US-Europe – Climat des affaires et balance des risques

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Il n’est pas démontré que les pays développés avec les restrictions les plus strictes «maîtrisent» mieux la pandémie, mais leur économie est plus faible.

©Keystone

Restrictions sanitaires oblige, le climat des affaires dans les services s’est dégradé en zone euro et au Royaume-Uni au début 2021. L’industrie, tirée par la reprise du commerce mondial, est peu affectée ou continue de se renforcer. Aux Etats-Unis, où les restrictions sont moins centralisées qu’en Europe, le moral des entreprises s’améliore, sans doute aussi en anticipation d’une politique budgétaire stimulante. A ce jour, il n’est pas démontré que les pays développés imposant les restrictions les plus strictes «maîtrisent» mieux la pandémie, mais il est établi qu’ils ont une économie plus faible. C’est l’option qui prédomine hélas en Europe. 

Risques baissiers d’abord, haussiers ensuite 

La chaîne causale de l’épidémie vers l’économie est simple: hausse des infections/décès, durcissement des restrictions, baisse de la mobilité, baisse de l’activité. Voilà pour la phase baissière. 

Quand les indicateurs sanitaires s’améliorent, la séquence s’inverse: baisse des infections/décès, allègement des restrictions, hausse de la mobilité, (fort) rebond de l’activité. L’Europe est actuellement revenue dans la première boucle et les perspectives de court terme sont donc très dépendantes de l’évolution de la situation sanitaire et de la réaction tâtonnante des gouvernements. 

Le terme anxiogène de «confinement» recouvre des réalités diverses.

Dans ce schéma général, il faut apporter quelques nuances. Premièrement, la palette des mesures restrictives s’est élargie par rapport au printemps. Leur application est un peu mieux différenciée selon les secteurs, parfois selon les régions, afin de réduire le plus possible les pertes d’activité. A la différence du printemps 2020 où la majorité des pays développés avaient restreint simultanément les conditions de mobilité, il y a désormais des écarts entre pays reflétant l’évolution différenciée de l’épidémie (tableau). Le terme anxiogène de «confinement» recouvre des réalités diverses. Ainsi, en France, le deuxième confinement en novembre n’avait pas grand-chose à voir avec celui des mois de mars-avril-mai. Les écoles étaient restées ouvertes, contribuant à réduire la perte d’activité. Au total, le choc du deuxième confinement a été quatre fois moindre que le premier, et concentré sur un plus petit nombre de secteurs. 

Deuxièmement, au fil du temps, les entreprises ont ajusté leur mode de production (travail à distance, protocoles sanitaires renforcés), et les ménages leur mode de consommation. Par conséquent, les indicateurs de mobilité fournissent de moins bonnes approximations du niveau d’activité que ce n’était le cas au printemps. Ces indices ont l’avantage d’être disponibles presque en temps réel mais ils ne sont pas sans défaut. Dans les périodes traditionnellement plus calmes, spécialement la fin d’année, ces indices donnent une image trompeuse des conditions économiques. A la différence des statistiques usuelles servant à l’analyse du cycle, ces données ne sont en effet pas ajustées des variations saisonnières. De plus, elles ne sont disponibles que sur une durée très courte. Sans point de référence sur plusieurs cycles, il est impossible de dire dans quelle proportion le repli récent de la mobilité résulte des restrictions ou d’un phénomène saisonnier. Ces informations doivent donc être considérées avec prudence (voir le graphique ci-dessous). Ces remarques faites, il apparaît que parmi les grands pays développés, c’est le Royaume-Uni qui depuis le printemps est le plus éloigné d’une situation «normale». En France, la chute de la mobilité avait été plus forte qu’ailleurs en mars, mais elle a été ensuite plus vite surmontée. 

Troisièmement, même si à ce jour les campagnes de vaccination connaissent des démarrages lents à cause de problèmes d’approvisionnement, elles constituent une réponse permanente à la crise sanitaire. Cela autorise à se projeter au-delà des désagréments présents. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, deux pays où par le passé la gestion de la pandémie par le gouvernement a été vivement critiquée, les campagnes affichent une très nette avance sur l’Europe continentale (voir le graphique ci-dessous). 

