L’Europe au centre des attentions

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Karlsruhe-BCE, 1 partout à la mi-temps

Les Allemands ont, une fois de plus, semé le trouble en remettant en cause la conformité avec la constitution allemande de certaines modalités de fonctionnement de la politique de QE de la BCE. Certes, ils n’ont pas attaqué frontalement la totalité des programmes CSPP et PEPP mais cette mise en garde sous forme d’ultimatum de trois mois à partir du 5 mai a suffi à semer le trouble. La Commission européenne a eu beau rappeler que le droit communautaire prime sur les droits nationaux, les marchés périphériques n’ont guère apprécié ces joutes juridiques. Plus que cet incident mineur en termes financiers (puisque la Commission a raison), les marchés ont tendance à y voir une nième preuve que l’édifice Europe est bel et bien fragile et qu’au moindre accroc, des fissures apparaissent. 

Christine Lagarde a rappelé que la BCE répond de ses actes
au Parlement européen et reste sous la juridiction de la Cour Européenne de Justice.

Dimanche, Ursula von der Leyen a sifflé la mi-temps en rappelant qu’en ce qui concerne les lois de l’Union, le mot de la fin appartient toujours à la Cour Européenne de Justice et à personne d’autre, menaçant de poursuivre l’Allemagne. Jouant les bons Samaritains, Angela Merkel a suggéré que la BCE envoie un courrier explicatif de sa politique à la Bundesbank qui fera suivre à Karlsruhe. Enfin, Christine Lagarde a affirmé que de son côté, il n’y avait rien de spécial à attendre de la BCE, rappelant au passage que la banque centrale répond de ses actes au Parlement européen et reste sous la juridiction de la Cour Européenne de Justice. Tout ça pour ça! Les Italiens, dont le CDS souverain à 5 ans est passé de 220 à 240 entre le 5 et le 7 mai, se sont sentis une fois de plus abandonnés par certains de leurs partenaires à un moment crucial et les adversaires de l’Europe, sur le plan commercial et politique, ont dû se dire qu’ils n’en demandaient pas tant. 

Un QE high yield européen?

Dans cet environnement, l’information qui a fuité concernant une étude commandée par la BCE concernant un éventuel achat de dettes high yield est arrivée comme un cheveu sur la soupe! Mais ce n’est peut-être pas une coïncidence. Cela a suffi pour donner un second souffle au rally des crédits non-Investment Grade qui étaient déjà en ébullition. L’iTraxx X-Over est passé de 527, le 7 mai à 490 hier matin. La bonne tenue des spreads trouve également une explication dans le comportement des marchés actions, toujours orientés à la hausse. 

Il ne faudra pas s’obstiner à rattraper coûte que coûte
tous les falling knives sous peine de se blesser sérieusement.

Nous continuons à étudier des opportunités d’achat dans la catégorie fallen angels. Par exemple, ArcelorMittal, déjà Junk chez Fitch depuis le 7 avril, est également passé vendredi soir en catégorie spéculative chez Moody’s. Avec deux ratings Junks sur trois, l’aciériste va sortir des indices Investment Grade en fin de mois, déclenchant immanquablement des ventes forcées. En revanche, la BCE ayant mis la limite des notations au 7 mai pour l’inclusion des X-Over et fallen angels dans ses programmes de QE, les achats d’Arcelor Mittal peuvent continuer puisque les notes au 7 mai s’établissaient à BBB-/Baa3/BB+ chez respectivement S&P, Moody’s et Fitch. 

Des situations équivalentes à celle d’ArcelorMittal (toujours Investment Grade pour le QE de la BCE mais exclu des indices Investment Grade) vont se multiplier dans les semaines qui viennent et quelques opportunités d’investissement seront peut-être bonnes à saisir. Comme toujours, tout est dans la nuance: rien n’est acquis et il ne faudra pas s’obstiner à rattraper coûte que coûte tous les falling knives sous peine de se blesser sérieusement. Nous avons déjà jeté notre dévolu sur Leonardo, déjà Junk chez Moody’s et S&P mais encore BBB- chez Fitch. Ce sera potentiellement le cas pour des Auchan, Heidelberg Cement ou Valéo dans un avenir proche. Ce soutien de la BCE est un cadeau empoisonné, un pousse-au-crime car il donne l’illusion à certains qu’il ne sert plus à rien de conduire des analyses de crédit. C’est tout le contraire! A la fin de l’année, les meilleurs seront ceux d’entre nous qui auront réussi à séparer le bon grain de l’ivraie.

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