Ce que j’ai dit

Victor Cianni, Alpian

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Tout comme Ray Charles, Donald Trump est un maître du genre responsorial. Alors qu’il lance ses appels, les marchés répondent. Et des opportunités se profilent.

La légende raconte que la chanson «What’d I Say» (Ce que j’ai dit) est née de manière imprévue lorsque Ray Charles, à court de chansons vers la fin d’un concert à Brownsville en 1958, a lancé à ses musiciens et choristes: «Je vais improviser, suivez-moi.» La suite, on la connaît: un classique intemporel, dans le style «appel-réponse», qui a marqué à jamais l’histoire du R&B.

Un autre maître du genre responsorial – mais dans un registre bien différent – vient d’être réélu président des États-Unis, promettant lui aussi un vent de changement. Alors que les nations s’efforcent d’accorder leurs violons et que les marchés financiers ont déjà commencé à swinguer, il m’a semblé tout indiqué de choisir «What’d I Say» pour ouvrir cette chronique.

Car oui, depuis le 5 novembre, tous les projecteurs semblent braqués sur Donald Trump. Et les marchés, eux, semblent déjà avoir une idée bien arrêtée sur la direction que prendra le monde. Du moins, ils se montrent prompts à suivre le tempo chaque fois que le futur président dévoile une nouvelle pièce maîtresse de son gouvernement. Et il y a peut-être dans ces excès de zèle, de futures opportunités à exploiter.

Mais revenons un instant sur la réponse des marchés.

Commençons par ceux qui ont rapidement suivi le président dans son solo. Depuis début novembre, le S&P 500, l’indice phare de la bourse américaine, progresse, porté par un vent d’optimisme. Un air déjà entendu: rappelons qu’en 2016, les marchés avaient déjà accueilli favorablement l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, bien que cette fois-ci, quelques nuances apparaissent. Si la dérégulation et les baisses d’impôts restent des piliers de la politique du nouveau gouvernement, de nouvelles priorités semblent également s’inscrire à l’agenda, poussant certains secteurs, comme l’énergie ou les banques, à la hausse.

Les investisseurs semblent déjà avoir tourné le dos à la plupart des indices européens et asiatiques, qui s'apprêtent à clôturer le mois dans le rouge.

Un autre marché qui chante à tue-tête est celui des actifs digitaux. La nomination, au sein du gouvernement, de plusieurs figures pro-crypto telles qu’Elon Musk, Scott Bessent ou Paul Atkins laisse présager un environnement plus favorable à l’adoption des cryptomonnaies. Le Bitcoin en a profité pour s’imposer sur le devant de la scène, flirtant avec la barre symbolique des 100'000 USD.

Passons maintenant aux marchés qui peinent à suivre le mouvement. Si la présidence de Donald Trump s’annonce sous les meilleurs auspices – soutenue par une «dream team» d’entrepreneurs et une majorité au Sénat – elle n’a pas encore convaincu le marché obligataire, qui s’est lancé dans de savants calculs pour évaluer si les mesures du nouveau gouvernement engendreront davantage ou moins d’inflation.

Or, obtenir le soutien du marché obligataire est crucial pour un gouvernement, surtout avec une dette publique de 35 trillions de dollars et des coûts d’emprunt faramineux. Les exemples récents en témoignent: en 2022, Liz Truss a vu ses mesures économiques rejetées par les marchés britanniques, et ce mois-ci, la France a enregistré un taux d’emprunt supérieur à celui de la Grèce. Lorsque le marché obligataire ne croit pas en un programme politique, il le fait savoir, et ces fausses notes peuvent coûter très cher.

En dehors frontières américaines, les choristes manquent à l’appel également. Les investisseurs semblent déjà avoir tourné le dos à la plupart des indices européens et asiatiques, qui s'apprêtent à clôturer le mois dans le rouge. La perspective de nouveaux tarifs douaniers et de relations internationales plus tendues n'a rien de réjouissant. Quant aux marchés des matières premières, ils ne savent plus exactement sur quel pied danser. La demande reste morose, tandis que l’offre tente de s’ajuster aux tarifs et à la future politique énergétique des États-Unis.

Si, pour l’heure, la réaction des marchés financiers aux annonces du nouveau président américain a été immédiate et, dans une certaine mesure, binaire, la partition reste encore largement à écrire. Et ce, pour plusieurs raisons:

Tout d’abord, la seule chose prévisible chez Trump, c’est son imprévisibilité, et les marchés n’ont pas encore intégré ce facteur dans leurs anticipations. Deuxièmement, même le plus prometteur des gouvernements sur le papier doit faire ses preuves, et il existe souvent un écart entre la théorie et la mise en pratique. Enfin, la réaction des partenaires commerciaux mondiaux a été totalement négligée. L’Europe, l’Asie, le Canada, etc… resteront-ils passifs? 

Ce n’est pas comme s’ils n’avaient pas déjà été mordus une fois par les tarifs, et le jeu des importations et des exportations est bien plus subtil qu’on ne le croit. 

Au final, la réponse des choristes est tout aussi importante que les appels du chanteur leader. Et dans les ajustements et les désaccords résideront les plus belles opportunités d’investissements. Alors affûtons nos oreilles et préparons-nous à entrer dans la danse!

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