Au bout du compte, même en Europe où les restrictions sont les plus strictes, le climat des affaires résiste mieux aux restrictions sanitaires qu’il y a quelque mois. La confiance du secteur manufacturier n’est presque pas affectée car l’activité industrielle profite de la reprise des échanges de marchandises et du restockage. Sans surprise, la faiblesse est concentrée dans les services (voir le graphique ci-dessous). La zone euro affiche en janvier un indice PMI-composite à 47,5 points, vs 13,6 en avril et 50 en octobre. Le Royaume-Uni apparaît plus touché, avec un indice PMI-composite en recul de près de 10 points, à 40,6 points (avril: 13,8, octobre 52,1). Aux Etats-Unis, même dans les services, l’indice de confiance est réinstallé depuis six mois en zone d’expansion. 

En résumé, quelle est la balance des risques économiques de ces quatre grands pays? 

  • Etats-Unis – A court terme, les risques sur l’activité paraissent mieux équilibrés qu’en Europe. D’un côté l’évolution de la pandémie reste très préoccupante, mais de l’autre le policy-mix s’annonce encore plus stimulant à court terme, en particulier au plan budgétaire. A plus long terme, la montée en puissance de la campagne de vaccination a de quoi permettre un net rattrapage de l’activité et de l’emploi, en lien avec la réouverture plus large des écoles et des secteurs actuellement sous pression (restauration, voyages…). Divers officiels de la Fed s’attendent à ce que les données économiques surprennent à la hausse au second semestre mais, par avance, ils n’en font pas un prétexte à un resserrement précoce de la politique monétaire. 
Ce qui est perdu à court terme peut être rattrapé assez vite
une fois que les restrictions sanitaires peuvent être allégées.
  • Allemagne – La première économie européenne bénéficie du redressement rapide du secteur industriel et des échanges mondiaux de marchandises. En contrepoint, les mesures de restriction sanitaires sont sévères et ont été étendues plusieurs fois ces dernières semaines. Après une quasi-stagnation de l’économie au T4, il y a un risque évident de contraction de l’activité en janvier, voire février, ce qui serait difficile à rattraper sur le seul mois de mars. Si le PIB réel baisse au T1, alors, par un effet d’acquis, la moyenne de croissance 2021 s’en trouvera automatiquement réduite. La semaine passée, le gouvernement allemand a revu ses prévisions de croissance de +4,4% à +3%. Ce genre de révisions ne nous dit à peu près rien sur les conditions d’activité prévues au S2 2021. 
  • France – Les experts médicaux conseillant le gouvernement réclament à cor et à cris un troisième confinement. Depuis deux ou trois semaines, la presse annonce des annonces imminentes en ce sens, sans qu’on puisse dire dans quelle mesure ces rumeurs sont instrumentalisées pour sidérer l’opinion publique et la mettre devant le fait accompli. L’arbitrage santé-économie est présent dans toutes les têtes (quel gain en vies humaines vs quel coût économique s’il y un troisième confinement?), mais il est généralement jugé mal séant de poser la question en des termes aussi abrupts. A la différence de l’Allemagne, l’économie française a enregistré une baisse du PIB au T4 (pertes sur le mois de novembre), mais aborde le T1 avec un acquis positif (fort rebond de la consommation en décembre). Si d’autres restrictions sont mises en place, les révisions seront là encore bien entendu baissières. Quoi qu’il en soit, il est notable qu’après les deux confinements de 2020, le sursaut de l’économie française a surpris à la hausse. Ce qui est perdu à court terme peut être rattrapé assez vite une fois que les restrictions sanitaires peuvent être allégées. 
  • Royaume-Uni – La situation y est très incertaine. D’abord sur le front de l’épidémie: le point positif tient au déploiement plus rapide qu’ailleurs des vaccins mais le point négatif tient au variant dit anglais, que les experts jugent plus contagieux que le virus de départ. Ensuite, sur le front économique: en plus des risques baissiers déjà cités à propos des autres pays, s’ajoutent dans le cas du Royaume-Uni deux facteurs négatifs: le contrecoup du restockage pré-Brexit et l’incertitude commerciale que la signature in extremis d’un accord de libre-échange avec l’UE n’a pas fait disparaître.

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