Le premier mois de l’année s’est caractérisé par un rebond des actions européennes, alors que les actions américaines ont fait du surplace, pénalisées notamment par la correction qui a affecté certaines valeurs liées à l’intelligence artificielle la semaine dernière. Comment se positionner au mieux dans un tel environnement lorsque l’on investit en actions? Que faut-il attendre en matière de politique monétaire et comment cela peut-il impacter les placements en obligations? Le point avec Shaan Raithatha, économiste senior au sein du groupe de stratégie d’investissement de Vanguard.
En décembre et durant la première moitié du mois de janvier, beaucoup d’attention a été portée sur la remontée des rendements des bons du Trésor à 10 ans aux Etats-Unis qui sont remontés à près de 4,8%, avant de se replier quelque peu ensuite (4,53% fin janvier). En termes d’investissements, quelles seraient les conséquences, en particulier, pour les placements en obligations, si les taux devaient remonter aux environs de 5% ou dépasser ce seuil?
De notre point de vue, un environnement de taux pour les bons du Trésor à 10 ans, situés aux environs de 4,5% à 5%, est plus favorable que s’ils évoluaient dans une fourchette de l’ordre de 1,5 à 2%. Avec des taux de l’ordre de 4,5 à 5%, les marchés peuvent évoluer dans les deux directions. A l’inverse, lorsqu’ils sont déjà à des niveaux extrêmement bas, comme c’était le cas au début des années 2020, les rendements ne peuvent pratiquement qu’aller dans le sens d’une hausse, ce qui se traduit par une diminution en termes de prix. Des taux d’intérêts plus élevés créent un point de départ plus favorable pour investir dans les obligations et améliorent le rapport risque-rendement.
«Malgré l’assouplissement de la politique monétaire entamée par les banques centrales, nous continuons de penser que les taux directeurs resteront à des niveaux plus élevés que durant les années 2010.»
De manière générale, un environnement de «sound money», qui se caractérise par des taux d’intérêts réels positifs, jette les bases pour des revenus solides dans le domaine des produits à revenu fixe durant la décennie à venir. Malgré l’assouplissement de la politique monétaire entamée par les banques centrales, nous continuons de penser que les taux directeurs resteront à des niveaux plus élevés que durant les années 2010.
Vanguard semble être en revanche être plus prudent au sujet des actions américaines. Pourquoi?
Dans le cadre de nos prévisions pour 2025 présentées en décembre, nous avions déjà souligné que les perspectives favorables pour les marchés obligataires, combinées avec des anticipations plus prudentes à long terme pour les actions américaines, signifiaient que des portefeuilles plus défensifs seraient plus appropriés, étant donné que la rémunération excédentaire obtenue pour les risques supplémentaires encourus était désormais plutôt basse en comparaison historique. Dans l’ensemble, nous avons ainsi une vue plus prudente pour les actions américaines.
Est-ce à cause de valorisation désormais jugées trop élevées pour les actions américaines ou pour d’autres raisons?
Lorsque l’on part de niveaux de valorisations plus élevés, cela va tendenciellement réduire les rendements obtenus sur le long terme. D’un point de vue historique, l’expérience montre qu’en l’absence de chocs économiques ou sur les bénéfices des entreprises les marchés des actions aux Etats-Unis parviennent parfois à défier la gravité en termes de valorisation sur le court terme.
Tout au long de 2024 et au début de 2025, la question de la forte concentration de la performance des marchés des actions américaines en lien avec les «Sept Magnifiques» a suscité de nombreux débats. Certains experts redoutent cette trop grande dépendance des marchés envers quelques entreprises, alors que d’autres analystes relativisent ce risque. Qu’en pensez-vous?
Historiquement, il faut se rappeler qu’il n’est pas si inhabituel que la performance d’indices comme le S&P 500 soit tirée avant tout par une poignée de titres. Ce n’est pas une situation propre à la Big Tech – il y a déjà eu des phases similaires par le passé.
Dans le cadre d’une gestion active, c’est un aspect que l’on ne peut pas ignorer. Souvent, vous avez un portefeuille plus étroit et nettement plus concentré que si vous optez pour la gestion passive. En agissant ainsi, vous pouvez capturer de l’alpha si vous sélectionnez les bons titres mais vous augmentez aussi le risque de manquer d’investir dans ces cinq, six ou sept actions qui généreront une grande partie de la performance des marchés. C’est pourquoi notre message est plutôt de dire: restez largement diversifié.
