Le T-Note 10 ans plus fort que Trump?

Eric Vanraes, Eric Sturdza Asset Management

3 minutes de lecture

Chronique des taux d’ESAM (Eric Sturdza Asset Management).


 

Une volatilité hors-norme

Vous connaissez sans doute le vieux dicton selon lequel «les marchés obligataires ont toujours raison et à la fin, ce sont les taux qui gagnent». Ce n’est pas toujours le cas mais le revirement soudain de Donald Trump sur les tarifs douaniers a rajouté un épisode supplémentaire à la légende.

Depuis le 2 avril, le tsunami que le président Républicain a déclenché ne l’a pas gêné et le sell off de Wall Street l’a laissé totalement indifférent. En revanche, lorsque le taux du T-Note à 10 ans est remonté de 3,9% à 4,3%, il a immédiatement annoncé un moratoire de 90 jours sur la plupart de ses décisions prises le jour du Libération Day. Les marchés obligataires ont réussi à le faire reculer, capituler diront certains, là où les autres ont échoué.

Lorsque les investisseurs nous demandent si nous avons été actifs sur les marchés obligataires au cours de la semaine dernière, notre réponse est négative. Il y avait en effet beaucoup plus à perdre qu’à gagner dans des marchés où l’on avait l’impression de se retrouver dans une machine à laver programmée sur mode essorage. N’étant pas des traders, donc n’ayant notamment aucune position spéculative à court terme, nous n’avions pas particulièrement besoin ni envie de nous brûler les ailes. Comme nous l’enseignent les militaires, il faut élaborer une stratégie et lui adjoindre si nécessaire une tactique. Notre stratégie ne devait surtout pas être modifiée et toute tactique était trop périlleuse à mettre en œuvre. Nous avons seulement constaté que le rendement des dettes hybrides de bonne qualité en euros repassait au-dessus de 5% et que notre gestion de portefeuilles en dollars voyait d’un très bon œil un éventuel renforcement de ces positions qui, une fois hedgées en dollar, offrent désormais des rendements supérieurs à 7%.

CPI et PPI, ça n’intéresse plus personne?

Visiblement, les statistiques d’inflation CPI et PPI plutôt encourageantes publiées en milieu de semaine ne sont toujours pas redevenues le sujet principal tenant en haleine les marchés obligataires. En revanche, elles se révèlent des arguments puissants pour le clan Trump qui veut absolument que la Fed agisse au plus vite en mettant en place un programme de baisses de taux. Il nous semble que Jay Powell a tenu son rang en résumant très bien la situation. Il mentionne en effet que l’incertitude a rarement été aussi grande, que la probabilité de récession a augmenté sensiblement mais reste loin de 100% tandis que la majorité des membres de la Fed estime que le risque de remontée d’inflation est inéluctable. Dans ces conditions, il paraît toujours difficile d’imaginer une baisse de taux début mai malgré les signes encourageants envoyés par les CPI et PPI. Alors que les marchés restent perturbés par la remontée brutale du risque de récession, nous restons dans le camp de la Fed en continuant de placer l’inflation comme risque numéro un. Dans un tel contexte, l’abandon définitif du Quantitative Tightening sera le bienvenu.

Dire que le marché privilégie la récession au détriment de l’inflation, est-ce aller un peu trop vite en besogne? D’aucuns pourraient avancer l’argument de la brutale remontée de taux, un mouvement totalement incohérent avec le scénario de récession. Hier, nous étions très proches de 4,5% sur le 10 ans, soit une soixantaine de points de base de hausse par rapport aux plus bas enregistrés les 4 et 7 avril. Si la croissance devait effectivement plonger brutalement, le taux du T-Note 10 ans devrait se maintenir en-dessous de 4% et même bien plus bas. Il y a donc une autre explication au brutal rebond des taux longs. Nos n’en voyons pas qu’une mais plusieurs qui, ajoutées les unes aux autres, peuvent justifier ce phénomène anormal. Tout d’abord, les flux vendeurs étaient potentiellement nombreux: prises de profit de la part de ceux qui étaient dans le bon sens, ventes afin de financer les appels de marge pour d’autres, transactions effectuées par les chinois pour mettre la pression sur Trump et Bessent, switches possibles contre des crédits à spreads plus larges ou carrément contre des actions devenues un peu moins chères. Nous noterons au passage que ce mouvement de correction a démarré le 7 avril à la suite d’une tension brutale des taux réels sur le marché des TIPS. Si cela n’était pas suffisant, il fallait rajouter 120 milliards de dollars d’adjudications de nouvelles émissions de 3, 10 et 30 ans, inaugurées par 58 milliards de 3 ans qui ont trouvés difficilement preneurs.

Baisse des taux de la BCE jeudi

Comme nous l’avions déjà signalé au cours des dix derniers jours, les bonnes nouvelles concernant l’inflation en zone euro s’accumulent. En revanche, l’activité risque d’être de plus en plus victime de l’environnement actuel alors qu’elle posait déjà problème avant le Libération Day. Nous imaginons que les débats vont être animés jeudi mais que les colombes finiront par l’emporter au grand dam d’Isabel Schnabel et de ses disciples.

C’est d’ailleurs en Europe que nous voyons les opportunités d’investissement les plus intéressantes. Dans le domaine des crédits, nous avons déjà mentionné notre intérêt grandissant pour les hybrides alors que les emprunts Investment Grade n’étaient pas tellement attrayants. Cela semble bouger depuis un ou deux jours et nous allons surveiller de près ce marché. Enfin, nous nous posons de plus en plus la question suivante: et si le Bund à 2,5% était une opportunité d’investissement plus attrayante que le T-Note à 4,4%? Paradoxalement, il nous semble que malgré son niveau actuel déjà peu élevé (donc a priori peu intéressant), le 10 ans allemand recèle encore de la valeur. Ecoutons attentivement Christine Lagarde après-demain, cela risque d’être très enrichissant.

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