Rapport de l'OCDE sur la corruption en Suisse

OCDE

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Augmentation significative du nombre de poursuites et condamnations pour corruption transnationale. Mais les mesures restent insuffisantes. Extraits.

Le rapport de Phase 4 du Groupe de travail de l'OCDE sur la corruption dans les transactions commerciales internationales évalue et formule des recommandations sur la mise en oeuvre par la Suisse de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Le rapport détaille les réalisations et les défis particuliers de la Suisse à cet égard, notamment en ce qui concerne la mise en oeuvre des mesures de lutte contre la corruption transnationale, ainsi que les progrès réalisés par la Suisse depuis son évaluation de Phase 3 en décembre 2011.
Place financiere
La Suisse occupe une position de premier plan, parfois dominante, dans un certain nombre de secteurs économiques qui jouent un rôle déterminant dans son économie tout en l'exposant à des risques de corruption transnationale relativement aigus. Tout d'abord, la place financière suisse revêt une grande importance pour l’économie nationale. En 2016, ce secteur a contribué à hauteur de 9,1 % du PIB.7 Environ deux tiers des banques sont étrangères ou opèrent également à l’échelle internationale, ce qui met clairement en évidence la forte imbrication internationale de la place financière suisse.8 Elle se caractérise par une grande diversité de prestataires de services financiers spécialisés. Un des points forts comprend notamment la gestion de fortune (le volume de fonds privés transfrontaliers sous gestion équivaut à environ 26 % du marché mondial de la gestion de fortune transfrontalière). De par son poids économique et financier et ses caractéristiques propres, la place financière suisse présente donc des risques accrus d'utilisation à des fins criminelles, notamment à travers le blanchiment d’argent, y compris le blanchiment de la corruption transnationale. Ce constat est également celui des autorités suisses. À ce sujet, le MPC a souligné qu’il conduisait, au 31 décembre 2016, plus de 70 instructions pour blanchiment d’argent ayant pour infraction sous-jacente la corruption transnationale.
Multinationales et négoce des matières premières
De nombreuses entreprises multinationales ont leur siège en Suisse et la Suisse a l’un des taux les plus élevés au monde d’entreprises multinationales par habitant. Ces entreprises (définies en tant qu’entreprises ayant un siège social en Suisse et en tant que filiales suisses d’entreprises multinationales étrangères) représentent une part importante du PIB suisse (35%) et procurent du travail à environ 25% de la population active totale. De par leurs activités, elles sont exposées à un risque accru et avéré de corruption dans les échanges internationaux. Parmi celles-ci, certaines sont actives dans des secteurs très exposés à la corruption transnationale: le secteur pharmaceutique qui représentait, en 2016, 12.2 % des exportations mondiales de produits pharmaceutiques, plaçant la Suisse parmi les grands pays exportateurs internationaux du secteur et les échanges de produits de base qui génèrent plus de 3% du PIB suisse. Le négoce effectué en Suisse concerne surtout des matières premières qui n’entrent ni ne sortent physiquement de Suisse. Les catégories de négoce comprennent notamment les produits agricoles, les pierres et métaux et les produits énergétiques. À l’échelle mondiale, la Suisse abrite quelques-unes des plus grandes entreprises de négoce ainsi que de nombreuses entreprises de taille moyenne. Environ un tiers du commerce mondial de pétrole se fait depuis la Suisse. Les risques de corruption sont particulièrement élevés dans ce secteur du fait des acteurs impliqués (entreprises publiques, agents publics étrangers), des gains potentiels très élevés, de l'opacité entourant les ventes elles-mêmes et de l'absence de règlements spécifiques ou de normes internationales régissant ces transactions. Ces risques sont reconnus par les autorités suisses et ont été particulièrement bien identifiés par Public Eye dans plusieurs de ses publications et largement relayées dans les médias. Le MPC a par ailleurs indiqué conduire plusieurs procédures pénales pour corruption transnationale dans ce secteur. Ces affaires étaient toujours en cours d'instruction au moment de la finalisation de ce rapport.
Sociétés Boîtes aux lettres
La Suisse héberge un grand nombre de «sociétés boîtes aux lettres» ou sociétés de domicile. La caractéristique principale des sociétés de domicile est qu’elles n’ont pas d’activité opérationnelle: elles n’exercent pas d’activité de commerce ou de fabrication ou une autre activité exploitée en la forme commerciale. Les sociétés de domicile sont largement utilisées à des fins de gestion patrimoniale par une clientèle fortunée. Entre 2004 et 2014, 38.1% des cas de corruption impliquaient des sociétés de domicile.
«climat d'intimidation» de la presse
