Vers un supercycle des commodities

Florian Roger, Exane Solutions

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Le retour de l’interventionnisme d’Etat va amplifier le rebond de la demande de matières premières.

Après plus de 10 ans de baisse structurelle, les taux longs américains ont atteint un point bas en août 2020, avant que les avancées médicales ne permettent d’envisager une sortie de la crise sanitaire. Depuis, le taux 10 ans américain a repris plus de 100 points de base. Ce changement de tendance des rendements obligataires rend la politique monétaire moins opérante pour stimuler l’économie et oblige les autorités à engager des soutiens budgétaires massifs et durables.

Après avoir initié un plan budgétaire de 1'900 milliards de dollars, l’administration Biden évoque déjà la possibilité de lancer un programme d’investissement en infrastructures de 3’000 milliards. Au-delà du volontarisme affiché par les démocrates d’engager un new deal, les gouvernements n’auront d’autres choix que de multiplier les annonces budgétaires post pandémie. En effet, un retrait trop brutal des perfusions budgétaires, mises en œuvre pendant la crise pour éviter que l’économie ne s’effondre, engendrerait des phénomènes de budgetary cliffs, induirait vraisemblablement des chocs financiers et ferait courir le risque de rechutes en récession.

Par ailleurs, même si la récession économique s’achève en 2021, la pandémie va laisser durablement des stigmates sociaux, propices à un développement du populisme et à une forme d’instabilité politique. L’Etat providence devra donc rester déployé pour juguler ces menaces. Aux Etats-Unis, l’administration Biden consacre déjà aux ménages plus de 50% de l’effort budgétaire consenti dans le plan de 1'900 milliards, sachant que l’élection présidentielle de 2020 a montré la persistance de fractures sociales importantes, avec un vote de la classe populaire encore largement en faveur de D. Trump, alors qu’il bénéficiait auparavant plutôt aux démocrates. 

Une stimulation de la demande de matières
premières mais une offre largement inélastique.

Ce retour durable de l’interventionnisme de l’Etat dans le monde développé va amplifier le rebond de la demande de matières premières, de manière directe à travers les plans d’infrastructures et de manière indirecte, en aidant au maintien d’une activité soutenue en Chine. Cette dernière devrait largement bénéficier de la stimulation du consommateur américain et du redécollage du commerce international (alimenté en sortie de crise sanitaire par le restockage et le redémarrage des chaines de production). Or, la Chine représente encore aujourd’hui 50% à 70% de la demande de matières premières. 

Le problème est que les capacités d’offre de nombreuses matières premières, notamment celles au cœur de la révolution énergétique (cuivre, nickel, palladium…)  ne vont pas pouvoir s’ajuster rapidement à l’évolution de la demande car elles sont largement inélastiques (la mise en œuvre de nouvelles capacités de production sur le cuivre nécessite près d’une décennie!). Par ailleurs, la récession provoquée par le virus a été singulière par rapport aux récessions économiques passées, dans la mesure où elle a eu un impact notable à la fois sur la demande et sur l’offre de matières premières et n’a donc pas vu se constituer des excès de stocks. Il devrait en résulter des pressions durables sur les prix.

La sphère financière devrait également
alimenter la hausse des prix des commodities.

Le renouveau des approches keynésiennes et la volonté des pays développés de lutter contre le développement du populisme devraient amener davantage d’augmentations des salaires administrés (à l’instar de la hausse souhaitée du salaire minimum aux Etats-Unis) et pourraient faire refluer le taux de chômage d’une manière plus rapide qu’anticipé. Si tel est le cas, les anticipations d’inflation vont accentuer leur rebond et exercer des pressions haussières sur les taux nominaux.

En résulteront d’importantes rotations de marché, accompagnées d’un risque macro-financier majeur. En effet, après 20 ans de diminution structurelle, les investisseurs sont hyper-exposés à la variation des rendements obligataires sur des classes d’actifs qui sont pourtant censées leur apporter de la diversification: dans la sphère fixed income, la faiblesse du portage rend les performances globales des obligations très sensibles à la duration; sur le marché actions, les gérants ont accumulé d’importantes positions sur le secteur technologique américain et plus généralement sur les valeurs de croissance, qui tendent à corriger lorsque les taux remontent. Dans ce type de configuration de marché, où les performances des actions et des obligations se retrouvent positivement corrélées, les actifs réels tendent à être renforcés pour répondre à des besoins de diversification. Les commodities, qui constituent historiquement une des meilleures classes d’actifs pour se couvrir contre l’inflation, devraient particulièrement attirer les investisseurs.

Pour mémoire, en 1971, la fin du régime de Bretton woods a engendré un regain de volatilité du dollar et lui a fait perdre une partie de son statut d’actif de réserve. En substitution, l’or et le pétrole en ont profité. Aujourd’hui, la crise sanitaire ébranle le régime de Volcker, qui prévaut depuis plus de 40 ans, avec un retour du keynésianisme. La remontée des rendements obligataires et le regain du risque souverain, qui devraient en résulter, interrogent sur la dynamique des actifs considérés jusqu’alors comme sans risque et ouvrent de nouvelles questions monétaires (comme l’illustre l’engouement autour des cryptomonnaies). Et si, dans ce contexte, les métaux au cœur de la révolution énergétique, devenaient in fine les nouveaux actifs de réserve?

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