La courbe des taux US commence à s’inverser

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 
Croissance décevante

Jeudi après-midi, les marchés avaient les yeux- et les oreilles – braqués sur le compte-rendu du meeting de la BCE exposé par Madame Lagarde. Tout en confirmant que l’inflation devrait retomber dans le courant de l’année 2022, la BCE a cependant reconnu que le CPI de la zone euro se maintiendrait à un niveau soutenu pendant une période plus longue que prévue. Même si rien de tel n’a transparu dans l’allocution de Christine Lagarde, les marchés ont conclu, sans doute hâtivement, qu’une hausse de taux de la BCE interviendrait dès l’année prochaine. 

Le rendement du Bund 10 ans s’est légèrement tendu mais deux fois moins que le spread avec le BTP italien qui a grimpé d’une vingtaine de points de base (ce qui semble être une opportunité d’investissement). Il n’y a pas eu de mouvement de panique puisque le taux allemand à 2 ans, censé refléter avec la plus grande justesse les anticipations de hausses de taux, n’a pratiquement pas bougé, s’affichant à -0,64% avant le meeting de la BCE, -0,58% juste après et -0,60% hier après-midi. C’est beaucoup moins impressionnant que le comportement du taux australien à 2 ans qui a plus que triplé en 48 heures, passant brutalement de 0,24% jeudi matin à 0,80% vendredi soir. 

Les marchés ont trop longtemps négligé l’impact de la situation actuelle sur la croissance économique en étant obnubilés par l’inflation.

Les grandes banques centrales sont prévenues: toute erreur de politique monétaire se paie cash! Les propos de Madame Lagarde ont fait légèrement passer au second plan une information majeure, sortie au même moment: la publication du PIB américain. Nous avons été une fois de plus déçus puisque la croissance du PIB outre-Atlantique n’a progressé que de 2% au lieu des 2,6% attendus. Nous avons accueilli cette statistique avec la brève satisfaction d’avoir «vu juste» mais le sentiment qui dominait était plutôt le soulagement que ce ne soit pas encore plus mauvais. 

Les dernières publications de la Fed d’Atlanta faisaient froid dans le dos et en extrapolant (ce qui aurait été une erreur) les données de Géorgie à tout le pays, nous aurions pu nous retrouver plus proches de 1,3%. Depuis une dizaine de jours, et le mouvement s’est accéléré depuis jeudi et ce PIB décevant, de nombreuses voix s’élèvent pour nous mettre en garde: s’inquiéter de la hausse des prix ne doit pas nous faire oublier qu’elle s’accompagne d’un ralentissement de l’activité. Les marchés ont trop longtemps négligé l’impact de la situation actuelle sur la croissance économique en étant obnubilés par l’inflation. Vers qui se retourner pour essayer d’y voir plus clair? La courbe des taux, encore et toujours! 

Le 30 ans sous les 2%

Cette dernière semaine d’octobre a été agitée sur le marché des taux longs mais pas forcément dans le sens prévu par la majorité des investisseurs. Le 30 ans a commencé la semaine à 2,10% pour la terminer au-dessous de 1,95% soit une quinzaine de points de base de détente délivrant pratiquement 3,5% de performance. Mais il y a plus intéressant: si le 30 ans américain a clôturé la semaine (et donc le mois) à 1,94%, son homologue à 20 ans a terminé la séance à 1,98%. Nous avons donc pu constater la première inversion de courbe depuis bien longtemps. Une inversion certes modeste, de 4bp, entre le 20 et le 30 ans ce qui n’est pas significatif comme un 5-10, un 5-30 ou un 10-30 ans mais il s’agit peut-être du début d’un phénomène qui pourrait rythmer nos longues soirées d’hiver. Hier après-midi, ce spread se maintenait au même niveau, le 20 ans repassant au-dessus de 2% à 2,01% et le 30 ans s’affichant à 1,97%. 

Pour l’instant, le long bond a préféré redescendre depuis le niveau de 2,15% mais tout espoir n’est pas perdu.

La Fed se réunit en ce moment et tout le monde s’attend à ce que Jay Powell annonce les modalités du tapering demain soir sur les coups de 20 heures. Le message envoyé par la partie longue de la courbe des Treasuries sera-t-il entendu? Il ne s’agit pas (encore?) d’un message agressif car il n’y a pas péril en la demeure. Il s’agit tout simplement d’un message de prudence: attention! La croissance est en train de ralentir et il s’agit d’un sujet tout aussi important, peut-être plus important que celui d’une inflation transitoire un peu moins transitoire que ce que la Fed espérait cet été. 

En ce qui concerne notre stratégie d’investissement, nous sommes en mode «wait and see» car nous espérions pouvoir rajouter du 30 ans à 2,20% puis 2,30% avant de le voir redescendre. Pour l’instant, le long bond a préféré redescendre depuis le niveau de 2,15% mais tout espoir n’est pas perdu. Nous retrouverons des opportunités d’investissement tôt ou tard et peut-être pas plus tard que demain soir si la Fed «s’emmêle les pinceaux» à la mode australienne.

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