Nous n’avons pas vu de tels prix depuis 6 ou 7 ans

Emmanuel Garessus

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Dans le résidentiel, l’état d’esprit des propriétaires a changé, surtout à Genève, selon Julian Reymond, de Realstone, lequel souligne aussi les atouts de l’immobilier industriel.

La société Realstone, issue de la fusion de deux directions de fonds immobiliers lausannoises, est active dans la gestion de placements collectifs de capitaux depuis 1961. Elle gère aujourd’hui plus de 4 milliards d’actifs, avec 39 employés. La société romande se concentre sur des produits de placement immobilier sous forme de fonds ou de fondations. Deux fonds sont cotés en bourse, Realstone RSF et Solvalor 61, lesquels représentent la majorité des actifs gérés, et deux autres sont réservés aux investisseurs qualifiés, respectivement aux caisses de pension. Realstone SA a récemment lancé un fonds immobilier industriel. Julian Reymond, CEO, rencontré au siège de la société à Lausanne, répond aux questions d’Allnews:

Pourquoi avez-vous lancé un fonds immobilier industriel? Quels sont vos objectifs?

Nous avons lancé ce fonds fin 2022. Nous avons analysé le «Business Case» de l’immobilier industriel et artisanal depuis 5 ans. Nous nous sommes rendu compte de deux facteurs: La prime de rendement s’élevait à environ 1% par rapport à l’immobilier commercial. Dans le cas de l’achat de halles industrielles récentes dans le canton de Vaud, le rendement brut atteint même 7% et, après déduction des charges, le rendement net est de 5,5% à 6%.

Quel est le 2e élément clé?

Le deuxième facteur est celui d’un risque inférieur à celui de l’immobilier commercial parce que la volatilité est inférieure, avec un secteur plus résistant aux aléas de la conjoncture et un marché transactionnel plus stable avec moins de vendeurs. C’est un marché de niche comportant très peu d’acteurs spécialisés. 

«Nous souhaitons être le gérant de fonds de placement le plus durable, le plus innovant et le plus performant pour nos investisseurs et nos locataires».

Nous avons alors découvert un excellent projet à Bussigny, dans la production de peinture, qui a signifié le début de cette aventure, il y a un peu plus d’un an. Nous l’avons démarrée grâce à un «Sale and Leaseback», un processus dans lequel une entité vend un bien et le reprend en location sur une durée déterminée. Nous avons «dérisqué» la transaction avec un bail à long terme et un prix de location «durable». Comme le prix de vente dépend du contrat de bail: le risque est de céder à la tentation de fixer un prix de location plus élevé que le marché ou non «durable» qui limitera fortement le nombre de locataires potentiels à la fin du contrat et peut signifier également des investissements très élevés.  Nous avons un contrat de bail «durable», à un prix légèrement inférieur au prix du marché. Cela nous permet, à la sortie du locataire actuel, d’en trouver un plus facilement et sans trop d’investissement. 

Nous essayons maintenant de reproduire ce modèle. L’opération est intéressante pour nous et pour l’industriel, lequel veut vendre au meilleur prix sans péjorer son activité. Nous cherchons donc des chefs d’entreprises industrielles ou artisanales qui veulent dégager de la trésorerie pour investir dans le développement de leur business en vendant l’immobilier ou qui cherchent à faciliter la transmission de leur entreprise, à un investisseur ou à un proche, en vendant la partie immobilière. Les investisseurs de cette classe d’actifs sont, pour l’instant, moins les caisses de pension, qui ont atteint leur plafond dans leur allocation immobilière, que des Family offices.

Pouvez-vous décrire les opportunités existantes sur l’immobilier industriel suisse?

Les vendeurs sont presque toujours des industriels. Les opportunités naissent de changements tels qu’une succession ou la volonté de vendre son entreprise. Dans ces cas, nous avons l’opportunité d’apporter une solution très adaptée, avec un loyer qui ne péjore pas le cash-flow de l’entreprise. Et nous nous occupons de la maintenance et de la transition énergétique de l’immeuble et permettons au futur acquéreur de l’entreprise de développer et gérer son entreprise sans avoir les tracas financiers et administratifs de l’immobilier.

Quels sont vos autres projets industriels?

Nous avons repris deux halles. Le propriétaire voulait s’en séparer pour développer ses propres affaires. Nous avons effectué une augmentation de capital à la fin 2023 et avons acheté ces immeubles pour 12 millions de francs. Et nous avons un pipeline de 80 millions de francs, comprenant par exemple des halles industrielles avec une production à l’intérieur, que nous espérons déployer cette année avec de futures émissions de parts. Dans presque tous les cas, soit l’industriel veut vendre à une société tierce soit il s’agit d’une succession. 

Pouvez-vous décrire les risques?

