Le 10 ans US à 1,60%, stop ou encore?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

2 minutes de lecture

Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Yield Tantrum

Le récent séisme sur la planète taux a l’air de s’être calmé (malgré de bons chiffres de l’emploi US vendredi) mais est-ce une pause avant une réplique? Sinon, peut-on envisager un scénario de stabilisation des rendements longs US sur les niveaux actuels? Un sell-off massif, un «yield tantrum», nous paraît peu probable même s’il s’agit d’un scénario que nous ne pouvons pas totalement écarter. Jusqu’à présent, la Fed a campé sur ses positions en ajoutant de l’incertitude à l’incertitude plutôt que de rassurer les marchés. Toutefois, si les taux nominaux et réels devaient continuer sur leur lancée, la banque centrale US pourrait utiliser de nouveau sa boîte à outils pour éviter un resserrement trop brutal des conditions financières pour l’économie américaine. Sur les niveaux actuels, toute tension supplémentaire sur les taux longs sera certes dommageable pour les portefeuilles obligataires à duration élevée mais plus encore sur les marchés actions et les valeurs technologiques en particulier. 

Les anticipations de hausses des Fed funds
sont très exagérées voire carrément ridicules.

Il est difficile de prédire jusqu’où vont aller le 10 et le 30 ans Treasuries mais nous nous attendons à une pause au cours du second trimestre. Nous estimons qu’une flambée du 10 ans aux alentours de 1,75% serait une belle opportunité d’investissement. Les craintes inflationnistes, exacerbées par le plan de stimulus additionnel de 1'900 milliards de dollars, le comportement de Janet Yellen et Jerome Powell favorisant un steepening de courbe et les flux provenant d’investisseurs institutionnels qui continuaient en début d’année à privilégier les actions au détriment des taux (TINA, mais plus pour très longtemps) ont été des facteurs aggravant du récent sell-off. Ce dernier avait néanmoins besoin d’un événement pour que le mouvement se déclenche et ce fut une adjudication du Trésor US à 7 ans plus que déplorable. Si l’on ajoute des phénomènes non-récurrents (comme par exemple des couvertures de convexité), il est raisonnable de penser que les taux longs ont besoin de souffler. 

Il y a toujours une incompréhension entre la Fed et les marchés. Au début, de mi-janvier à mi-février, les marchés craignaient un «Taper Tantrum II» mais Jay Powell a été très clair sur le sujet. Peut-être même trop clair car désormais on lui reproche d’être trop attentiste en prenant le risque d’être «behind the curve». En tout état de cause, les anticipations de hausses des Fed funds sont très exagérées voire carrément ridicules et les breakevens d’inflation ont atteint leur plafond de verre. Vous l’aurez compris, tout en restant très prudents, humbles et pragmatiques, nous n’excluons pas de revenir sur les taux longs nominaux US (et plutôt sur le 30 ans a priori) d’ici une dizaine-quinzaine de points de base de tension supplémentaire. Nous pouvons nous le permettre, nous avions tout vendu: les taux nominaux en novembre et les taux réels début février (voir notre chronique «bye bye TIPS» du 16 février).

Des crédits pas à l’abri

Dans cette chronique sur les TIPS, nous avions notamment exprimé le sentiment que le breakeven d’inflation avait atteint son plafond de verre et que toute hausse supplémentaire du taux nominal risquait de se répercuter en grande partie sur le taux réel. Nous estimons que dans le même ordre d’idée, les crédits Investment Grade de très grande qualité (au-dessus de BBB) sont risqués car leurs spreads étant devenus très étroits, ces émetteurs corporates deviennent de facto des proxys des emprunts d’états. Ainsi, toute hausse de taux des Treasuries pourrait se refléter dans les rendements des crédits notés AA et A. 

Il est peut-être urgent de ne rien faire à très court terme.

En règle générale, le rôle principal des spreads de crédit est, dans cette configuration de marché, de servir de tampon pour atténuer la remontée des rendements étatiques sous-jacents mais aujourd’hui, le tampon est quasi inexistant. Il faut donc aller chercher de la valeur dans les crédits de qualité inférieure afin de trouver suffisamment de spread-tampon. Et c’est là que le bât blesse: la stratégie est gagnante à partir du moment où les marchés actions présentent un risque de correction faible. Force est de constater que ce n’est pas le cas aujourd’hui et notre embarras est le suivant: il est peut-être urgent de ne rien faire à très court terme car les crédits de trop grande qualité se retrouvent à risque (à cause de la hausse des taux nominaux et réels des emprunts d’états) tandis que les crédits de qualité inférieure pourraient pâtir d’un retournement de Wall Street. 

Nous avons tout de même continué à accumuler quelques dettes hybrides corporates européennes et le récent rebond du baril de Brent au-dessus de 70 dollars fait du bien à nos émetteurs préférés du secteur pétrolier comme Total, Repsol ou BP. Espérons que la situation actuelle va se décanter, dans un sens ou dans l’autre, afin de nous donner l’occasion de saisir de nouvelles opportunités d’investissement à l’aube du second trimestre qui se profile déjà.

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