Le marché du Private Equity européen a connu des bouleversements majeurs ces dernières années. La combinaison de la pandémie de Covid-19, des incertitudes géopolitiques liées à la guerre en Ukraine, et une inflation galopante ont provoqué une contraction rapide et brutale des marchés côtés fin 2022. A cela s’est ajoutée la hausse des taux d’intérêt, qui a redéfini les règles du jeu pour les acteurs du capital-investissement. Néanmoins, après près de deux ans de ralentissement marqué, 2024 montre des signes de reprise encourageants, même si celle-ci reste prudente et sélective.
Un modèle économique perturbé par la hausse des taux d’intérêt
Historiquement, le Private Equity s’est épanoui dans un environnement de taux bas. Ces conditions permettaient aux fonds d’optimiser leur levier financier à travers des opérations de LBO (Leverage Buy-Out), où l’endettement joue un rôle clé dans l’acquisition des entreprises cibles. Or, avec la flambée des taux initiée par les banques centrales pour contrer l’inflation, les coûts de financement se sont alourdis et ont forcé les acheteurs à revoir leurs prix à la baisse.
Le marché s’est donc retrouvé confronté à un double défi: d'une part, la difficulté croissante à lever des fonds à des conditions favorables; et d'autre part, la baisse attendue des valorisations par les acheteurs. Conséquence: une grande prudence s’est installée, ralentissant les opérations et gelant de nombreuses transactions entre 2022 et 2023.
Une reprise progressive en 2024
Depuis le début de l’année 2024, nous observons cependant une reprise du marché, même si celle-ci reste modérée par rapport aux niveaux d'avant-crise. Les investisseurs reviennent, mais avec une approche beaucoup plus sélective. La baisse des valorisations d’entreprises est de plus en plus acceptée par les vendeurs reste un facteur de ralentissement du marché. Mais elle devient également une opportunité pour les acteurs du Private Equity. Ces périodes de correction permettent en effet de réaliser des acquisitions à des niveaux plus raisonnables, favorisant des stratégies d’investissement à long terme.
Comme le précise le cabinet PwC, se basant sur une analyse de Pitchbook, «le stock mondial de sociétés de portefeuille de fonds de Private Equity est maintenant passé à plus de 27'000, et près de la moitié d'entre elles sont entrées en portefeuille avant 2020, ce qui signifie que beaucoup sont à la recherche d’opportunités de sortie.»
Pour autant, la prudence reste de mise. Si certains secteurs, comme la technologie et la santé, continuent d’attirer les fonds, les investisseurs privilégient désormais des entreprises ayant prouvé leur résilience à travers les cycles. On assiste aussi à un regain d’intérêt pour les stratégies de «buy-and-build», permettant de consolider plusieurs entreprises dans un même secteur pour générer des synergies, optimiser les coûts fixes dans un environnement de taux élevés et créer des champions.
Les secteurs porteurs de la reprise
Parmi les secteurs qui suscitent le plus d’intérêt, la technologie et la santé restent des valeurs refuges pour les investisseurs. Dans la technologie, après des ajustements de valorisation conséquents, des domaines comme l’intelligence artificielle et la cybersécurité se démarquent pour leur potentiel de croissance à long terme. De son côté, la santé continue d’offrir des perspectives solides, avec une demande structurelle en hausse, portée par le vieillissement de la population européenne et les innovations médicales.
Le Private Equity face à un nouvel équilibre
La reprise du marché du Private Equity en Europe repose donc sur un nouvel équilibre, où les conditions macroéconomiques ne permettent plus l’euphorie des années passées. Les investisseurs sont appelés à faire preuve de plus de discernement, en se concentrant sur des actifs de grande qualité et en ajustant leurs stratégies en fonction des nouveaux paradigmes économiques.
Pour réussir dans ce contexte, les fonds devront allier patience, diversification et expertise. Les périodes de crise créent souvent des opportunités d’achat uniques, mais elles exigent une vision claire et à long terme, loin des attentes de gains rapides.
Par ailleurs, dans l’univers du Private Equity, la sélection rigoureuse des gérants et des deals est essentielle pour générer des rendements durables et maîtriser les risques. Un gérant ne doit pas seulement être évalué sur son track record historique, mais aussi sur sa capacité à traverser des cycles économiques, à aligner ses intérêts avec les investisseurs, à activer des leviers de croissance internes et externes et à mettre en place des méthodes industrielles robustes («le playbook»).
La sélection des deals exige une due diligence approfondie, tenant compte non seulement des fondamentaux financiers, mais aussi des perspectives sectorielles, de la résilience du business model et de la qualité du capital humain. La sélectivité permet ainsi d'éviter les effets de mode, tout en garantissant des rendements ajustés au risque sur le long terme.
Vers une spécialisation des fonds
Le secteur du Private Equity connaît une montée en puissance des fonds spécialisés, qui offrent une expertise sectorielle plus pointue que celle des fonds généralistes. La spécialisation permet de mieux identifier les opportunités, de gagner la confiance des dirigeants et de créer de la valeur grâce à une connaissance approfondie des sous-secteurs. Les fonds peuvent être hyperspécialisés, multi-sectoriels ou thématiques, chacun présentant des avantages en termes de diversification ou de flexibilité. Bien que la spécialisation s'impose dans les segments plus compétitifs, les fonds généralistes restent performants dans les marchés plus petits et moins concurrentiels.