19,1 milliards de dollars de subventions illégales entre 1989 et 2006 de la part du gouvernement américain.

Les secteurs visés en Europe
Les Etats-Unis ont, comme prévu, commencé à appliquer vendredi des taxes douanières punitives sur 7,5 milliards de dollars de produits européens, des avions aux vins, en passant par des fromages et engins de chantier... Tour d’horizon des secteurs affectés, qui diffèrent selon les pays.
Ces droits de douane s’élèvent à 10% sur les avions, et à 25% sur des produits alimentaires et textiles d’autres pays de l’Union européenne ainsi que sur des articles industriels allemands.
Les produits visés représentent des exportations annuelles d’environ 6,8 milliards d’euros. En 2018, le total des exportations européennes de biens vers les États-Unis s’est élevé à 320 milliards d’euros, selon Eurostat.

Aéronautique
Seuls les avions de ligne assemblés à Toulouse (France) ou Hambourg (Allemagne) sont frappés, et non les sous-traitants.
Les exportations touchées pesaient 3,16 milliards d’euros en 2018, selon le groupe de réflexion allemand IfW Kiel -- mais la valeur des Airbus à livrer en Amérique du Nord dépasse les 120 milliards de dollars au prix catalogue.
«S’il y a une guerre commerciale» avec représailles de Bruxelles, «on va finir par avoir deux monopoles régionaux, Boeing en Amérique, Airbus en Europe» car chacun sera trop cher de l’autre côté de l’Atlantique, a confié une source industrielle européenne.
Sur les avions assemblés en France, les États-Unis prélèveraient 190 millions de dollars de droits à l’importation, a-t-on ajouté de même source.

Vins français et espagnols
Une nouvelle taxe de 25% vise les vins «tranquilles» (non effervescents) français, espagnols, allemands et britanniques, ayant un degré d’alcool inférieur ou égal à 14%, et en contenant de moins de deux litres.
Ne sont donc pas concernés les vins conditionnés en vrac et les pétillants comme les mousseux et les champagne.
En 2018, les vins français concernés ont réalisé sur le marché américain un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros, et les Etats-Unis représentent près de 20% de l’ensemble des exportations de vin de l’Hexagone, selon la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS).
Cette dernière a demandé vendredi au gouvernement de «mettre immédiatement en place les mesures de soutien nécessaires à la filière et ses entreprises», pointant «un risque majeur de détérioration de leur situation économique».
Du côté de l’Espagne, les exportations des vins concernés outre-Atlantique s’élevaient l’an dernier à 240 millions d’euros.
Les vins italiens échappent aux sanctions (exportations de 1,5 milliard d’euros en 2018), mais pas les vins blancs et spiritueux allemands (180 millions d’euros).

Whisky écossais
Les spiritueux britanniques, irlandais, allemands, espagnols et italiens sont également surtaxés -- le cognac français étant donc épargné.
Le whisky est en première ligne: le «single malt» écossais constitue plus de la moitié de la valeur des produits britanniques épinglés par les Etats-Unis, soit plus de 460 millions de dollars, selon les industriels du secteur.
«Le ciblage des +single malts+ va plomber particulièrement les plus petits producteurs, qui seront les plus durement frappés», a réagi vendredi Karen Betts, chef de la fédération Scotch Whisky Association, disant anticiper sur douze mois une chute allant jusqu’à 20% des exportations vers les Etats-Unis.
De son côté, le numéro deux mondial des spiritueux Pernod Ricard a déploré un «impact significatif» pour ses single malts écossais (Glenlivet) comme pour sa marque espagnole de vins calmes Campo Viejo.

Fromages
On trouve dans la liste américaine des fromages comme le cheddar, le stilton, le parmesan, des fromages de brebis ou encore des fromages marbrés bleus --à l’exception spécifique du roquefort.
Les fromages français ne sont concernés que de manière marginale, selon Bercy.
En revanche, la moitié des exportations de fromage des Pays-Bas vers les États-Unis sont touchées, selon le gouvernement néerlandais, pour un montant annuel d’environ 39 millions d’euros.

Huile d’olive espagnole
D’autres produits alimentaires sont ciblés: certains fruits (oranges, citrons, cerises...) et jus, des coquillages préparés, ou encore certains produits de charcuterie et saucisses, ainsi que les biscuits et gaufres allemands et britanniques et le café exporté par l’Allemagne.
Surtout, les olives et huiles d’olive espagnoles sont taxées à 25%.
L’Espagne a exporté l’an dernier vers les Etats-Unis pour 405 millions d’euros d’huile d’olive --un secteur employant 400.000 agriculteurs dans le pays. Les olives exportées pesaient en outre 179 millions d’euros.
Au total, la moitié des exportations agroalimentaires espagnoles vers les États-Unis seraient taxées, soit environ un milliard de dollars.
En revanche, l’huile d’olive d’Italie (436 millions d’euros d’exportations) tout comme les pâtes et conserves de tomates du pays sont épargnées. Seuls 500 millions d’euros d’exportations alimentaires italiennes sont touchées, sur plus de 4 milliards au total.

Outils et engins de chantier allemands
Si l’automobile échappe à cette salve de sanctions, certains outils électriques portatifs et engins de chantier (pelleteuses...) fabriqués en Allemagne sont visés à hauteur de 25%, tout comme des lentilles d’appareils photos du même pays.
Selon le cabinet IfW, les exportations concernées d’outils électriques pesaient l’an dernier 130 millions d’euros, tandis que celles des engins de chantiers excavateurs s’élevaient à 100 millions d’euros.

Textile britannique
Seul le Royaume-Uni est visé par des taxes à 25% sur les pulls en laine et en cachemire, des anoraks et pyjamas féminins, des costumes pour hommes ou des articles de literie.

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