Le droit de l’employeur d’imposer des vacances

Serge Fasel & Théo Goetschin, FBT Avocats

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Dans ce contexte de crise sanitaire, la question de savoir si l’employeur est en droit d’imposer des vacances à ses employés déchaîne les débats.

La crise sanitaire actuelle a rarement autant déchaîné les débats doctrinaux qu’à ce jour. Pour donner du crédit à leurs opinions, certains auteurs tentent de déstabiliser des institutions qui permettent de conserver un équilibre fragile dans les relations entre employés et employeurs.

Alors que la crise sanitaire provoque une déstabilisation généralisée de nos institutions et fait apparaître le spectre d’une récession, il convient de s’inquiéter de la mise en péril des institutions qui offrent à l’employeur des outils essentiels pour préserver l’entreprise et donc les emplois.

Le droit d’imposer des vacances par l’employeur en cas de crise est dans le viseur de nombreuses têtes bien-pensantes. Toutefois, ces dernières semblent oublier que la majorité des entrepreneurs et chefs d’entreprise luttent quotidiennement pour la conservation d’emplois et planifient des solutions d’urgence pour éviter les licenciements collectifs. Leur ôter un tel droit se ferait inévitablement au détriment de postes de travail.

I. La notion de vacances

Le droit aux vacances est considéré comme «le droit du travailleur à une période d'interruption du temps de travail prolongée, continue et rémunérée, ne nécessitant pas de travail compensatoire, dont la durée et les dates sont déterminées à l'avance, durant laquelle le travailleur doit pouvoir effectivement se remettre de la fatigue accumulée en cours d'année et pendant laquelle il dispose d'un libre choix de son emploi du temps dans la limite et le respect de son devoir de fidélité»1.

L’employeur doit respecter un délai de préavis suffisant pour permettre à ses travailleurs
de s’organiser et de préparer leurs éventuels projets de vacances.

L’interruption de travail offre à l’employé la faculté de se déplacer et de séjourner dans des lieux situés en dehors de son cadre de vie et de travail2.

La doctrine distingue donc l’aménagement du droit aux vacances qui peut consister à voyager ou à accomplir des projets personnels, du fondement même du droit aux vacances qui est le repos de l’employé.

II. La fixation de vacances en général

Lors de la fixation des vacances du personnel, l’employeur doit, respecter un délai de préavis suffisant pour permettre à ses travailleurs de s’organiser et de préparer leurs éventuels projets de vacances. En pratique, l’employeur communique les dates des vacances au travailleur au moins trois mois avant qu’elles ne soient prises3.

Toutefois, dans certaines circonstances exceptionnelles, «des délais plus courts peuvent être admis»4.

La notion de «vacances forcées» concerne un ensemble plus large de personnes. Les auteurs la définissent comme la «période de vacances rémunérées prises par l'ensemble ou une certaine catégorie du personnel, sur prescription unilatérale de l'employeur»5.

L’employeur peut imposer de telles vacances lorsque celles-ci apparaissent comme «absolument nécessaires en raison de circonstances extraordinaires mettant l’entreprise en sérieuse difficulté»6.

Quant à la quotité des vacances imposées, «l’employeur peut être fondé à fixer des vacances forcées couvrant la totalité du droit aux vacances annuel» et même au-delà, lorsque leur durée est supérieure à celle du droit aux vacances auquel le travailleur peut prétendre par année7.

La crise sanitaire actuelle, dont la gravité et l’imprévisibilité sont notoires semble justifier, plus que jamais, la concrétisation de cette faculté octroyée à l’employeur, qui est certes brutale, mais économiquement nécessaire.

Les règles de confinement, la situation économique, sociale et sanitaire
ne sont guère propices à la détente et au repos psychique.

Cette conclusion pratique, qui est en accord avec la position de la doctrine dominante, ne semble pourtant pas être évidente pour tous.

III. La fixation de vacances dans le contexte de la crise sanitaire actuelle

Dans une récente parution, certains auteurs confirment en partie la position qui précède: «[l]a situation actuelle liée au COVID-19 nous paraît manifestement remplir [les] conditions [de nécessité et de situation extraordinaire]»8.

Si les auteurs précités reconnaissent que la situation est extraordinaire, ils affirment qu’«il ne peut toutefois être fait abstraction du second paramètre, celui de la possibilité pour le travailleur de bénéficier de jours de repos qui correspondent au but des vacances»9).