Les principaux risques de l’immobilier industriel sont les risques de défaillance ou départ du locataire et obsolescence du bâtiment. Afin de réduire ces risques nous avons mis en place une méthode d’analyse financière de la santé du locataire avec différents KPIs et nous permet de définir le niveau de loyer, la durée et les garanties du bail. D’autre part, nous définissons également à l’acquisition le niveau du loyer durable et les investissements nécessaires pour maintenir ce loyer. Cela nous permet de planifier de manière rigoureuse nos investissements et réduire notre risque. Outre ces risques, le prix d’achat dépend de la valeur intrinsèque de l’immeuble et de sa valeur de rendement. Cette dernière, en raison de la méthode du discounted cash-flow, est en fonction du loyer: plus il est élevé et plus le prix est élevé. Il faut donc bien connaître le marché local pour ne pas fixer un loyer plus élevé que le marché sous peine de ne pas pouvoir le relouer à terme.  

Quelle est votre avantage compétitif dans ce domaine?

Nous mettons en avant la «pureté» de notre portefeuille, entièrement consacré à la production industrielle et à l’artisanat, alors que les concurrents investissent aussi dans les bureaux et le «retail», ce qui réduit la stabilité et le rendement du produit. De plus, nous nous limiterons aux zones industrielles situées sur le Plateau suisse, le long des axes routiers.

Quelles sont les prochaines étapes de votre expansion dans l’industrie?

Si notre produit répond à la demande, il n’y a pas de raison de fixer une limite, mais nous aimerions rapidement passer la barre des 150 millions de francs. Les actifs sous gestion s’élèvent à 70 millions de francs en ce début d’année. Nous avons débuté avec une clientèle de Family offices et nous pensons rencontrer davantage de demande des caisses de pension.

Est-ce moins risqué que le résidentiel?

Non, le résidentiel est le moins risqué. Par exemple, le fonds Solvalor 61, un pur produit résidentiel romand très peu risqué, offre un rendement de 1,8% parce qu’il est très peu endetté (15%) et se concentre sur Genève (45%) et Lausanne (35%). En revanche, l’immobilier industriel est moins risqué que le commercial.

Comment avez-vous traversé le cycle d’inflation et de hausse des taux d’intérêt?

Des opportunités ont émergé durant cette période, par exemple dans le résidentiel. A Genève, des objets sont maintenant disponibles à plus de 4% de rendement brut, contre 3 ou 3,5% auparavant. Mais cette période a aussi été en partie frustrante, parce que les vendeurs n’étaient finalement pas tous prêts de vendre à ce prix. 

Quelles sont les perspectives pour 2024? Pouvez-vous davantage conclure les transactions?

Le prix est d’emblée placé au niveau adéquat. Certains objets sont même offerts à 5% de rendement. Nous n’avions pas vu de tels prix depuis 6 ou 7 ans. L’état d’esprit des propriétaires et des institutionnels a changé, surtout à Genève. Les négociations partent sur de bonnes bases. 

Sur le plan des investisseurs institutionnels, la situation était ardue en 2023, avec des allocations proches des limites. Le cash rentrant a donc été limité. Mais les caisses de pension sont plus ouvertes cette année à l’égard de cette classe d’actifs. 

Comment allez-vous dorénavant intégrer une inflation qui ne redescendra pas à 0% et comment allez-vous indexer les loyers?

L’inflation exerce un impact légèrement à la baisse sur notre valorisation (DCF). Nous avons revu l’inflation à la hausse en 2023 à 1%.

«Aujourd’hui les meilleures opportunités sont à Genève.»

Quel serait le meilleur environnement possible pour ces 3 prochaines années?

Une stabilité des taux d’intérêt offrirait le meilleur cadre possible. Dès que des craintes de hausse ou de baisse de taux se manifestent, les investisseurs risquent de se crisper. S’il y a une nette baisse, l’immobilier devient un possible remplacement des obligations, mais ce n’est pas le plus probable à très court terme. Avec nos fonds cotés Realstone RSF et Solvalor 61, nous offrons entre 2,8% et 1,8% de rendement sur le dividende, ce qui correspond à une marge claire par rapport au rendement des obligations de la Confédération à 10 ans (0,8%). Le niveau confortable de cette marge est l’une des raisons du retour des institutionnels vers l’immobilier. 

Comment a évolué l’agio sur vos deux fonds cotés?

