Vers une crise asiatique version turque?

Cyril Gomez

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Pour sa part, NN IP maintient un biais positif sur les marchés émergents, jugeant le risque de contagion limité.

NN Investment Partners (NN IP) réduit son exposition aux actions à «neutre» et baisse son allocation d’actions européennes à «légèrement sous-pondéré». La division gestion d’actifs du groupe néerlandais NN Group justifie cet ajustement tactique par le constat manifeste d’une augmentation de l’aversion vis-à-vis du risque, suscitée par la crise économique en Turquie. Toutefois, les stratégistes de NN IP estiment, pour l’heure, que le risque de contagion demeure limité.

Ceux-ci remarquent le flux d’informations négatives concernant les marchés émergents, notamment le projet de sanctions contre la Russie par les États-Unis et l’escalade des tensions entre ces derniers et la Turquie. «Depuis des années, la Turquie reste l’une des économies émergentes les plus vulnérables», rappellent les experts de NN IP, dans leur dernière note d’allocation tactique (Houseview) publiée mercredi.

A un moment donné la pression devait provoquer
une baisse substantielle de la livre turque.

Qui citent des facteurs de risque tels que le déficit courant, qui excède 5%, un déficit budgétaire qui ne cesse de s’aggraver, un secteur bancaire à la fois très dépendant du financement international et partiellement subventionné par un gouvernement pro-cyclique ou encore la montée rapide de la dette locale libellée en dollars au sein du secteur énergétique. «Nous savions qu’à un moment donné ou un autre la pression sur ce pays serait telle qu’elle provoquerait une baisse substantielle de la livre turque et une hausse des taux d’intérêt», explique Patrick Moonen, Principal Strategist Multi Asset chez NN IP.

La confiance des marchés s’est particulièrement détériorée lors de la réunion du Comité de politique monétaire de la Banque centrale de Turquie (CBRT), le mois dernier. Celle-ci avait en effet opté pour le statu quo au lieu de relever, à ce moment-là, les taux d’intérêt, comme le marché l’y exhortait. «À ce stade, le marché espère le retour de leaders politiques crédibles, ainsi qu’un dosage plus approprié des politiques macroéconomiques, ce qui exigerait le resserrement à la fois de la politique monétaire et de la politique budgétaire.»

NN IP estime que, compte tenu de la forte dépréciation de la livre turque depuis le début de l’année (-45%), la récession est inévitable, tandis que le risque d’une crise bancaire systémique s’est accentué. À moins d’une hausse significative des taux d’intérêt lors de la prochaine réunion de la CBRT et d’une aide externe, Ankara pourrait en outre être tenté d’imposer un régime de contrôle des capitaux.

«Nous ne nous attendons pas à ce que les banques européennes fuient la Turquie mais, au contraire, à ce qu’elles continuent d’y soutenir leurs opérations en participant à des refinancements de dette», poursuivent les experts de NN IP. Qui soulignent que les banques françaises, espagnoles et italiennes, qui sont les plus exposées au secteur bancaire turc, devraient parvenir à gérer la situation.

Allnews s’est procuré le bulletin statistique de la Banque de règlements internationaux (BRI) où sont présentées les diverses expositions des secteurs bancaires au débiteurs résidant en Turquie. Il apparaît que le secteur bancaire espagnol est de loin le plus exposé, à hauteur de 82,3 milliards de dollars (sur une base de risque immédiat) à la fin du premier trimestre 2018. Rappelons que la Turquie est également le troisième marché d’exportations de l’Espagne.

Le deuxième pays le plus exposé est la France, dont les banques détiennent des créances de près de 39 milliards de dollars, suivi par le secteur bancaire du Royaume-Uni (19,2 milliards), des États-Unis (18 milliards) et de l’Allemagne (17 milliards). Les créances des banques suisses ne s’élèvent qu’à un peu plus de 6 milliards de dollars. Autrement dit des sommes relativement modestes. Au total, les débiteurs turcs doivent environ 100 milliards aux banques étrangères et disposent de moins de 30 milliards sous forme de créances sur ces mêmes contreparties.

En 1997 comme en 2008, les crises ont été les points culminants d’un processus d’accumulation de crédits financés par des ressources autres que les dépôts.

La sensibilité de la devise turque est en outre exacerbée par la croissance rapide du crédit financé par les marchés des capitaux (‘non-core funding’), le total des dettes titrisées s’élevant à près de 70 milliards de dollars. En Argentine, ce chiffre atteint près de 90 milliards de dollars, de même qu’en Indonésie, sans prendre en compte le financement offshore. C’est surtout par ce canal, celui des portefeuilles, que le système financier pourrait s’effondrer.

Dans son rapport de recherche publié le mois dernier sur le lien entre politiques pro-cycliques et vulnérabilité financière, les experts de la BRI insistent sur le fait que la Crise asiatique de 1997 et la Grande Crise Financière de 2008 ont également été les points culminants d’un long processus d’accumulation de crédits financés par des ressources autres que les dépôts.

Ce fut le cas de la Corée du Sud, où les crédits financés par les marchés des capitaux avaient atteint un pic de 42% de la masse monétaire M2 en 1997 contre 18% quelques années plus tôt. La Turquie affiche actuellement les mêmes symptômes financiers que la Corée du Sud vingt ans plus tôt. Toutefois, NN IP maintient sa «légère surpondération» des marchés émergents, soulignant que le cas turc n’est pas représentatif de l’univers de cette classe d’actifs. L’autre source de risque vient de l’Argentine mais, contrairement à la Turquie, explique le gérant d’actifs, le Gouvernement en place jouit d’une bonne réputation et son programme macroéconomique a le soutien du Fonds monétaire international (FMI).

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