Terres rares: ce qui compte, ce sont aussi les capacités de raffinage

Yves Hulmann

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Pour Ole Hansen, expert en matières premières chez Saxo Bank, le seul accès aux terres rares ne suffirait pas pour que les Etats-Unis rattrapent leur retard face à la Chine.

Alors que l’envolée du cours l’or a capté la plus grande partie de l’attention en début d’année dans le secteur des matières premières, c’est maintenant la question de l’accès aux terres rares qui occupe le devant de l’actualité suite à l’offensive menée par Donald Trump dans ce domaine. Quelles sont les chances des Etats-Unis de parvenir à jouer un rôle clé dans le domaine des terres rares toujours plus contrôlé par la Chine? Le point avec Ole Hansen, expert en matières premières chez Saxo Bank qui ne s’attend pas non plus à une remontée des cours du pétrole.

Depuis la mi-février, le cours de l’or a frôlé le seuil des 3000 dollars l’once, ce qui correspond à une hausse de près de 37% sur un an. Anticipez-vous une poursuite de la hausse du cours de l’or?

Cela va dépendre de l’évolution de l’économie mondiale dans son ensemble. Il y a plusieurs facteurs qui vont continuer de soutenir le cours de l’or ces prochains mois – la tendance sous-jacente demeure haussière. Parmi celles-ci, il y a le fait que plusieurs banques centrales continuent à acheter de l’or. Le processus de dé-dollarisation s’est poursuivi dans plusieurs marchés émergents. Certaines banques centrales ont réduit la part des obligations américaines qu’elles détenaient dans leur portefeuille pour les remplacer par d’autres actifs, comme l’or notamment. La tendance s’est encore accentuée depuis que les actifs de la banque centrale russe ont été gelés suite à l’invasion de l’Ukraine. Tous ces éléments ont soutenu la demande pour le métal précieux – et cela a empêché que le cours de l’or évolue «normalement» compte tenu de l’évolution de certains autres paramètres. On peut penser en particulier au dollar et à l’inflation. En principe, le cours de l’or devrait s’affaiblir lorsque le dollar se renforce par rapport à d’autres monnaies. Cela ne s’est toutefois pas passé ces derniers mois, en dépit du renforcement du dollar par rapport à l’euro, par exemple.

«Dans l’ensemble, le pétrole devrait continuer à évoluer dans une fourchette située entre 65 et 80 dollars le baril cette année.»

En outre, la légère remontée de l’inflation aux Etats-Unis depuis l’automne dernier jusqu’en janvier n’a pas non plus eu d’impact sur le cours de l’or. Selon une étude de l’Université du Michigan, la variation attendue des prix au cours des 5 à 10 prochaines années a atteint en février son plus haut niveau depuis 30 ans, en s’établissant à 3,5%.

Autre facteur: les gouvernements, pas plus aux Etats-Unis qu’ailleurs, ne semblent vraiment décidés à réduire les niveaux d’endettement. Cela fait de l’or une valeur refuge aux yeux de certains investisseurs. Pour toutes ces raisons, je pense que la demande restera soutenue pour l’or et de nombreux autres métaux industriels.

Une autre matière première incontournable est le pétrole. Comment expliquez-vous que les cours du pétrole se maintiennent dans une fourchette relativement étroite, entre 70 et 80 dollars le baril, depuis l’automne dernier, alors que la croissance mondiale est plutôt atone, notamment au vu de l’évolution en Chine ou en Allemagne par exemple?

La stabilité des prix du pétrole s’explique principalement par la capacité des pays membres de l’Opep+ d’avoir réduit leur production d’environ 3 milliards de barils. Sans cette réduction de production, il est probable que les prix auraient chuté à un niveau plus bas qu’actuellement. Concernant la suite de 2025, on ne peut pas ignorer le fait que la réduction de production réalisée par les pays de l’Opep a laissé la place à d’autres pays qui ont pu augmenter leur production. Donc, si l’offre globale de pétrole – en incluant à la fois les pays membres et non membres de l’Opep – augmente, cela pourrait s’avérer légèrement négatif à terme sur le prix du pétrole.

Qu’en est-il de la production de pétrole des Etats-Unis?