Si la Suisse peut se targuer d'une impressionnante liberté de la presse, elle traverse néanmoins une période de turbulences comme l'ont confirmé les journalistes d'investigation rencontrés par l'équipe d'évaluation. Le journalisme suisse rencontre des difficultés croissantes à publier des informations sensibles touchant aux intérêts économiques puissants. Ces difficultés sont jugées de nature à réduire la liberté des journalistes de révéler des affaires de corruption transnationale ou en lien avec la criminalité économique.Les journalistes rencontrés ont notamment signalé un «climat d'intimidation» les poussant à s'autocensurer, la difficulté de protéger leurs sources et d'enquêter sur les sujets jugés sensibles. Enfin, ils ont été unanimes à dénoncer la difficulté d'accès aux décisions de justice (y compris les ordonnances pénales du MPC) et le manque de transparence qui en découle.
Augmentation des poursuites pour corruption transnationale
Depuis sa dernière évaluation, la Suisse peut se targuer d'une augmentation significative du nombre de poursuites et condamnations pour corruption transnationale: six personnes physiques et cinq personnes morales ont été condamnées dans cinq affaires. Un grand nombre d'affaires de corruption transnationale étaient en cours d'instruction au moment de la rédaction de ce rapport. Le Groupe de travail souhaite souligner en particulier l'action répressive significative du Ministère Public de la Confédération qui produit ses effets tant au niveau national qu’international. Malgré ce constat, il est attendu que la Suisse accentue ses efforts de mise en oeuvre de l'infraction de corruption transnationale. Le Groupe de travail y attachera un intérêt particulier dans un contexte où plusieurs décisions de justice pourraient avoir favorisé une interprétation restrictive de cette infraction ainsi que la responsabilité des personnes morales. En ce qui concerne les affaires conclues, le Groupe de travail regrette que les sanctions imposées ne soient pas effectives, proportionnées et dissuasives comme le prévoit la Convention, notamment à l'égard des personnes morales, ce qui est de nature à altérer l'effet dissuasif de ces condamnations. Enfin, faire mieux connaitre l'action répressive des autorités et la rendre plus prévisible et transparente devrait passer par une plus grande publicité donnée aux affaires conclues, en permettant d'en publier le contenu le plus largement possible. Ceci est d'autant plus important que la grande majorité des affaires de corruption transnationale conclues à ce jour l'a été hors des tribunaux, en ayant recours à des procédures n'impliquant pas nécessairement l'intervention d'un juge. Le Groupe de travail se félicite également de la politique volontariste de la Suisse en matière de saisies et confiscation et d'une pratique ancrée en la matière qui produit des résultats. Il souligne en outre la participation active de la Suisse à l'entraide judiciaire et au recours à des pratiques, telles que l’entraide dynamique, à même de rendre cette dernière plus performante. Ainsi, il soutient une révision de la loi suisse sur l’entraide judiciaire en cours afin de formaliser l’entraide dynamique et de favoriser une coopération internationale plus prompte et efficace.
Protection insuffisante des lanceurs d'alerte
En matière de détection, le Groupe de travail souhaite saluer et voir perpétuer le rôle clé joué par le MROS, la Cellule de renseignement financier suisse en matière de détection de la corruption transnationale. Il note que les avocats, les notaires, les comptables et les réviseurs ne sont pas en mesure de contribuer à cette détection, n'étant pas associés à la lutte contre le blanchiment de capitaux comme le prévoient les standards internationaux. Enfin, le Groupe de travail regrette l'absence d'un cadre légal et institutionnel visant à la protection des lanceurs d’alerte dans le secteur privé et appelle une réforme en la matière dans les meilleurs délais.
Le rapport et ses recommandations reflètent les conclusions d'experts de l'Autriche et de la Belgique et ont été adoptés par le Groupe de travail [le 15 mars 2018]. Le rapport se fonde sur la législation, les données et autres documents fournis par la Suisse et les recherches effectuées par l'équipe d'évaluation. Le rapport s'appuie également sur les informations obtenues par l'équipe d'évaluation lors de sa visite sur place à Berne en septembre 2017, au cours de laquelle l’équipe d’évaluation a rencontré des représentants de la Confédération et des administrations cantonales, du secteur privé, des médias, de la société civile ainsi que des parlementaires et des universitaires. La Suisse présentera un rapport oral au Groupe de travail dans un an (mars 2019) portant sur l'adoption d'une législation appropriée destinée à protéger contre toute action discriminatoire ou disciplinaire les employés du secteur privé qui signalent des soupçons de corruption d’agents public étrangers (recommandations 1(a)). Dans les deux ans (mars 2020), la Suisse présentera un rapport écrit au Groupe de travail sur la mise en oeuvre de toutes les recommandations et sur ses efforts de mise en oeuvre de la Convention.