Messieurs les Anglais, tirez les premiers... ou pas

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Un FOMC sans surprise

La Fed a enfin dévoilé son programme de tapering, globalement en ligne avec les attentes des marchés. Jay Powell a répété qu’il n’y aura aucun lien direct entre tapering et une éventuelle hausse de taux à venir, ce qui est un point crucial car la Fed n’entend pas monter ses taux dans un avenir proche alors que les marchés la voient déjà procéder à deux hausses de taux Fed Funds en 2022. Comme anticipé par la quasi-totalité des intervenants, la Réserve fédérale réduira ses achats d’actifs de 15 milliards de dollars par mois (10 de Treasuries et 5 de MBS) mais un détail est passé presque inaperçu: les réinvestissements des liquidités provenant des emprunts arrivés à échéance se feront à 100% en Treasuries. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour les emprunts du Trésor et une preuve que le marché des MBS a moins besoin de soutien.

Jay Powell a également tenu à être très clair sur la priorité accordée à l’évolution du marché de l’emploi. Il a mentionné que l’inflation devrait diminuer graduellement au cours des deuxième et troisième trimestres 2022 et qu’à ce stade, il n’y a pas de raison pour que la politique monétaire fasse l’objet de changement notable. Tout en reconnaissant que la hausse des prix devrait s’installer un peu plus longtemps que ce qui avait été anticipé par le FOMC, il a rajouté que le tapering pourrait être modifié à tout moment si la situation l’exigeait.

La récente tension sur la partie courte de la courbe des taux US n’a plus lieu d’être.

Il faut surtout retenir que la Fed n’entrevoit aucune hausse de taux dans un avenir proche et que la récente tension sur la partie courte de la courbe des taux US n’a plus lieu d’être. Cela signifie que dans un premier temps, des périodes de steepening pourraient apparaître, suite à une détente de la partie 2-7 ans de la courbe et une stabilisation du 10-30 ans sur les niveaux actuels. Dans un second temps, nous restons persuadés que la courbe s’aplatira et que le 30 ans est le «sweet spot» qu’il faut privilégier au moment de construire une stratégie d’investissement pour 2022.

Rebond des créations d’emplois

Nous nous attendions à une amélioration du niveau de créations d’emplois après deux mois plus que médiocres. Avec 531'000 postes créés en octobre, assortis d’une forte révision des chiffres des deux mois précédents, nous avons été surpris par la vigueur du marché de l’emploi. Le taux de chômage est tombé à 4,6% mais, compte tenu du taux de participation, cela ne veut pas dire grand-chose. Ce que la Fed attendait depuis Jackson Hole est donc arrivé deux jours après le FOMC. Il ne faut tout de même pas trop pavoiser, il y a certes un rebond mais par rapport aux 800'000 créations d’emplois mensuelles attendues par la Fed à la fin de l’été, le compte n’y est toujours pas. Les marchés obligataires auraient dû très mal accueillir ces chiffres, synonymes d’une éventuelle accélération du tapering suivie d’une possible première hausse de taux dans un an. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu et nous avons assisté à une belle détente des rendements sur tous les points de la courbe, avec un 30 ans sous la barre des 1,90%, un 10 ans à 1,45% et un 5 ans à 1,05%. Tout cela, à cause des Anglais…

La Fed s’est fait voler la vedette par la Banque d’Angleterre qui a pris tout le monde à revers.
BoE: virage à 180 degrés

L’événement principal de la semaine, voire du mois aurait dû être le FOMC de mercredi et l’annonce du tant attendu tapering. Raté! La Fed s’est fait voler la vedette par la Banque d’Angleterre qui a pris tout le monde à revers en prenant une décision complètement inattendue. Une hausse de taux de la BoE était anticipée par la quasi-totalité du marché. Nous étions prévenus: l’inflation au UK est élevée, encore plus qu’en zone euro et qu’aux Etats Unis. La BoE, dans son mandat, doit impérativement agir lorsque la hausse des prix dérape, surtout lorsque le taux d’inflation dépasse le niveau de 3%. La Banque d’Angleterre a décidé jeudi dernier de remettre à plus tard un durcissement de politique monétaire car les banquiers centraux ont estimé que cette poussée d’inflation était moins inquiétante que le ralentissement de la croissance. Une hausse de taux dans un tel contexte pourrait rapidement devenir une erreur de politique monétaire. 

Si les taux US ont poursuivi leur détente vendredi malgré de très bons chiffres de l’emploi, c’est bien à cause de ce message envoyé par les Anglais. Pour la première fois, une grande banque centrale contredit les marchés qui accordent trop d’importance à l’inflation et négligent le ralentissement. Nous sommes convaincus que l’inflation va redescendre petit à petit et que cela prendra un peu plus de temps que ce que nous pensions cet été. Mais l’affaiblissement de la croissance (2% au troisième trimestre aux US) reste notre principale source de préoccupation aujourd’hui. Le moteur principal de ce ralentissement se situe en Chine (possible récession en 2022?) et commence à se propager en Europe et aux Etats-Unis. Nous saluons donc la décision de la BoE, première banque centrale à oser reporter un durcissement de politique monétaire, de crainte de commettre une erreur fatale pour la croissance et l’emploi en tentant de juguler un phénomène temporaire. Nous nous attendions à ce que tôt ou tard une banque centrale agisse de la sorte, mais de là à imaginer que ce serait la BoE…

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