On part ou on reste?

Victor Cianni, Alpian

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Les marchés reprennent leur souffle, mais l’incertitude demeure. En mai, une question s’impose: partir ou rester investi?

 

J’ai toujours eu un faible pour les paradoxes musicaux. En voici un de taille: un groupe dont le nom même évoque le conflit – The Clash – au bord de la rupture en 1982, qui écrit une chanson sur le doute et l’indécision. Should I Stay or Should I Go? Quelles étaient les chances qu’un tel morceau traverse les âges? Et pourtant, c’est devenu un classique. Comme quoi, un moment de tension peut parfois donner naissance à quelque chose de durable.

Et si cette chanson s’invitait aujourd’hui dans les salles de marché, elle ne serait pas totalement hors sujet. Après un mois d’avril commencé dans la panique et terminé sur un rebond qui se prolonge en mai, les investisseurs, eux aussi, hésitent: faut-il rester investi, ou profiter de l’accalmie pour retirer ses billes? D’autant que nous voilà en mai, ce mois si souvent évoqué dans les cercles financiers avec le célèbre adage: Sell in May and go away.

Dans un contexte d’indécision généralisée, notre lecture du mois dernier s’est avérée plutôt pertinente. Nous comparions alors la stratégie de Trump à un choc exogène, nécessitant un temps d’ajustement de la part des investisseurs – un peu comme une dissonance soudaine dans une partition. Nous anticipions également que trois leviers pourraient aider les marchés à retrouver un semblant d’équilibre: les résistances politiques, les fondamentaux économiques et, en arrière-plan, la perspective de soutiens budgétaires ou monétaires.

Une baisse des taux aux États-Unis offrirait une vraie bouffée d’air aux marchés. Mais pour l’instant, Jérôme Powell, le patron de la Réserve fédérale, s’entête, et les invectives présidentielles n’y changent rien.

Ajustement il y a eu. Le rebond observé en fin de mois a suffi à raviver un soupçon d’optimisme, sans pour autant ramener les marchés à leurs niveaux de février. Il est donc temps de réexaminer ces trois éléments à la lumière des derniers développements. Et, dans l’esprit du morceau qui nous accompagne ce mois-ci, de poser la seule vraie question qui compte: on part, ou on reste?

Commençons par les résistances. Comme prévu, la stratégie audacieuse – pour ne pas dire abrasive – de la Maison Blanche s’est heurtée à des limites. La Chine a tapé du poing sur la table, plusieurs pays ont riposté, Elon Musk a plié bagage... mais progressivement, les tensions cèdent du terrain et les dialogues reprennent. À l’heure où j’écris ces lignes, les deux grandes puissances mondiales ont engagé des discussions à Genève, et les premiers retours évoquent des avancées «encourageantes». Sur un autre front, les négociations entre l’Ukraine et la Russie reprennent également. Autant de signaux qui invitent à rester dans le jeu. Mais ne défaisons pas nos valises trop vite, tout de même: même si des accords sont conclus, les méthodes déroutantes de Donald Trump – et la volatilité qu’elles entraînent – ne disparaîtront pas de sitôt.

Passons aux données économiques. La saison des résultats nous a offert l’occasion de prendre le pouls de l’économie mondiale. Jusqu’ici, les publications ont été globalement rassurantes, souvent supérieures aux attentes. Mais il y a un «mais»: ces chiffres reflètent le trimestre écoulé et ne tiennent pas encore compte des effets potentiels des nouvelles barrières commerciales. Par ailleurs, les dernières données du Bureau of Economic Analysis font état d’une légère contraction de l’économie américaine au premier trimestre 2025. Rien d’alarmant à ce stade – sauf virage présidentiel brutal – et l’on observe par ailleurs une certaine résilience en Europe, notamment en Allemagne, tandis que plusieurs gouvernements semblent disposés à soutenir l’activité. En résumé, la dynamique est fragile, mais pas brisée. On reste donc, mais on ne s’éloigne pas trop de la porte.

Enfin, le troisième levier: la relance monétaire et budgétaire. Une baisse des taux aux États-Unis offrirait une vraie bouffée d’air aux marchés. Mais pour l’instant, Jérôme Powell, le patron de la Réserve fédérale, s’entête, et les invectives présidentielles n’y changent rien. Plusieurs gouvernements de leur côté planchent sur des plans de relance – en Chine, notamment – mais rien de massif n’a encore été concrètement engagé. Cela ne constitue pas un signal de sortie, au contraire: autant d’atouts potentiels à activer si la situation venait à se détériorer.

En résumé, même si de nouvelles turbulences sont probables tant que l’agenda présidentiel restera inchangé, rien ne justifie, à ce stade, un désengagement précipité. Tant que les fondations du marché mondial tiennent, il n’y a pas de raison de sortir. Et puis partir pose une autre question, souvent éludée: pour aller où ? Renoncer à une stratégie de long terme sous l’effet du bruit ambiant pourrait coûter bien plus cher que quelques semaines de volatilité. D’autant plus dans un environnement où les taux d’intérêt en Suisse flirtent à nouveau avec le zéro.

Pour paraphraser The Clash – mais à l’envers: «If I stay there will be trouble, but if I go, there will be double.»

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