La duration revient sur le devant de la scène
Depuis la crise financière de 2008 et la répression économique instaurée par les banques centrales à l’aide de leurs programmes d’assouplissement quantitatifs, les obligations à longues échéances avaient quelque peu perdu en attractivité. Le peu d’attrait qui leur restait a disparu au lendemain de la crise du Covid, lorsque ces mêmes banques centrales injectèrent massivement des liquidités dans le marché faisant chuter les rendements obligataires. De fait, il ne semblait guère pertinent d’investir en obligations à long terme avec des rendements proches de zéro.
Depuis 2021, en revanche, nous avons vu un changement de paradigme, avec le retour de l’inflation qui a forcé la Fed, notamment, à relever ses taux directeurs avec une intensité encore jamais vue auparavant. Aujourd’hui, la banque centrale américaine est sur le point d’entamer un cycle de réduction de ces taux (qui sont restés inchangés autour de 5,25% depuis juillet 2023), sur fond de ralentissement économique marqué par un marché de l’emploi plus faible. Ces craintes sur la croissance font enfin rebaisser la corrélation entre les actions et les obligations et, dans un tel contexte, la duration redevient intéressante pour la construction d’un portefeuille d’investissement.
Favoriser les durations courtes à intermédiaires
Dans un souci de simplicité, cantonnons-nous aux marchés développés et prenons le taux 10 ans américain comme proxy pour les obligations de plus longues maturités. Pour déterminer mécaniquement une valeur cible théorique pour ce rendement, nous pouvons partir du taux directeur neutre de la Fed, donné par son dernier «dot plot» en juin (2,8%) et y ajouter une prime temporelle qui variera en fonction de la période de référence et qui se justifie notamment par les incertitudes liées à l’inflation future. Historiquement, cette prime entre le taux directeur de la Fed et les rendements américains à 10 ans a été de 1 à 2% ou de 0,5% à 1,5% depuis la crise financière de 2008. En prenant des moyennes, nous pouvons ainsi conclure que le rendement à 10 ans américain devrait se situer à 4,3%, si l’on part du principe que nous quittons le paradigme qui a prévalu depuis la crise financière, ou à 3,8%, si l’on estime que nous sommes toujours dans un contexte similaire. A l’heure d’écrire ces quelques lignes, le taux américain sur dix ans est à 3,66%. On peut donc en conclure que, en théorie et en l’absence d’un atterrissage brutal marqué par une récession aux Etats-Unis, les cours des emprunts à long terme (qui évoluent inversement aux rendements) sont légèrement surévalués par le marché. A cela s’ajoutent des fondamentaux peu rassurants sur la pérennité du budget américain, avec des déficits comparables à ceux des lendemains de la deuxième guerre mondiale. L’investissement dans ce genre de placement ne semble donc pas approprié.
Une option qui semble plus raisonnable et qui permet néanmoins d’ajouter un peu de duration à un portefeuille serait d’opter pour une duration courte à intermédiaire. Ici, nous pouvons prendre le taux à deux ans par exemple. En répliquant la même analyse que pour les taux longs, on obtient une prime temporelle historique de 0,5% à 1% et d’à peu près zéro pour la période suivant la crise financière, ce qui nous donne des valeurs cibles théoriques entre 2,8% et 3,55% selon le contexte macro-économique, alors que le rendement actuel est de 3,56%. On voit ici que la valeur du marché et le prix théorique sont plus en ligne et qu’il existe même une opportunité si l’on reste dans un marché similaire à la période post crise financière.
Le contexte de l’investisseur
En réalité, il n’existe pas de solution exacte universelle quant au choix de la duration au sein d’un portefeuille car chaque portefeuille a ses propres caractéristiques répondant aux besoins du client. Ainsi, une approche privilégiant la partie longue de la courbe peut tout de même se justifier pour couvrir notamment le risque lié à un portefeuille très exposé aux actions cycliques par exemple. Il convient donc avant tout de bien identifier les contraintes de risques et de rendements propres à chaque portefeuille avant de faire son choix. Ensuite, il est important d’intégrer un point de vue macro-économique pour décider de la prime temporelle à ajouter dans le rendement cible de chaque échéance. Ces éléments ne se veulent pas exhaustifs, mais devraient pouvoir aider les investisseurs obligataires dans leurs décisions d’allocation à l’heure où la duration retrouve enfin sa popularité.