Au cours des trois dernières années, la réglementation dans l'investissement durable a fortement augmenté, passant d'une approche centrée sur la transparence à des définitions et seuils spécifiques. Cette approche facilite le contrôle, ce qui répond à un besoin, mais peut être trop restrictive pour les investisseurs actifs qui évaluent les entreprises individuellement et peuvent nuancer leur jugement. Conséquence de ces nouvelles règles: des entreprises à fort potentiel financier et durable peuvent se retrouver exclues des univers d'investissement.
Un exemple patent est la règle de l'ESMA sur le nom des fonds, qui entrera en vigueur en mai 2025. Cette règle exige que les fonds dont le nom comporte des termes liés à la durabilité, tels qu'«ESG» ou «environnemental», respectent les exclusions de l'Indice Aligné sur l'Accord de Paris (PAB). Cela implique l'exclusion des entreprises tirant 50% ou plus de leurs revenus de la production d'électricité avec une intensité d’émission de gaz à effet de serre supérieure à 100 g CO2e/kWh. Ce seuil est basé sur les objectifs de décarbonisation de l'UE, mais ne tient pas compte des trajectoires convenues dans d'autres pays, excluant ainsi potentiellement des entreprises respectant les engagements de l'Accord de Paris dans leur propre pays.
Les investisseurs pourraient retirer leurs capitaux des fonds qui suivent le Paris-Aligned Benchmark et les diriger vers ceux qui adhèrent au Climate Transition Benchmark, moins strict.
Cette règle ne prend pas non plus en compte les différences entre les stratégies des entreprises. Comment comparer une entreprise avec 45% de production électrique fossile sans plan de décarbonisation à une autre avec 51% d'énergie fossile mais un plan ambitieux de transition? Ou encore une entreprise produisant à 51% à partir de charbon versus une autre à 51% à partir de gaz naturel?
Chez Quaero Capital, nous avons étudié le secteur des utilities aux Etats-Unis pour vérifier s'il était aligné sur nos engagements de neutralité carbone et nos politiques d'exclusion, tout en considérant l'impact de la règle ESMA. Par exemple, NextEra, l'un des plus grands développeurs d'énergie renouvelable aux Etats-Unis, serait exclu d'un fonds ESG en raison de sa dépendance encore importante au gaz naturel, malgré ses investissements massifs dans les énergies renouvelables et la fermeture de ses centrales à charbon et à pétrole.
L'outil Transition Pathway Initiative (TPI) montre que NextEra fonctionne déjà bien en dessous des seuils requis pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. Cet outil, développé par des investisseurs institutionnels, la London School of Economics et le Grantham Research Institute, évalue si les plans de réduction d'émissions d'une entreprise sont en ligne avec les objectifs sectoriels et géographiques de décarbonisation. Malgré cela, NextEra serait exclue simplement parce qu'elle tire plus de 50% de ses revenus d'énergies fossiles.
Nous estimons que ce type de règle favorise injustement les jeunes entreprises 100% renouvelables au détriment des grandes entreprises traditionnelles en pleine transition. Or, les deux types d'acteurs sont essentiels pour réussir la transition énergétique mondiale, et il serait contre-productif de favoriser l'un au détriment de l'autre.
Les réactions du marché montrent une autre conséquence inattendue: les investisseurs pourraient retirer leurs capitaux des fonds qui suivent le Paris-Aligned Benchmark (PAB) et les diriger vers ceux qui adhèrent au Climate Transition Benchmark (CTB), moins strict. Cela pourrait entraîner des changements de noms de fonds pour éviter les restrictions imposées par le PAB.
La réglementation est cruciale pour lutter contre l'écoblanchiment et réguler l'industrie, mais nous pensons qu'il est important de conserver une liberté critique dans l'évaluation des entreprises à inclure dans les fonds ESG.