Message des taux longs: l’inflation est de retour

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

2 minutes de lecture

Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

Une erreur peut en cacher une autre

Il y a six mois, nos craintes d’une erreur de politique monétaire de la Fed grandissaient jour après jour. Nous avions la désagréable impression que Jay Powell et ses collègues du FOMC négligeaient le ralentissement qui s’annonçait, trop obnubilés par la lutte contre l’inflation. Le malade risquait de mourir guéri d’une inflation jugulée au prix d’une récession. Puis septembre est arrivé et ce fut comme si nous nous retrouvions à un passage à niveau devant le panneau «attention, un train peut en cacher un autre». Nous avons bien eu droit à notre erreur de la Fed mais pas du tout à celle que nous attendions. Aujourd’hui Jerome Powell assure qu’il n’y a pas d’urgence à baisser les taux. Alors pourquoi diable les avoir baissés de 50bp d’un coup en septembre? Les taux longs américains ne s’en sont toujours pas remis.

Le début de cette correction n’était pas lié à un quelconque retour des craintes inflationnistes. Il s’agissait en effet d’un mouvement logique, conséquence du «jumbo rate cut». La Fed avait compris, elle devenait dovish agressivement, le risque de récession diminuait fortement voire disparaissait. Peu de temps après, les chiffres d’inflation repartaient à la hausse et remettaient à la mode le «higher for longer». Cerise sur le gâteau, Trump a gagné haut la main le 5 novembre et les anticipations d’inflation repartaient à la hausse. L’inflation est de retour et voici pourquoi: parce que vous êtes en train de lire une chronique obligataire, pas une chronique macroéconomique! Il s’agit exactement du même argument que nous utilisions il y a six mois lorsque nous affirmions un brin provocateur que la récession arrivait aux Etats-Unis.

Plus personne ne veut remettre de la duration sur les niveaux actuels.

Peu importe pour nous, dont le métier consiste à gérer des portefeuilles censés délivrer de la performance, si l’inflation va repartir durablement à la hausse ou s’il s’agit d’un phénomène «transitoire». L’inflation est déjà repartie parce qu’un 10 ans à 4,5% ou un 20 ans au-dessus de 4,75% (contre respectivement 3,60% et 4% il y a pile deux mois) nous le disent clairement et douloureusement. Il ne faut pas confondre notre jargon obligataire avec les termes techniques utilisés par les économistes. En mai, la communauté obligataire dans sa grande majorité nous disait «la récession arrive, il faut acheter du 10 ans à 4,6%», en septembre après la Fed elle ajoutait «le risque de récession disparaît, nous revendons à 3,6%» et depuis quelques semaines, le mot d’ordre est plutôt «l’inflation est bel et bien de retour, ne retouchons pas au 10 ans avant qu’il retourne à 5%». L’inflation, ou plutôt ce que nous considérons être de l’inflation dans notre univers fixed-income, a donc déjà fait son grand come-back parce que plus personne ne veut remettre de la duration sur les niveaux actuels. CQFD.

5 ans TIPS – 10 ans nominal, «pente inversée»?

La semaine dernière, nous mentionnions déjà nos deux convictions majeures pour cette fin d’année 2024. Premièrement, nous ne souhaitons pas remettre de la duration avant que le 10 ans ne s’approche de 5% et ensuite, si cela devait arriver, nous regarderons si le 5 ans TIPS n’est pas un investissement plus smart que le 10 ans nominal. Les mouvements de marché de la semaine dernière ont attisé notre curiosité. En effet, si le 10 ans a fait une incursion au-dessus de 4,5%, le 5 ans TIPS s’est rapproché de 2%. Même s’il est encore prématuré d’envisager de tels investissements, nous pouvons déjà remarquer un phénomène amusant : tout investisseur dont les anticipations d’inflation sur les cinq prochaines années dépassent 2,5% a plutôt intérêt à investir en 5 ans TIPS. Notre stratégie n’est pas de profiter d’une «pente inversée» mais de se contenter d’une «pente plate». Du 5 ans à 5% (TIPS à 2,4% réel combiné à une anticipation d’inflation à 2,6%) nous comblerait.

Un mot rapide sur les crédits pour terminer. Les spreads ont atteint leur niveau de 1998 et autant dire que ce n’est pas un argument permettant d’envisager sereinement des investissements en corporate bonds. Ces derniers profitent de la bonne tenue de Wall Street mais pour encore combien de temps? Nous avons dû récemment nous séparer d’un crédit Investment Grade pour des raisons purement liées à la détérioration de son score ESG. Nous l’avons remplacé par un investissement dans une Agence Gouvernementale. Le «spread give-up» était sans commune mesure avec la différence de risque émetteur. Armons-nous de patience, les opportunités s’offriront à nous prochainement sur les crédits qui, tôt ou tard en 2025, redeviendront incontournables.  

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