Quelques dollars de moins

Victor Cianni, Alpian

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Entre shérifs imprévisibles et tirs tarifaires, les marchés virent au western. Où tombera la prochaine balle?

©Keystone

 

Les marchés financiers ont, ces dernières semaines, des allures de Far West moderne: imprévisibles, agités, et sans foi ni loi. A chaque fois que je regarde mon écran Bloomberg, j’ai l’impression d’entendre le thème mythique du film Le Bon, la Brute et le Truand… Ce célèbre leitmotiv en deux notes – un appel semblable au hurlement d’un coyote – auquel répond un autre instrument, comme un écho dans les canyons. Va donc pour Ennio Morricone et cette bande-son légendaire pour accompagner cette chronique financière.

A moins d’avoir passé les deux dernières semaines en plein désert, vous savez sans doute que les marchés actions ont connu de fortes baisses, avec des variations quotidiennes d’une ampleur que l’on n’avait plus vue depuis la crise du Covid. D’ordinaire, même pour un professionnel de la finance, il est difficile d’expliquer précisément l’origine de tels mouvements : ils résultent de l’interaction de millions d’investisseurs — dont près de 60% sont aujourd’hui des algorithmes.

Mais cette fois-ci, les coupables semblent tout désignés: le shérif Trump et ses tarifs douaniers. Les nouvelles mesures adoptées par le président introduisent une forte dose d’incertitude sur deux plans: les répercussions potentielles d’une guerre commerciale sur les économies mondiales; d’autre part, l’impact concret de ces droits de douane sur l’économie américaine elle-même.

Le diagnostic est rapidement posé sur les autres marchés: des matières premières aux actifs digitaux, c’est le rouge qui domine. Attachons-nous donc à la question qui nous brûle les lèvres: jusqu’où les marchés peuvent-ils encore plonger?

Commençons par une évidence : si les investisseurs peinent à se faire une idée d’ensemble de l’impact des tarifs, ils sont encore plus déstabilisés par le rythme auquel les informations leur parviennent. Tant que ce schéma persiste, il est difficile d’espérer un retour à une moindre volatilité. D’une certaine manière, la situation rappelle celle de la crise du Covid: un choc exogène, brutal, aux conséquences vastes et mondiales. Mais cette crise nous a aussi appris qu’une fois les attentes des investisseurs réajustées — même au prix du deuil d’un certain potentiel de croissance — une nouvelle norme finit par s’installer, et les marchés retrouvent peu à peu une forme de stabilité. Pour l’heure, nous évoluons dans un scénario de prise de bénéfices face à l’incertitude.

Il y a aussi les informations que les investisseurs n’ont pas encore pleinement intégrées et qui pourraient précipiter un rebond. Le véritable juge de paix reste les données économiques: tant qu’elles demeurent solides, il n’y a pas de raison de paniquer.

Par ailleurs, si Trump a jusqu’ici agi sans réelle opposition, le vent tourne. Le mécontentement s’intensifie, tant à l’international qu’aux U.S.— un changement d’ambiance qui pourrait le contraindre à modérer ses ambitions.

Enfin, les états pourraient proposer des plans de relance et les banques centrales se voir obligées de sortir de leur dilemme, et intervenir pour soutenir les marchés… quitte à reléguer la lutte contre l’inflation au second plan.

De ce point de vue, il est frappant de constater à quel point les banques centrales ne sont pas logées à la même enseigne. Pour reprendre une réplique culte du film: «Le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent.» La Fed, elle, a encore quelques munitions. En maintenant des taux relativement élevés, elle s’est donné la possibilité de soutenir les marchés en cas de besoin. La BCE aussi, dans une certaine mesure. La Banque nationale suisse, en revanche, semble davantage du côté de ceux qui creusent. Avec des taux déjà au plancher, des pressions déflationnistes et un franc suisse toujours plus fort, ça ne sent pas bon.

Si nous avons évoqué un scénario probable et positif pour les marchés, nous devons parler de ce qui pourrait mal tourner, car la probabilité n’est pas nulle. Une correction bénigne peut rapidement virer au cauchemar dès lors qu’un ou deux éléments clés s’en mêlent: un effet de ricochet sur le système bancaire, ou une dislocation du marché obligataire. Le marché de la dette américaine — et en particulier celui des bons du Trésor — constitue la colonne vertébrale de la finance mondiale. Il en assure la liquidité, soutient le système monétaire et détermine, en grande partie, le coût du capital. C’est une masse silencieuse, qu’il vaut mieux ne pas bousculer. Or, les actions de Trump ont commencé à l’ébranler. Espérons qu’il s’arrête à temps — sinon, les conséquences pourraient être lourdes pour tout le monde.

En résumé, même si la guerre commerciale devait s’intensifier, les marchés pourraient retrouver une forme de stabilité une fois la phase de digestion passée — d’autant que certains éléments pourraient favoriser un rebond. Mais gardons un œil sur le marché obligataire. Car dans ce Far West financier, mieux vaut savoir qui tient l’arme, qui creuse…et surtout à quel moment entrer en scène.

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