Les 4% qui dérangent la BCE
La dernière réunion de la BCE à Ljubljana s’est avérée un non-événement, tant les attentes des marchés collaient parfaitement à la politique menée par la banque centrale. Pourtant, avec une croissance qui pique du nez et une récession déjà bien présente en Allemagne (excusez du peu), nous aurions pu imaginer une BCE plus agressive, n’hésitant pas à employer la manière forte à l’instar de son homologue de Washington et son «jumbo rate cut». Elle pouvait sans doute se le permettre avec un CPI Eurozone retombant sous les 2% à 1,8%. Elle ne l’a pas fait pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le CPI Core de la zone euro s’élève à 2,7%; nous sommes donc encore loin des 2%.
Ensuite, comme nous l’avons souvent répété, les vingt membres de la zone ne sont pas tous logés à la même enseigne. L’hétérogénéité des CPI est impressionnante, du 0% irlandais aux 3,3% néerlandais. Du côté des bons élèves, mentionnons l’Italie (0,7%), la France (1,4%), l’Espagne (1,7%) et l’Allemagne (1,8%). Dans le club des «au-dessus des 2%», les Pays-Bas sont voisins de la Grèce (3,1%), de la Slovaquie (2,9%) et du Portugal (2,6%). Mais le véritable caillou dans la chaussure de la BCE, c’est un +4% qui peut remettre en cause la tendance baissière de l’inflation. Ce +4% correspond aux augmentations de salaires constatées dans la zone euro. Quoiqu’on en dise, les Européens sont en train de voir leur pouvoir d’achat se reconstituer petit à petit. Ce +4% est donc tout sauf déflationniste.
Etre la banque centrale d’un pays est déjà une mission très compliquée mais de vingt pays qui de surcroît ne roulent pas à la même vitesse, c’est un défi colossal et permanent.
Voilà pour l’inflation! Passons à la croissance maintenant: la récession touche de grands pays «core» comme l’Allemagne et sans doute la France dans un avenir proche. L’ironie de l’histoire est savoureuse: les pays périphériques, surnommés «Club Med» ou PIGS, sont en train de devenir la locomotive de la zone euro tandis que nos amis d’outre-Rhin sont péniblement à la traîne. Voir un jour la Bundesbank supplier la BCE d’assouplir sa politique monétaire plus agressivement dépassait il y a encore peu les frontières de l’inimaginable mais aujourd’hui nous y sommes presque. C’est un second +4% qui freine la BCE dans ses ardeurs dovish. Ce dernier correspond à la croissance économique espagnole. Il faut donc laisser la BCE baisser ses taux lentement mais sûrement: 25bp à chaque réunion ce n’est déjà pas si mal. Cela correspondrait à 3% en fin d’année, 2,5% fin mars et 2% fin juin. La conclusion est toujours la même: être la banque centrale d’un pays est déjà une mission très compliquée mais de vingt pays qui de surcroît ne roulent pas à la même vitesse (tant en termes d’inflation que de croissance), c’est un défi colossal et permanent.
Des marchés obligataires ennuyeux?
Sur les marchés obligataires, nous avons connu des moments plus intéressants. Le dernier en date, les taux longs américains de fin avril à mi-septembre. Aujourd’hui nous cherchons en vain des stratégies attrayantes sans être démesurément risquées. La duration, que ce soit en dollars (US Treasuries) ou en euro (Bund) n’a pas nos faveurs actuellement, surtout aux Etats-Unis. C’est trop tard et sans doute encore trop tôt. Un 10 ans se rapprochant de 4,5% nous ferait peut-être changer d’avis. Les crédits sont horriblement chers et le marché primaire ne nous enthousiasme guère. Après les premières baisses de taux des banques centrales, la partie courte en buy-and-hold est moins évidente tandis que les crédits longs sont désormais à risque, leur faible spread ne rémunérant pas suffisamment le risque de duration plus longue.
Toutefois, l’ambiance n’est pas si morose que ce que les arguments ci-dessus laissent entendre. Nous venons en effet de construire un portefeuille diversifié en dollars qui réussit à atteindre 5% de rendement pour une vie moyenne de quatre ans et demi. Nous avons conservé notre stratégie des fameux quatre piliers (Crédits IG, émergents, US Treasuries et hybrides en euro hedgées en dollars). Toutefois, atteindre 5% n’étant pas une sinécure, nous avons dû ramener le poids des Treasuries à 7% (dont la moitié en TIPS) et celui des crédits Investment Grade classiques à 28%. Afin de tirer vers le haut le rendement sans pour autant prendre trop de risque, nous avons ajouté 40% de marchés émergents (gouvernements et crédits) et 25% de dettes corporates hybrides en euros couvertes en dollars. Cet exercice de style présente deux avantages. Premièrement, il n’est pas totalement farfelu de trouver du 5% à moins de 5 ans avec un risque maitrisé. Ensuite, il s’agit d’une base solide pour décliner ce portefeuille en versions un peu moins agressives avec un profil risque/volatilité/rendement plus conforme avec les besoins d’une clientèle institutionnelle en mal de repères. Même lorsqu’ils semblent ennuyeux, les marchés obligataires sont toujours pleins de ressources et d’opportunités.