Un Jackson Hole hawkish mais pas trop

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

Soft landing ou «mild recession»?

Depuis la publication du PIB américain du second trimestre fin juillet, le soft landing est devenu le scénario dominant sur les marchés au détriment de la récession. Ce sentiment général a reçu la bénédiction de Jerome Powell à Jackson Hole. La Fed confirme que le problème de l’inflation n’est toujours pas résolu. Elle devra donc poursuivre sa politique de hausse(s) de taux et comme les chiffres macroéconomiques confirment la bonne tenue de l’économie US, les membres du FOMC ne vont pas hésiter à remettre un tour de vis monétaire. Toutefois le ton utilisé par la Fed à Jackson Hole était moins agressif que ce que l’on aurait pu craindre initialement. Il faut donc considérer que le scénario de récession n’est pas totalement écarté. Il est simplement considéré par la Fed et par les marchés comme un scénario alternatif à probabilité devenue faible. Dans ces conditions, un réajustement des rendements sur toute la courbe était inévitable.

Nous sommes beaucoup moins optimistes que les marchés (surtout actions) et que les banques centrales (surtout la Fed). On ne monte pas ses taux de 0% à 6% impunément. 6%, c’est sans doute le taux Fed funds qui sera en vigueur en fin d’année selon nos prévisions. Deux éléments nous paraissent importants à mentionner. Tout d’abord, nous avons assisté à la visioconférence organisée par Fitch en compagnie des analystes qui ont pris la décision de baisser le rating des Etats-Unis de AAA à AA+. Si nous n’avons rien appris de bien nouveau concernant les critères qui ont conduits Fitch à passer à l’acte, le volet «perspectives macroéconomiques» était beaucoup plus intéressant.

Selon les analystes, une récession est inévitable fin 2023-début 2024. Ils s’attendent toutefois à une «mild recession» de l’ordre de -0,5%, bien loin d’une véritable récession proche de -2%. Mais le message est clair: un resserrement monétaire d’une telle ampleur est incompatible avec un scénario de soft landing. Leur prudence proverbiale les incite à estimer que ce serait en quelque sorte une récession plus technique qu’économique. Le second élément qui est passé un peu inaperçu pendant que bon nombre d’entre nous étaient en vacances, est la décision de Moody’s de surveiller les notations des banques régionales américaines. Six mois à peine se sont écoulés et pratiquement tout le monde a oublié SVB. Pas nous.

Faut-il s’obstiner à rester long duration?

Un gérant célèbre de hedge funds résume la situation en ces termes: 3% d’inflation, 2% de croissance, 0,5% de term premium, cela justifie des taux longs à minimum 5,5%. Cela suffit-il à convaincre les investisseurs? Oui mais ce n’était pas la peine, ils étaient déjà persuadés depuis quelques mois que la partie longue de la courbe était à risque. Nous estimons, comme Warren Buffett qui a acheté du long bond (c’est assez rare pour le souligner), qu’il faut acheter de la duration car c’est une assurance-vie. Contre quoi? Une accumulation de risques potentiels comme des nuages qui assombrissent le ciel. Citons parmi ces risques une Fed qui risque d’aller trop loin, une «mild recession» qui se transforme brutalement en récession plus forte, des marchés actions qui montent jusqu’au ciel, un accident bancaire du type SVB provoquant un credit crunch, une déflation en Chine, un effet domino Evergrande, une surprise positive du côté de l’inflation et des positions shorts en dérivés sur taux longs US à un niveau record. La liste est longue.

Cette assurance-vie vous offre aujourd’hui un rendement de 4,3%. Cela vaut sans doute la peine de prendre le temps d’envisager une exposition en taux longs. Grâce à des niveaux de rendement et de portage devenus largement positifs, les taux longs présentent aujourd’hui un profil risque-rendement très asymétrique. C’est une donnée majeure à prendre en compte lors de tout investissement en duration longue. Nous avons choisi de maintenir nos positions en taux très longs même si nous admettons que nous allons devoir patienter encore un peu avant d’en récolter les fruits. En revanche, nous avons allégé nos positions en taux nominaux à 3 ans pour réinvestir en TIPS 2026. Leur taux réel est passé en quelques jours de 2,45% à 2,66%. Le 3 ans nominal s’élevant désormais à 4,60%, nous nous retrouvons avec un breakeven inférieur à 2%. Il ne s’agit pas de l’idée du siècle mais dans un environnement complexe, nous nous concentrons autour de quelques convictions de marché hors des sentiers battus. Un barbell taux longs nominaux/taux courts réels est sans nul doute notre conviction la plus forte aujourd’hui.

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