Les crédits européens en apesanteur

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Rally malsain?

La BCE a fait le job, semble-t-il. Nous serions presque tentés de penser qu’elle en a presque fait trop. Le rally des spreads de crédit, qui a démarré au lendemain du 19 mars et qui s’est poursuivi une fois que les marchés actions ont atteint leur point bas le 23 mars, est en train de se diriger vers une bulle. Des exemples? Auchan 2,875% 2026, sortie le 22 avril à 99,14 cote 101,40. Pernod Ricard 1,125% 2025, sortie le 6 avril à 99,35 (ms+150) a été abondée hier à 101,76 (ms+98, 0,76%). Les indices ne sont pas en reste: l’iTraxx Main valait 81 points hier contre 139 le 18 mars et l’iTraxx X-Over s’échangeait à 492 hier, revenant de 707 ce même 18 mars. Le plus surprenant est à constater du côté des corporates hybrides qui, grâce à leur contenu action ont pu bénéficier du rebond des indices equities. Ainsi, Enel 3,5% 2080 NC 2025 est passée de 89,29 le 19 mars à 104,50 hier! EDF 4% perpétuelle NC 2024, de 90,10 à 103,00. Volkswagen 4,625% perpétuelle NC 2028 de 84,03 à 102,50 et Telefonica 5,875% perpétuelle NC 2024 de 96,06 à 108,60. Cette énumération un peu fastidieuse nous démontre que tous les secteurs et toutes les nationalités profitent du rebond, un rally systémique en quelque sorte. 

Le marché le plus périlleux est sans doute celui des fallen angels.

La semaine dernière, nous affirmions: les hybrides oui mais à moins de 3% de rendement non merci! Nous y sommes presque. Dans ce contexte, il est clair que nous avons poursuivi nos achats avec parcimonie sur le marché des crédits. Derrière cet engouement pour les spreads corporates, il y a bien entendu le filet de sécurité soi-disant offert par la BCE. Cela nous permet-il d’acheter n’importe quoi à n’importe quel prix? Nous sommes persuadés du contraire. Le marché le plus périlleux est sans doute celui des fallen angels car le fait d’appartenir à la fameuse liste de la BCE n’est pas une garantie de stabilité de spread. Si, par exemple, l’obligation d’un émetteur noté BBB- passe BB+, elle sera certes toujours sur la liste d’achats de la banque centrale mais à un prix et un spread définis par le marché. Si cette obligation vaut à peu près 200 de spread aujourd’hui mais que la société fait face à des difficultés et/ou appartient à un secteur sous pression, ses détenteurs seront bien avancés si jamais son spread s’écarte à 400! La BCE interviendra à ce moment-là, sur ce niveau de spread, pas sur celui d’aujourd’hui. Elle aura juste stoppé l’hémorragie mais les investisseurs essuieront une perte sur leur investissement.

Emprunts d’états: toujours d’actualité

Dans un tel environnement, il convient donc de rester prudent. Si nous avons tout de même poursuivi nos achats de crédits à dose homéopathique, nous avons pris nos profits sur quelques hybrides (par exemple Orange 2,375% perpétuelle NC 2025 dont le rendement est passé au-dessous de...2%) et remis de la duration pure. Sans faire dans la demi-mesure, nous nous sommes concentrés sur le 30 ans US. Comme nous l’avons maintes fois évoqué, le risque que nous allons affronter lors des prochaines semaines est que, malgré tout le soutien des banques centrales, les marchés devront digérer à la fois des publications macroéconomiques et des résultats d’entreprises aussi désastreux les uns que les autres et que ces chiffres seront incompatibles avec les niveaux actuels des marchés actions et de crédits. 

Il sera intéressant, dans un second temps, de réinvestir
dans les émetteurs corporates Investment Grade issus de pays émergents.

Il est donc tentant, au moins à court terme, d’adopter une tactique de protection du risque par de la duration pure d’emprunts d’états. Il sera temps de déployer de nouveau une stratégie d’investissement sur les spreads une fois qu’ils seront revenus vers des niveaux plus raisonnables. Si nous essayons de voir plus loin, il sera sans doute intéressant, dans un second temps, de réinvestir dans les émetteurs corporates Investment Grade issus de pays émergents. C’est une sous-classe d’actifs que nous avions privilégiée entre 2016 et 2018 mais qui souffre énormément aujourd’hui, beaucoup plus que leurs homologues européens et américains qui sont soutenus par les programmes d’achats initiés par leurs banques centrales respectives. Les plus pessimistes d’entre nous diront sans doute qu’être à la fois émergent et Investment Grade va devenir une espèce en voie de disparition mais les plus solides survivront. C’est le principal puisque ce sont précisément ces émetteurs sains mais injustement délaissés qui nous intéressent. Mais nous n’en sommes pas (encore) là… 

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