Terres rares: un nouveau front dans la guerre technologique

Zouhoure Bousbih, Ostrum AM

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La Chine utilise son monopole sur les composants clés des semi-conducteurs pour faire pression sur les Etats-Unis.

©Keystone

 

Le 3 décembre, la Chine a déclaré avoir interdit les exportations de gallium, germanium et d’antimoine, vers les États-Unis. Ces minéraux rares sont importants dans le processus de fabrication de semi-conducteurs, d’équipements militaires et pour un usage industriel général. Cette annonce intervient un jour après que les États-Unis ont renforcé les restrictions sur les exportations de puces avancées vers la Chine. Cette nouvelle mesure des autorités chinoises élargit les restrictions déjà en place depuis juillet 2023 sur le gallium et le germanium et d’octobre 2023 sur le graphite. Cela sonne comme un avertissement pour la future administration Trump qui devrait renforcer les restrictions technologiques contre la Chine.

Le monopole de la Chine sur les terres rares

Les terres rares sont des minerais critiques dans les technologies modernes, allant des téléphones portables aux énergies renouvelables. Bien que ces minerais soient abondants sur la planète, les gisements économiques exploitables sont rares, ce qui en fait des matières premières stratégiques.

Depuis l’annonce des restrictions chinoises l’année dernière, les prix du gallium ont augmenté de 80% et ceux du germanium ont plus que doublé.

La Chine détient un monopole sur l’approvisionnement mondial, représentant 85% à 95% de la production de terres rares. Depuis 2010, lorsque la Chine avait suspendu temporairement ses exportations de terres rares vers le Japon, à la suite d’un incident maritime, l’inquiétude est montée aux Etats-Unis et en Europe sur la possibilité qu’a la Chine d’utiliser sa position de monopole comme arme diplomatique. Malgré la relance de la production mondiale de terres rares après la crise de 2010 et la diversification des sources d’approvisionnement, la Chine continue de dominer la production mondiale de terres rares. Les Etats-Unis représentent 12% de la production et les autres pays, comme le Brésil, l’Inde, l’Australie et la Malaisie, 19% de la production mondiale en 2023, loin derrière la Chine.

Si la Chine domine la production de terres rares, elle domine également tout le processus de transformation et de raffinage. En effet, l’extraction et le traitement des terres rares a des impacts environnementaux et sanitaires graves, en raison d’une combinaison de réglementation faible, de techniques obsolètes et d’exploitation minière illégale.

La Chine représente 85% du traitement des terres rares, suivie de la Malaisie (23%). Ces deux pays sont les deux seuls au monde ayant une importante capacité de raffinage.

Washington a ravivé les tensions avec Pékin

L’administration américaine a ravivé les tensions avec Pékin en imposant, lundi 2 décembre, de nouvelles restrictions à l'exportation de puces électroniques vers la Chine et en sanctionnant de nombreuses entreprises chinoises. Ces sanctions visent notamment les puces mémoire à haute bande passante HBM, cruciales pour le développement de l'intelligence artificielle, ainsi que divers outils et logiciels de fabrication de semi-conducteurs, y compris ceux produits par des pays tiers, comme Singapour et la Malaisie. Washington a également ajouté 140 entreprises chinoises à sa «liste des entités», interdisant ainsi le commerce avec des sociétés américaines et celles des pays alliés. Ce sont les contrôles les plus stricts jamais imposés par les Etats-Unis pour diminuer la capacité de la Chine à produire les puces les plus avancées qu’elle utilise dans sa modernisation militaire.

Le gallium et le germanium sont deux minerais qui faisaient déjà l’objet de licences d’exportations par la Chine (juillet 2023), imposant aux vendeurs de communiquer des informations à propos de l’acheteur et de ses plans. Ces minerais sont cruciaux pour l’industrie de défense américaine.

Depuis l’annonce des restrictions chinoises l’année dernière, les prix du gallium ont augmenté de 80% et ceux du germanium ont plus que doublé, sans engendrer de distorsions dans les chaines d’approvisionnement mondiales, car les licences d’exploitation sont des documents fastidieux à remplir, mais permettent d’assurer l’approvisionnement en minerais.

La Chine lance un avertissement

Par le contrôle de ses exportations en terre rares, la Chine signale qu’elle peut mettre en place un véritable contrôle des flux en ciblant des minerais à double usage, civil et militaire, car cela permet de justifier ses restrictions dans le cadre de l’accord de Wassennaar qui donne le droit aux Etats de ne pas exporter des produits qui pourraient menacer leur sécurité nationale. Il existe des alternatives, mais les coûts de raffinage des terres rares sont élevés et la Chine a longtemps dominé leur production à bas prix, ce qui a limités les infrastructures d’extraction ailleurs. Le risque d’escalade est donc élevé. La Chine pourrait utiliser son monopole sur les terres rares pour inonder le marché de ses produits en contrariant la montée en puissance d’autres pays, comme elle l’avait fait avec ses terres rares dont les prix étaient bas. C’est le cas pour le graphite, matériau crucial pour les anodes des batteries électriques. Une interdiction d’exporter le graphite pourrait contrarier la montée en puissance de l’industrie des batteries électriques européennes.

La Chine a également demandé à ses entreprises du secteur de l’automobile, des semi-conducteurs et de l’Internet, d’être prudentes dans l’achat de puces américaines et de favoriser les alternatives chinoises ou de pays tiers. A l’approche de l’investiture de Donald Trump, cela sonne comme un avertissement contre un risque d’escalade qui pourrait avoir de graves conséquences pour le secteur technologique mondial.

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