De l’impact de la hausse des droits de douane aux Etats-Unis

Stephen S. Roach, Université de Yale

4 minutes de lecture

Sur les sept dernières années, les droits de douane ne représentent que 1,8% du total des recettes fédérales. Les augmentations de la période Trump 1 n’ont pas eu d’impact significatif.

©Keystone

 

Il est impossible de prédire le résultat d’une expérience aléatoire. C’est pourtant un exercice auquel nous allons devoir nous livrer pour tenter de donner un sens à la nouvelle ère Trump.

La seule véritable observation que je puisse formuler en ces premiers jours de nouvelle présidence des Etats-Unis, c’est que la période Trump 2.0 débute là où s’était achevée Trump 1.0 – c’est-à-dire sur des distorsions, sur une logique alambiquée, et sur un risque connexe de bourdes politiques majeures. Un aperçu prédictif peu brillant, me direz-vous, mais qui transmet à peu près l’idée de ce qui nous attend.

Je pourrais m’attarder sur plusieurs mesures prises par Trump le jour de son retour au pouvoir, mais c’est principalement son mémorandum détaillant sa «politique commerciale de l’Amérique d’abord» qui a retenu mon attention d’économiste. Ce texte aborde un certain nombre de sujets sur lesquels j’écris depuis des années – déficits commerciaux, pratiques commerciales déloyales, harmonisations monétaires et, bien entendu, droits de douane – et porte un regard critique sur les perspectives économiques des Etats-Unis et du monde.

Plutôt que de revenir sur ces différentes questions litigieuses, je préfère me concentrer sur la section 2(b) de ce mémorandum, à savoir la proposition de Trump de créer un «External Revenue Service». L’ERS, dont l’intitulé viendrait malicieusement compléter celui de l’«Internal Revenue Service» (l’autorité fiscale américaine), serait chargé de collecter les importantes recettes douanières que Trump entend avec insistance amasser auprès des partenaires commerciaux étrangers des États-Unis, et consacrer au financement de son ambitieux programme MAGA. C’est tout simplement absurde.

Le style de gouvernance de Trump, en particulier ses déclarations fracassantes, illustre une dangereuse personnalisation de la politique américaine.

Pour commencer, cela s’inscrit à l’encontre de la définition générale des droits de douane et des flux de recettes qui en résultent. Les droits de douane, ou tarifs douaniers, correspondent à une taxe sur les biens étrangers vendus aux Etats-Unis, prélevée auprès des importateurs à l’arrivée des marchandises sur le territoire. Oui, les recettes tarifaires ont nettement augmenté sous Trump 1.0. Le Service des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis a collecté en moyenne 79 milliards de dollars de droits de douane par an après la première hausse des droits de douane décidée par Trump en 2018, soit plus du double des 37 milliards de dollars prélevés entre 2013 et 2017. Pour autant, sur la période des sept dernières années, les droits de douane représentent seulement 1,8% du total des recettes fédérales.

Le Bureau du budget du Congrès américain estime que les recettes cumulées provenant des droits de douane au cours de la prochaine décennie s’élèveront à 872 milliards de dollars, soit environ 1% des recettes fédérales sur cette période. Si c’est avec cela que Trump espère remplir les caisses de l’ERS, il convient de lui rappeler un élément essentiel : les recettes tarifaires sont perçues auprès des importateurs nationaux américains, pas des producteurs étrangers.

La question du financement de l’ERS est bien entendu accessoire par rapport au débat houleux de longue date sur l’impact potentiel des droits de douane. Les importateurs absorbent-ils les coûts associés, et réduisent-ils leurs marges de profit en conséquence? Répercutent-ils davantage ces coûts sur les consommateurs américains, sous la forme de prix plus élevés? Préfèrent-ils exercer une pression sur leurs fournisseurs étrangers pour que ceux-ci réduisent leurs propres marges, afin que les importateurs puissent conserver leur part de marché aux Etats-Unis? Ou encore, et c’est le plus probable, fonctionnent-ils selon une combinaison de tous ces aspects?

