1,90, la boussole de l’Avent

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Craintes inflationnistes encore et toujours

On ne va pas faire durer le suspense: 1,90%, c’est le niveau atteint vendredi mais surtout hier par le breakeven d’inflation à 30 ans. Si les niveaux de vendredi n’étaient guère significatifs, la plupart des intervenants du marché US faisant le pont de Thanksgiving, la confirmation d’hier ne laisse planer aucun doute: en huit jours, nous sommes passés de 1,82% à 1,90% et nous nous rapprochons du niveau-clé de 2%! Il faut donc reconsidérer les anticipations d’inflation à long terme exprimées par les marchés après trois semaines d’incertitudes liées aux élections américaines. En premier lieu, le contrôle du Sénat n’est toujours pas un sujet réglé. Pas de vague bleue, certes, mais cela va se jouer au siège près et compte tenu de l’importance de l’enjeu, nous devrons encore subir quelques soubresauts. Ensuite, à partir du moment où Donald Trump ne reconnaissait toujours pas la victoire de Joe Biden, il y avait une chance faible mais non nulle pour que la Maison Blanche ne change pas de locataire. Cette opinion, minoritaire, n’était pas insignifiante: nous en voulons pour preuve les sondages relatifs à la nomination du nouveau Secrétaire au Trésor. En milieu de semaine dernière, si Janet Yellen caracolait en tête avec 67% des voix, il y avait encore 9% de sondés qui pariaient sur Steve Mnuchin. 

Avec les Démocrates au pouvoir et le duo Yellen-Powell à la manœuvre,
la tentation de la reflation, même légère et temporaire, refait surface.

Toute cette agitation qui semble se calmer désormais remet le sujet au milieu de la table: avec les Démocrates au pouvoir et avec le duo Yellen-Powell à la manœuvre (Trésor et Fed main dans la main), la tentation de la reflation, même légère et temporaire, refait surface. Comme nous l’avons déjà évoqué, nous sommes sortis des taux longs nominaux début novembre mais nous conservons nos TIPS 30 ans avec comme objectif le bris du plafond de verre des 2% au cours du premier trimestre 2021. C’est la raison pour laquelle, au cours des quelques semaines qui nous restent avant la trêve des confiseurs, nous allons suivre l’évolution des anticipations d’inflation avec notre boussole qui indique – déjà – 1,90%. Le consensus estime que les taux réels ne peuvent plus baisser mais c’est pourtant possible. Toutefois, si nous conservons nos TIPS, ce n’est pas pour faire un pari contrariant: nous ne nous situons pas en absolu mais plutôt en relatif par rapport aux taux nominaux et si le plafond des 2% est brisé, nous commencerons à alléger notre position.

Spreads de crédit en apesanteur

Mais jusqu’où vont-ils aller? Aujourd’hui, un seul argument pourrait stopper ce rally incroyable (a fortiori si on nous avait interrogés début mars): ce serait un arrêt brutal du bull market à Wall Street, rejaillissant sur le marché des crédits. Et encore… De nombreux intervenants en profiteraient pour investir encore plus dans cette classe d’actifs. Le crédit, ou plutôt les crédits, ont le vent en poupe car de nombreux marchés sont concernés: l’Investment Grade, les bancaires (come-back de la value, pentification de la courbe et…dividendes), les hybrides ou les convertibles (dont la convexité attire de plus en plus d’investisseurs) semblent toujours des segments de marché attrayants malgré des performances exceptionnelles depuis le printemps. Le laissé pour compte, en tout cas pour l’instant, semble être le high yield. Les valorisations sont devenues très élevées par rapport au risque encouru et le marché a changé. D’abord, les ETF qui ont soutenu ce marché pendant plusieurs années pourraient devenir son pire ennemi si des flux vendeurs massifs devaient venir perturber la liquidité déjà faible du haut rendement. 

Quitte à investir dans du BB, nous préférons toujours la dette
subordonnée hybride d’émetteurs de grande qualité.

Ensuite, nous reprenons à notre compte une remarque très pertinente de notre confrère Daniel Jakobovits lors de la dernière table ronde de l’ISAG qui s’inquiétait des valeurs de recouvrement en cas de défaut d’un émetteur (critère à prendre sérieusement en compte s’il en est). En effet, avant la crise de 2008-2009, la recovery value d’un high yield en défaut pouvait atteindre 50% à 60% voire plus avec un peu de chance. Aujourd’hui, c’est beaucoup mois et nous nous rapprochons de la zone 0% à 20%. Cela a un prix et se doit d’être reflété dans le spread. Si ce n’est pas le cas, alors il y a un problème et les investisseurs attachés à la performance ajustée au risque se détourneront de ce marché. Certes, dans le marché high yield, les dettes notées BB sont beaucoup moins sujettes au risque de défaut que les emprunts de notations inférieures mais quitte à investir dans du BB, nous préférons toujours la dette subordonnée hybride d’émetteurs de grande qualité, à notation senior Investment Grade.

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