Un tapering plus dangereux que l’inflation

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Le 10 ans stabilisé

Le rendement du bon du Trésor US à 10 ans avait presque atteint 1,75% autour du week-end de Pâques, le voici désormais plus proche de 1,50% alors que les statistiques économiques américaines sont de plus en plus encourageantes. Il faut croire que les marchés commencent à s’habituer à l’idée de voir le CPI grimper au cours des trois ou quatre prochains mois sans pour autant paniquer. Il faut constater également que la semaine dernière n’a pas connu d’accident sur le front des adjudications du Trésor, ce qui aurait pu déclencher un sell-off comme en février. L’analyse technique est également favorable puisque les objectifs à atteindre se situent entre 1,44% et 1,40%. Par conséquent, la mode du «tous shorts taux longs» est en train, non pas de disparaître, mais de devenir moins consensuelle. Les publications récentes de statistiques économiques de bonne facture nous indiquent bien que la principale – voire l’unique – crainte des marchés obligataires était bien l’inflation et la réponse que la Fed allait nous donner sur le sujet. Cette accalmie des taux longs est peut-être tout simplement le résultat de discrètes interventions de la banque centrale pour calmer le jeu. Elle est également sans doute la conséquence de la montée du doute sur le succès rapide de la guerre mondiale contre la pandémie. Si de rares pays, comme Israël, le Royaume-Uni ou la Suisse lâchent du lest, de nombreuses régions du monde sont encore gravement touchées, l’Amérique Latine en premier lieu. En Europe, le doute concernant le vaccin AstraZeneca est toujours présent et mardi dernier, la FDA a décidé de suspendre (provisoirement) le vaccin Johnson & Johnson. Cette décision des autorités de santé, dévoilée 90 minutes avant la publication du CPI, a eu plus d’impact sur les marchés que ce dernier, à peine plus élevé que les prévisions (+0,6% MoM et +2,6% YoY). Tout en restant optimistes – il suffit de constater la progression des indices actions à Wall Street – les marchés font preuve de plus de réalisme qu’il y a un mois. La pandémie de Covid n’est pas terminée et la vaccination ne résoudra pas complètement le problème. Dans cet environnement, que faisons-nous sur les taux longs US? Rien pour l’instant et nous le revendiquons. Nous voyons aujourd’hui autant de chances d’aller voir la zone 1,40%-1,44% (dans ce cas, il faudrait être short) que de retourner au-dessus de 1,75% pour se remettre acheteurs du 10 ans dans une fourchette 1,80%-2%. De nombreuses raisons défavorables à la partie longue de la courbe persistent et la plus dangereuse d’entre elles se nomme tapering.

Le steepening de courbe n’est pas terminée et les marchés
obligataires vont continuer à jouer à se faire peur.
75% d’Américains vaccinés et…

La Fed devra envisager le tapering de son programme d’achats obligataires. C’est le Président de la Fed de Saint-Louis, James Bullard, qui l’a affirmé en début de semaine dernière (en sous-entendant que 75% d’une population vaccinée met fin de facto à la pandémie). Nous pensons toujours que le steepening de courbe n’est pas terminée et que les marchés obligataires vont continuer à jouer à se faire peur. Si ce n’est pas le spectre d’un CPI au-dessus de 3%, il va falloir trouver un autre sujet d’inquiétude, voire de panique. Ce sujet est tout trouvé: le tapering et il est vrai que ce dernier peut causer des dégâts considérables, tout le monde ayant en tête le fameux taper tantrum de 2013. Pour la Fed, le tapering n’est pas une option: il faudra le faire tôt ou tard. Lorsque les conditions le permettront, la banque centrale devra resserrer sa politique monétaire mais avant de remonter ses taux (arme conventionnelle), elle devra retirer de son arsenal une grande partie de ses outils non-conventionnels comme le Quantitative Easing. La Fed va être très prudente et elle sait que c’est en termes de communication que tout va se jouer. Jay Powell a déjà prévenu que la Fed évoquera le tapering lorsque les chiffres de l’emploi seront revenus à leur niveau pré-Covid. Les derniers NFP étaient encourageants mais 10 millions d’Américains restent encore sur le carreau! La crainte d’un nouveau taper tantrum pourrait précipiter un steepening trop violent, capable de replonger l’économie US encore convalescente en ralentissement voire récession. Autre problème: Wall Street pourrait, cette fois-ci, très mal digérer la pilule. De grandes banques d’investissement voient le tapering démarrer début 2022, d’autres dès cet été. Nous considérons que la sortie médiatique de James Bullard fait partie d’un plan de communication élaboré pour préparer les marchés à l’idée du tapering sans que cela dégénère comme en 2013. C’est un ballon d’essai qui vient d’être envoyé. Prenons-le comme tel, ni plus, ni moins.

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