La justification de cette position surprenante est la suivante: «les règles de confinement imposées par le Conseil fédéral, la situation économique, sociale et sanitaire et le climat anxiogène ne sont guère propices à la détente et au repos psychique, et ils ne permettent pas au travailleur de se consacrer aux activités de son choix. On peut comparer cette situation à celle du travailleur malade. Une incapacité de travail implique généralement une incapacité de prendre des vacances, car l’objectif de détente ne peut être atteint. [(…)] On verrait mal un employeur imposer des vacances forcées à un travailleur malade»10.

Si la comparaison de la situation d’un employé forcé de prendre des vacances aujourd’hui à celle d’un travailleur malade en incapacité de prendre ses vacances peut paraître séduisante, elle est incohérente sur le fond. Pour juger de la justesse des propos qui précèdent, il convient de débattre de l’intensité de l’atteinte.

Pour qu'un employé soit privé de la possibilité de bénéficier des vacances, la doctrine est d’avis que «l'atteinte à sa santé doit présenter une intensité telle qu'elle entrave le but des vacances en empêchant la récupération physique ou psychique du travailleur. Une indisposition, une indigestion, une blessure de faible gravité, [(…)] (pour autant qu'ils ne soient que passagers) ne constituent pas des cas d'empêchement de bénéficier des vacances»11.

Les auteurs de la publication controversée soutiennent que «les règles de confinement imposées par le Conseil fédéral» constituent une atteinte suffisante pour considérer que les vacances ne peuvent être prises. Il convient de relever que ces règles ont ceci de particulier qu’elles n’imposent pas le confinement. En effet, même si la sédentarité est recommandée, le déplacement n’est en aucun cas sanctionné.

Le but principal des vacances, à savoir
le repos, peut être atteint.

Quant au critère du «climat anxiogène», il sied de rappeler que même si la situation actuelle présente la particularité que certaines activités de détente sont limitées et que les déplacements à l’étranger sont rendus difficiles, le but principal des vacances, à savoir le repos, peut être atteint. En effet, la distinction entre l’aménagement du droit aux vacances qui peut consister à voyager ou à accomplir des projets personnels le fondement même du droit aux vacances, à savoir le repos ne peut pas être ignorée.

De plus, suggérer qu’une situation anxiogène permette à l’employé de justifier que des vacances prises ne peuvent l’être est une pente glissante. Si cette notion est reprise par la jurisprudence, cela créera une insécurité juridique manifeste: un employé en vacances qui ferait face à des problèmes de réservation hôtelière, et dont la situation engendrerait selon lui une situation anxiogène, pourrait-il être en droit de justifier devant son employeur qu’il n’a pas eu droit à du repos?

A l’avenir, devra-t-on considérer que les personnes fragiles émotionnellement peuvent se garder le droit d’invoquer leur anxiété pour qu’il leur soit octroyé le solde de vacances pris, mais au cours duquel elles n’ont pas pu se reposer? Le caractère non quantifiable de la notion donnerait lieu à d’interminables discussions devant les tribunaux et encouragerait l’absentéisme généralisé.

Nous sommes d’avis que l’employeur, compte tenu de la crise sanitaire actuelle, demeure en droit d’imposer des vacances à ses employés lorsque la situation économique de son entreprise ne lui laisse pas d’autre alternative. Les Tribunaux trancheront cette question dans un futur proche, avec l’espoir que les arguments soulevés dans la présente publication trouvent application.

 

1 WYLER Rémy / HEINZER Boris, Droit du travail, 4e éd., Berne 2019, p. 489.
2 CEROTTINI Eric, Le droit aux vacances – étude des articles 329a à d CO, Thèse, Lausanne 2001, p. 44 et ref. citées.
3 WYLER Rémy / HEINZER Boris, Droit du travail, 4e éd., Berne 2019, p. 498.
4 Ibid.
5 CEROTTINI Eric, Le droit aux vacances – étude des articles 329a à d CO, Thèse, Lausanne 2001, p. 233 et ref. citées.
6 WYLER Rémy / HEINZER Boris, Droit du travail, 4e éd., Berne 2019, p. 502.
7 Eric CEROTTINI, n° 23 ad art. 329c CO, in: Dunand / Mahon (édit.), Commentaire du contrat de travail, Berne 2013.
8 DUNAND Jean-Philippe / WYLER Rémy, Quelques implications du coronavirus en droit suisse du travail - Newsletter Coronavirus, Centre d’étude des relations de travail, Neuchâtel 2020, p. 25.
9 Ibid.
10 Ibid.
11 WYLER Rémy / HEINZER Boris, Droit du travail, 4e éd., Berne 2019, p. 492.

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