Quelle que soit la réponse apportée à ces questions, l’élément essentiel demeure : les droits de douane sont perçus auprès des entreprises américaines qui importent des produits étrangers. Le Trésor américain n’est pas habilité à collecter des recettes directement auprès d’entreprises domiciliées à l’étranger. Son diplôme obtenu à Wharton n’a visiblement pas empêché Trump d’éluder à maintes reprises ce point pourtant fondamental.

Une autre insuffisance s’observe dans la stratégie douanière de Trump: son aboiement pourrait se révéler plus effrayant que sa morsure. La simple menace de prélèvements pourrait certes conduire à des concessions politiques de la part de partenaires commerciaux de l’Amérique. Trump s’est montré clair sur ce point, mettant en garde le Canada et le Mexique, par exemple, sur de possibles droits de douane de 25% sur tous les produits à partir du 1er février, si tous deux échouaient à contrôler le flux de fentanyl et de migrants vers les Etats-Unis.

Trump a proféré des menaces similaires à l’encontre de la Chine, afin d’inciter celle-ci à lutter contre les exportations de composés précurseurs du fentanyl, ainsi qu’à conclure un accord concernant TikTok. Bien que les droits de douane de 10% qu’il menace d’imposer sur les produits chinois soient sans commune mesure avec le niveau de 60% évoqué par Trump durant sa campagne, cette nouvelle augmentation apparemment minime vient s’ajouter à la forte hausse du taux tarifaire effectif auquel la Chine est confrontée depuis 2018. Que les droits de douane soient ou non appliqués pour servir une stratégie de négociation plus large auprès d’adversaires étrangers, la source de financement de l’ERS proposé par Trump reste la même : les importateurs américains.

La proposition d’ERS ne constitue que l’une des parties d’un mémorandum très vaste, qui couvre tous types de sujets allant des déficits commerciaux jusqu’à la manipulation monétaire, en passant par les transferts technologiques et les pratiques commerciales déloyales (telles que les subventions et les taxes extraterritoriales discriminatoires). Le texte remet en question le respect d’un certain nombre d’accords commerciaux existants, tels que l’accord Etats-Unis-Mexique-Canada, et se prononce sur plusieurs des questions les plus controversées vis-à-vis de la Chine, notamment sur l’accord dit «de phase 1» conclu en 2020, sur le principe de relations commerciales normales permanentes avec la Chine, ainsi que sur les allégations de vol de propriété intellectuelle et de risques liés à la chaîne d’approvisionnement.

A bien des égards, ce mémorandum ressemble aux instructions générales confiées par Trump en 2017 à Robert Lighthizer, son premier représentant au Commerce, qui avaient préparé le terrain de la guerre douanière déclarée l’année suivante par Trump à la Chine. Les médias américains et chinois suggèrent qu’un Trump avant tout désireux de conclure des deals viendrait édulcorer les projets de droits de douane controversés sur lesquels il a fait campagne. Je ne suis pas d’accord avec eux. Sa première semaine de retour au pouvoir rappelle en effet de manière inquiétante les premiers jours de Trump 1.0, qui n’avaient pas vraiment été synonyme de paix et de tranquillité sur le front commercial.

Le style de gouvernance de Trump, en particulier ses déclarations fracassantes, illustre une dangereuse personnalisation de la politique américaine. Qu’il s’agisse des grâces accordées aux insurgés du Capitole, de son retrait de l’Accord de Paris sur le climat et de l’Organisation mondiale de la santé, ou encore de sa décision de mettre fin à la citoyenneté par le droit du sol, la stratégie de choc et d’effroi employée par Trump constitue bien davantage une stratégie marketing que le fruit d’une réflexion et de consultations approfondies.

C’était déjà le cas pour la politique commerciale des Etats-Unis durant le premier mandat de Trump, et ce le sera probablement à nouveau sous Trump 2.0, comme l’illustre l’exemple absurde du financement de l’ERS. L’imprévisibilité de Trump est toutefois également essentielle à sa marque, car elle ne permet pas de savoir quand un aboiement sera suivi d’une morsure. Comme l’avait ordonné Trump aux Proud Boys (qui avaient par la suite joué un rôle central dans l’organisation de la violente insurrection du 6 janvier 2021), «Rester en retrait, et tenez-vous prêts».


 

Copyright: Project Syndicate, 2025.

www.project-syndicate.org

A lire aussi...