La forte correction de 17% de l’action Nvidia survenue lundi dernier signifie-t-elle que les investisseurs feraient mieux de réduire l’exposition de leur portefeuille aux valeurs technologiques et à celles liées à l’intelligence artificielle (IA) au cours de 2025?
Le rôle de l’IA est très intéressant à analyser en lien avec la Big Tech et les Sept Magnifiques. Si vous êtes d’avis – et c’est notre scénario principal – que l’IA va devenir une technologie adoptée de manière générale dans toutes sortes de secteurs, d’une façon similaire à l’essor de l’ordinateur personnel et d’Internet durant les années 1990 ou de l’adoption de l’électricité dans les années 1920, vous feriez alors mieux d’avoir une exposition très large au marché des actions. Et non pas de vous focaliser uniquement sur les valeurs technologiques. Ces dernières intègrent déjà en grande partie dans leur prix les attentes concernant l’IA. En revanche, la prochaine étape en termes de gains de productivité pourrait profiter à des secteurs tels que la santé, la défense, les services aux collectivités, etc. C’est pourquoi je pense qu’il vaut mieux garder une exposition très large aux marchés des actions afin de pouvoir capturer ces futurs gains de productivité.
«Si vous êtes d’avis – et c’est notre scénario principal – que l’IA va devenir une technologie adoptée de manière générale dans toutes sortes de secteurs, vous feriez alors mieux d’avoir une exposition très large au marché des actions.»
Sur un plan plus macroéconomique, vous soulignez le rôle joué par les facteurs liés à l’offre, tels que la croissance de la productivité et la disponibilité de la force de travail, qui ont façonné l’économie américaine. Pourquoi faut-il particulièrement tenir compte de ces aspects lorsque l’on investit?
Justement parce qu’il s’agit de facteurs déterminants dans une optique de long terme. Si l’on considère l’aspect de la productivité, il faut se demander pourquoi celle-ci a été tellement plus élevée aux Etats-Unis que dans le reste du monde, y compris en ce qui concerne l’Europe. Et cela pas seulement au cours des deux à trois dernières années mais également durant les vingt à vingt-cinq dernières années.
Pour quelle raison est-ce le cas?
Une des raisons principales à cette situation est l’écart important constaté à la fois en matière d’innovation, d’investissements ou dans les technologies. Ensuite, il y a la capacité pour les start-up, les entrepreneurs et les fondateurs à disposer d’un environnement suffisamment favorable pour créer une entreprise.
Ne s’agit-il pas d’une interprétation subjective?
Cet écart s’observe de différentes manières. Une statisque d’un rapport de Mario Draghi, publié à la fin de l’année dernière, soulignait l’aspect suivant: au cours des cinquante dernières années, aucune entreprise européenne partant de rien n’a atteint une capitalisation boursière un peu supérieure à 100 milliards d’euros actuellement. Si l’on fait la même comparaison avec les Etats-Unis, six entreprises également parties de rien au cours des cinquante dernières années affichent désormais une capitalisation boursière total dépassant 1 trillion de dollars.
«Parmi les cinquante plus grandes compagnies technologiques mondiales, seules quatre sont européennes. Il devrait y en avoir beaucoup plus compte tenu de la taille de la population et des économies européennes.»
Autre comparaison: parmi les cinquante plus grandes compagnies technologiques mondiales, seules quatre sont européennes. Il devrait y en avoir beaucoup plus compte tenu de la taille de la population et des économies européennes.
Comment cet écart s’explique-t-il?
D’une part, les économies européennes sont moins dynamiques pour la création de nouvelles entreprises. Il y a moins de destructions créatrices qui permettent ensuite de réallouer les ressources vers de nouvelles entreprises et de nouveaux modèles d’affaires.
D’autre part, le marché du travail en Europe est aussi beaucoup moins flexible. Aux Etats-Unis, le taux de chômage a certes bondi à près de 10% suite au Covid-19 mais il est redescendu très vite aux alentours de 4%. D’un point de vue macroéconomique, cela permet de réallouer des personnes de secteurs présentant une faible productivité à des secteurs plus productifs, de faire passer des emplois peu productifs à d’autres qui le sont davantage.
Cela parle-t-il donc toujours en faveur des actions américaines sur le long terme?
On voit ce qui s’est produit par le passé – et c’est une évolution qui est déjà en grande partie intégrée dans les prix. Les choses peuvent toutefois aussi évoluer dans l’autre sens, si des entreprises ou des industries en Europe parvenaient à surprendre positivement. Dans l’immédiat, il n’y a toutefois que peu de raison de penser que ce «gap» entre les Etats-Unis et l’Europe va se disparaître du jour au lendemain.