Realstone RSF se traite avec un faible agio parce que nous avons saisi peu avant l’époque du covid une opportunité d’investissement comportant un taux de vacance notable (5% du fonds) dans l’immobilier commercial à Genève. Il reste environ 50% de cet investissement à commercialiser. Sur l’ensemble du marché suisse, l’agio des fonds immobiliers a nettement baissé en 2023 pour tomber à 5% à un moment, au plus bas depuis deux décennies, et il est remonté en fin d’année dans l’attente d’une baisse des taux d’intérêt. La performance de l’indice des fonds immobiliers (6%) résulte d’ailleurs des 3 derniers mois de l’année dernière. Le fonds Solvalor 61 surperforme avec un gain de 9%. Le fonds Realstone RSF superforme, lui, depuis 3 mois en raison de la solution trouvée pour réduire la vacance citée. 

Est-ce que vos préoccupations majeures sont réglementaires?

La mise aux normes fait partie des principaux défis lorsque nous achetons et gérons un immeuble. Après Genève, Vaud est en train de définir une loi sur l’énergie qui obligera tout propriétaire disposant d’une classe énergétique médiocre à investir pour se mettre à niveau.  

Depuis 3 ans, nous avons défini un plan d’investissement sur tous nos immeubles pour rejoindre un taux d’émission de CO2 le plus bas possible (20 kg de CO2 par m2 par an d’ici 2031). Ces investissements sont peu générateurs de rendement. Pour croître les revenus locatifs et le cash-flow, il faudra faire des densifications avec des rénovations. Ce travail de planification rigoureux nous a pris plus de 2 ans. Nous accompagnons la transition énergétique, car à terme elle a un impact positif sur la valorisation. Un objet neuf ou rénové offre un taux d’escompte inférieur de 10 à 20 points de base à un objet vétuste parce que ses charges sont moindres et qu’il permet une meilleure marge d’exploitation.

Que se passera-t-il pour le segment du marché qui ne sera pas capable d’être mis aux normes?

Nous ne pourrions pas refaire tout notre parc parce que cela coûterait tout simplement trop cher. Nous sommes attentistes sur cette partie-là, dans l’espoir de subventions supplémentaires ou d’exonérations fiscales. Le dossier devrait évoluer et nous attendons des incitations supplémentaires de la part des autorités, que nous essayons par ailleurs de sensibiliser à ces questions importantes.

Nous avons fait le choix de la raison. Avec 75% de notre parc, nous avançons sur cette voie et tiendrons nos objectifs. Nous utilisons la méthodologie de calcul des émissions la plus contraignante (SIA 380). L’AMAS vient de recommander une autre méthode, 15 à 20% plus favorable en termes de résultats. 

Où se situent géographiquement les meilleures opportunités aujourd’hui?

Aujourd’hui les meilleures opportunités sont à Genève. Beaucoup d’institutionnels qui vendaient l’an dernier continuent de vendre en ce moment, avant tout parce qu’ils n’ont pas anticipé les conséquences de la transition énergétique. Nous avons une équipe très qualifiée dans ce domaine. En raison d’exonérations fiscales sur 20 ans, le certificat de performance énergétique genevois rend l’investissement très rentable dans ce canton. Sur tout notre parc, les subventions représentent 10% en moyenne des rénovations. A Genève, ces exonérations les font monter à 40-50% du total, ce qui est non négligeable.

Existe-t-il des partenariats publics-privés?

Pas pour l’instant. Nous participons toutefois aux programmes des autorités en matière de durabilité, autant à Genève qu’à Lausanne, par exemple à des fins d’éducation à l’économie d’énergie. L’impact de ces mesures n’est pas dérisoire sur notre marge d’exploitation. Nous économisons ainsi environ 15% des frais. 

Êtes-vous aussi une régie?

Non, mais nous laissons une faible marge de manœuvre aux régies. Nous définissons le budget et les immeubles à rénover. Nous ne laissons aucune latitude en matière de rénovation. Chaque investissement de plus de 3000 francs conduit à une approbation de notre part. Cette attitude nous distingue clairement de la concurrence. Nous parvenons ainsi, en gérant correctement la rotation des locataires, à générer 1% de croissance organique de nos revenus locatifs sans les surélévations et nous générons un rendement de 10% sur ces investissements. 

Quels sont vos objectifs d’ici 5 ans?

Nous souhaitons être le gérant de fonds de placement le plus durable, le plus innovant et le plus performant pour nos investisseurs et nos locataires. Nous devenons progressivement une vraie référence en matière de durabilité et nous le montrons avec des faits concrets. 

Les méthodes de calcul ne sont pas homogènes à ce sujet. Mais, grâce aux efforts de l’AMAS, cela changera dès 2024. L’historique facilite la comparaison. Pour le fonds Realstone RSF, la moitié du parc est neuf, c’est un avantage. Nous sommes dans une position de favori dans la «course énergétique». L’investisseur peut aussi s’appuyer sur les benchmarks pour nous comparer. Nous avons des notes de 79 à 83 (max. 100) en termes de durabilité avec le benchmark GRESB (à partir de 50% on est considéré comme durable). 

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