La Suisse introduira un registre fédéral des ayants droit économiques pour lutter contre le blanchiment d’argent. Le Conseil national a soutenu jeudi un projet largement assoupli par le Conseil des Etats. La question des avocats-conseils sera traitée à part.
Le projet du Conseil fédéral vise à éviter que les criminels n’accèdent au système financier suisse via des entreprises ou des sociétés boîte aux lettres opaques.
Les sociétés devront à l’avenir annoncer l’identité de leurs ayants droit économiques dans un registre fédéral. Le registre électronique, qui ne sera pas public, sera tenu par le Département fédéral de justice et police. Le projet se base sur les normes internationales en la matière.
La Suisse à la traîne
Actuellement, la Suisse est à la traîne en matière de lutte contre la criminalité économique. «Dans 167 des 196 Etats du monde, les informations sur les ayants droit économiques sont disponibles sous une forme ou sous une autre», a déclaré Nadine Gobet (PLR/FR) pour la commission. Si la Suisse ne suit pas les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), elle risque de se retrouver sur une liste grise.
Raphaël Mahaim (Vert-e-s/VD) a rappelé l’importance de la lutte contre le blanchiment d’argent. «C’est capital pour débusquer des crimes bien plus graves. On parle de financement du terrorisme, de corruption, de fraude fiscale, de la mafia, du crime organisé, du pillage des ressources naturelles», a-t-il énuméré.
Le Vaudois s’est indigné des modifications apportées par le Conseil des Etats qui a vidé le projet de sa substance. Le PLR a lui justement salué une loi assouplie qui évite une surrèglementation pour les entreprises.
La droite pour une loi svelte
«On ne veut pas de swiss finish», a déclaré Simone Gianini (PLR/TI). La Suisse veut toujours jouer l’élève-modèle, mais elle est dotée d’un système qui fonctionne, a renchéri Philipp Matthias Bregy (Centre/VS). «Aller au-delà du projet en l’état risquerait de se retrouver avec rien», selon lui.
L’UDC doutait elle de l’utilité de la nouvelle loi. Ce registre ne suffira pas pour lutter contre la criminalité économique, mais répond à une pression internationale. Il va entraîner une énorme surcharge administrative pour les petites entreprises familiales, a lancé Michaël Buffat (UDC/VD) qui a critiqué un «voyeurisme institutionnalisé». Sa demande de non-entrée en matière a été nettement rejetée.
La ministre des finances Karin Keller-Sutter a admis que les criminels trouveront toujours d’autres moyens pour cacher leurs activités. Mais la loi marque une étape importante pour assurer l’intégrité de la place financière suisse, a-t-elle souligné.
Fondations et associations dispensées
Dans le détail du projet, la Chambre du peuple s’est ralliée au Conseil des Etats sur deux points importants.
Le National est d’accord de dispenser les fondations et les associations de l’inscription au registre de transparence. Au grand dam de Christian Dandrès (PS/GE) pour qui «la criminalité internationale se fiche éperdument de la forme juridique lorsqu’il s’agit de blanchir de l’argent».
Le Conseil national est aussi d’accord de supprimer du projet l’obligation d’annoncer les rapports de fiducie, soit les situations dans lesquelles une personne gère un patrimoine, mais en son nom propre pour le compte de quelqu’un d’autre. «Il y a donc une absence totale de transparence», a critiqué Raphaël Mahaim. Il s’agit surtout de sociétés-écrans qui cachent les personnes impliquées, a ajouté la conseillère fédérale. En vain.
Signalement des divergences
Par 96 voix contre 92, le National n’est par contre pas d’accord avec le Conseil des Etats pour exempter les intermédiaires financiers de signaler les divergences entre les informations du registre de transparence et celles en leur possession. La gauche a invoqué avec succès la fiabilité du registre.
Le National a également biffé un ajout du Conseil des Etats visant un principe de présomption d’exactitude des inscriptions dans le nouveau registre. Un tel ajout risque d’entraîner une charge et des coûts considérables, selon M. Bregy.
Droit d’accès limité
L’accès au registre sera réservé aux autorités de police, pénales et administratives, de la Confédération et des cantons dans le cadre de la lutte contre le blanchiment. Les intermédiaires financiers pourront aussi consulter en ligne les données du registre, dans la mesure où ces données sont nécessaires à l’accomplissement de leurs obligations.
La gauche aurait voulu inclure un droit d’accès pour les autorités fiscales ainsi que pour les médias et les ONG. Sans succès. L’UDC a tout autant échoué à limiter drastiquement le nombre d’institutions ayant un droit de regard.
Avocats-conseil pour plus tard
En décembre dernier, le Conseil des Etats a retiré du projet les nouvelles obligations imposées aux avocats et notaires pour les traiter à part. Il se penchera sur ces modifications la semaine prochaine. Le Conseil fédéral ne s’est pas opposé à cette manière de procéder.
Au vote sur l’ensemble, le projet a passé la rampe par 117 voix contre 63. Le projet retourne à la Chambre des cantons.