Ceci est un V selon la Fed

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

2 minutes de lecture

Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Powell dit ce qu’il faut

Cela nous rappelle la vieille formule des gérants obligataires parisiens dans les années 80: «La Fed fait ce qu’il faut, la Buba fait ce qu’elle veut, la Banque de France fait ce qu’elle peut!». L’exercice était périlleux pour le patron de la Fed et il s’en est sorti de façon magistrale. Il ne fallait pas trop verser dans le pessimisme et jouer sur les peurs pour ne pas déclencher une panique générale mais il fallait remettre l’église au milieu du village en rappelant à Wall Street que depuis le 23 mars les marchés allaient un peu trop vite en besogne. Jerome Powell a notamment expliqué que les dernières statistiques encourageantes (dont des chiffres de l’emploi quasi-miraculeux) ne permettaient pas, tout du moins pas encore, de crier victoire et que les partisans du V shape recovery, menés par l’administration Trump, Larry Kudlow en particulier, mais également par Morgan Stanley, devaient raison garder. La politique de taux zéro de la Fed sera donc maintenue jusqu’en 2022 et les instruments mis en place récemment seront utilisés en fonction des besoins qui, à l’heure actuelle, restent élevés. 

La volatilité sur la partie longue de la courbe
est plus gênante que dangereuse.

En revanche, Jay Powell a été très clair: dès que ces instruments s’avèreront inutiles, ils retourneront immédiatement dans la boîte à outils, dans laquelle d’ailleurs ne figurent pas les taux négatifs. Sa prestation devant le Congrès, aujourd’hui et demain est donc très attendue mais il y a bien peu de chance pour que le ton adopté la semaine dernière, jugé trop pessimiste par certains, passe soudainement en mode optimisme béat. Par conséquent, les envolées de taux longs et le bear steepening qui les accompagnait se sont arrêtés net tandis que les spreads de crédit, tout comme Wall Street, ont entamé une correction, légère pour l’instant. Cette volatilité sur la partie longue de la courbe est plus gênante que dangereuse selon nous: le 10 ans US devrait valoir environ 0,75% dans les circonstances actuelles. Qu’il s’écarte d’une quinzaine de points de base jusqu’à 0,90% ou qu’il se détende d’autant pour retourner vers 0,60%, c’est, à notre avis le trading range de ce second trimestre et peut être de cet été. Les dix derniers jours ont été compliqués pour la partie longue US car, au-delà du retour de l’appétit pour le risque qui a provoqué des flux vendeurs, il a fallu digérer beaucoup de marché primaire pendant que les Chinois continuaient d’alléger leur stock de Treasuries.

Deuxième vague?

Si la Fed avait semé le premier trouble la semaine dernière, le relais a été pris par les craintes de deuxième vague de Coronavirus. Tout d’abord, nous avons appris que des quartiers de Pékin ont été remis en quarantaine (tandis que des statistiques macro décevantes, notamment les ventes au détail, sortaient en Chine). Ensuite, un mouvement de crainte d’une deuxième vague touchant de plein fouet les Etats-Unis est apparu brutalement. De telles nouvelles, combinées à des niveaux très élevés des marchés actions, pourraient bien déboucher sur un mouvement de correction plus ample. Cela voudrait dire que les spreads de crédit qui s’étaient détendus de manière spectaculaire, pourraient repartir à la hausse dans les prochains jours. Il ne s’agirait pas, selon nous, d’un début de bear market violent sur les spreads mais d’un retour à quelque chose de moins exubérant, dont le symbole le plus emblématique a été Hertz. Un journaliste (dont nous n’avons malheureusement pas retenu le nom) a d’ailleurs écrit sur ce sujet que si nous connaissions tous depuis longtemps les IPO, Hertz venait d’inventer les IBO (Initial Bankruptcy Offering)!

Aujourd’hui, nous sommes allégés en crédits
mais prêts à revenir dessus en cas de correction.
Stratégie et tactique obligataires

Dans ce contexte, quelle stratégie adopter? Il s’agirait plutôt de tactique car les niveaux actuels de marché nous inciteraient plutôt à suivre le vieil adage «il est urgent de ne rien faire». En effet, il semble périlleux de jeter aux orties les investissements en duration pure. Les Treasuries peuvent encore nous être très utiles et les TIPS sont sans aucun doute une option à ne pas négliger. Les spreads de crédit, que nous avions allégés après un rally impressionnant, sont aujourd’hui au milieu du gué. Le comportement des actions dans les jours qui viennent va éventuellement nous présenter des fenêtres de tir sur les corporates hybrides qui étaient devenus horriblement chers début juin. Aujourd’hui, nous sommes donc allégés en crédits mais prêts à revenir dessus en cas de correction alors que notre positionnement duration pure taux nominaux/taux réels n’a pas vraiment varié. Dans tout marché, des opportunités spéciales s’offrent parfois à nous: la semaine dernière, alors que le 10 ans italien en euro s’affichait à un rendement de 1,52%, soit 2,33% une fois couvert en dollars (1,52% + 0,81% de hedge FX), nous avons pu acheter de l’Italie octobre 2029 en dollars à 2,87%. Pas de quoi bâtir une stratégie mais idéal pour un positionnement tactique!

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