Il y a eu beaucoup de spéculations au sujet de l’impact d’une possible augmentation de la production de pétrole aux Etats-Unis l’automne dernier. Je ne pense pas qu’il faille accorder trop d’attention au slogan «drill baby drill» de Donald Trump. En effet, les producteurs de pétrole américains sont des entreprises privées qui doivent être profitables. Le WTI se traite à moins de 70 dollars aux Etats-Unis. Les entreprises américaines ne peuvent pas continuer de produire lorsque le prix du pétrole descend beaucoup plus bas de ce seuil – à l’inverse des Saoudiens par exemple dont les activités restent profitables même à 45 dollars. Donc, je ne crois pas tellement à une hausse significative de la production américaine.

«Même si l’Europe avait accès à des terres rares, il est loin d’être certain que cela puisse être viable d’un point de vue économique.»

Les facteurs d’incertitude se situent plutôt du côté de pays comme l’Iran ou le Venezuela. Entre 2017 et 2020, il y a eu une forte chute de la production de pétrole iranien à causes des sanctions américaines prises durant le premier mandat de Donald Trump. Il faudra voir ce qui va se passer au cours des prochains mois. 

Dans l’ensemble, je ne m’attends néanmoins pas à de grands changements du côté de l’offre globale de pétrole – l’évolution de la demande sera alors certainement le facteur le plus déterminant. A ce sujet, l’Opep est plus optimiste quant à l’évolution de la demande de pétrole que l’AIE aussi bien pour 2025 que pour 2026. Dans l’ensemble, le pétrole devrait continuer à évoluer dans une fourchette située entre 65 et 80 dollars le baril cette année.

Ces derniers jours, l’attention du public et des médias a été largement concentrée autour de la question des terres rares. Les tensions entre Donald Trump, qui voudrait inciter l’Ukraine à lui livrer davantage de terres rares, et Volodymyr Zelensky sont encore montées d’un cran en fin de semaine dernière. Peut-on imaginer que l’Europe joue un jour un rôle dans le domaine des terres rares?

En matière de terres rares, il y a deux paramètres bien distincts dont il faut tenir compte: d’un côté, il y a la disponibilité et l’extraction des terres rares. De l’autre, il y a les processus de raffinage. En termes de volumes ou de valeurs, les terres rares ne représentent, en tant que tel, pas grand-chose – en revanche, leur importance est énorme pour certains secteurs économiques. En effet, en l’absence de ces métaux, vous ne pouvez tout simplement pas fabriquer toutes sortes de produits, qu’il s’agisse des smartphones, des appareils électroniques, des panneaux solaires ou de certains équipements de voitures.

Le deuxième point porte sur les capacités de raffinage. La Chine n’est pas le premier extracteur de terres rares mais le pays arrive de loin en tête dans le raffinage. Il s’agit d’activités souvent très polluantes et qui nécessitent des investissements initiaux très élevés.

L’Europe et les Etats-Unis n’ont donc que peu de chances de rivaliser avec la Chine dans ce domaine?

Même si les Etats-Unis parvenaient à avoir accès aux terres rares du Groenland par exemple – ce qui a aussi été un point de tension récemment -, cela ne voudrait pas dire que la première économie mondiale deviendrait du jour au lendemain leader dans ce domaine.

En ayant accès aux ressources en terres rares de l’Ukraine, l’Europe peut certes essayer de jouer un rôle un jour dans ce domaine mais c’est loin d’être gagné, toujours à cause de la question des capacités de raffinage. Les pays européens ont toujours dit non aux techniques de fracking jusqu’ici et ne veulent pas d’activités polluantes sur leur sol. Même si l’Europe avait accès à des terres rares, il est loin d’être certain que cela puisse être viable d’un point de vue économique.

Pour l’instant, le top 3 des plus grandes entreprises dans le domaine des terres rares sont toutes chinoises. Viennent ensuite un ou deux entreprises australiennes. Pour que les choses changent, il faudrait que des entreprises européennes se lançant dans les terres rares disposent d’un large soutien gouvernemental - et je ne suis vraiment pas sûr que les choses vont évoluer dans cette direction. 

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