Uranium: les signaux contradictoires de la Mongolie

Jean-Jacques Handali, Cosmopolis Conseil

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Un pas en avant, deux pas en arrière: telle semble être la politique, pour le moins ambiguë, des autorités mongoles en matière d’ouverture aux investisseurs étrangers.

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D’un côté, Paris, expulsé du Niger, cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement en uranium; de l’autre, Oulan-Bator travaille à desserrer l’étau sino-russe en misant sur une diplomatie du «troisième voisin». Les astres semblaient donc alignés pour l’arrivée d’Orano en Mongolie, avant que les autorités du pays ne sortent de leur chapeau un projet de loi sapant la confiance des investisseurs – pour mieux le remiser en ce début d’année.

Un pas en avant, deux pas en arrière: telle semble être la politique, pour le moins ambigüe, des autorités mongoles en matière d’ouverture aux investisseurs étrangers. Enclavée entre les deux géants asiatiques que sont la Russie et la Chine, dépourvue d’accès direct à la mer, la Mongolie a longtemps été ballotée entre ses alliances avec la République populaire et l’URSS, incontournables points de transit pour ses échanges commerciaux. Une double – et inconfortable – dépendance dont Oulan-Bator tente, depuis les années 1990, de se libérer, en déployant une diplomatie théorisée par une stratégie de diversification, dite du «troisième voisin».

Ce «troisième voisin» est pluriel! Ce sont les Etats-Unis et l’Europe, mais aussi le Japon, la Corée du Sud, l’Inde... En somme, tous les pays dont l’appui, l’amitié et la puissance permettent de desserrer, un tant soit peu, le corset – géographique certes, mais aussi et surtout économique et géopolitique – sino-russe. Une gageure, car la Mongolie dépend largement du bon vouloir de Moscou pour ses importations d’énergie et de celui de Pékin pour l’exportation de ses matières premières. C’est donc à un véritable numéro d’équilibrisme géostratégique que la diplomatie mongole se livre, tâchant de s’attirer les bonnes grâces de nouveaux partenaires commerciaux sans s’aliéner, au passage, ses puissants voisins.

Après le Kazakhstan et l’Australie, qui fournissent déjà près de la moitié de ses livraisons, c’est donc vers la Mongolie que la France s’est tournée afin de minimiser l’impact de l’arrêt des importations d’uranium africain.

De nombreux «troisièmes voisins»

Mi-janvier, on apprenait ainsi que la Mongolie serait sur le point de finaliser un accord avec l’Inde dans le domaine de l’exploration minière: les importants gisements mongols de cuivre et de charbon représentent en effet des ressources essentielles pour les secteurs indiens de l’énergie, de la construction ou encore de la sidérurgie. Au même moment, la Mongolie et le Vietnam annonçaient leur volonté d’élargir leur coopération bilatérale dans le domaine des nouvelles technologies et, singulièrement, de l’intelligence artificielle (IA). Toujours en ce début d’année 2025, les diplomaties mongoles et américaines mettaient en scène leurs bonnes relations, l’armée de l’Oncle Sam faisant don de 2000 oxymètres de pouls pour aider les autorités sanitaires mongoles à lutter contre un regain épidémique de grippe.

Il y a quelques jours encore, c’est le groupe australien TMK Energy qui se félicitait d’une accélération de ses activités gazières en Mongolie. Et, en septembre dernier, un sommet Mongolie-Japon a permis aux deux nations de réaffirmer leur proximité, les deux pays, autrefois ennemis, se considérant désormais comme des «partenaires stratégiques spéciaux» dans les domaines politique et économique. Bien évidemment, cet hyper-activisme diplomatique cible aussi la lointaine Europe. Et la France, dont l’actuel chef de l’État a effectué, en mai 2023, la première visite officielle jamais faite par un président français. Un déplacement qui ne devait rien au hasard: la Mongolie apparaît en effet, pour l’industrie nucléaire tricolore, comme un atout indispensable dans sa stratégie de diversification des approvisionnements en uranium.

Les signaux contradictoires envoyés par Oulan-Bator

Dont acte: le 27 décembre dernier, le groupe français Orano (ex-Areva), acteur majeur de l’énergie nucléaire, s’est distingué en signant un nouvel accord de coopération avec la Mongolie. Pour faire fonctionner son parc de centrales nucléaires, la France a en effet besoin de 8000 à 9000 tonnes d’uranium naturel par an. D’un montant de 1,6 milliard d’euros, cet accord vise à assurer l’approvisionnement de ce matériau jusqu’ici assuré à 19% par le Niger. Or, la suspension de la production ainsi que l’expropriation récente des mines par la junte nigérienne encouragent l’Hexagone à trouver de nouveaux partenaires. Après le Kazakhstan et l’Australie, qui fournissent déjà près de la moitié de ses livraisons, c’est donc vers la Mongolie que la France s’est tournée afin de minimiser l’impact de l’arrêt des importations d’uranium africain.

Si cet accord semble répondre aux stratégies de diversification tant française que mongole, encore faudrait-il qu’Oulan-Bator ne s’acharne pas à saper la confiance des investisseurs étrangers – une confiance déjà toute relative en raison des risques inhérents à la situation géographique de la Mongolie. Comme pour miner davantage le climat des affaires, Oulan-Bator a proposé au début de l’année 2024 un texte de loi qui autorise, dans le but de financer un fonds souverain, l’expropriation partielle d’actifs miniers détenus par des entités étrangères. Hélas, certains dirigeants ne semblent pas avoir saisi que l’environnement législatif n’a pas vocation à pénaliser l’investisseur, mais à lui garantir des règles du jeu loyales et équitables.

Un revirement de dernière minute

Nul n’est cependant, et pas davantage à Oulan-Bator qu’à Paris, à l’abri d’un éclair de lucidité. Voici quelques jours maintenant, le gouvernement mongol et Orano sont parvenus à un nouvel accord en vertu duquel les autorités mongoles renonceraient au principe de l’expropriation pour lui préférer une combinaison d’actions préférentielles et de redevances dont le total s’élèverait à 19% des revenus d’Orano. Une volte-face bienvenue, qui acte – mieux vaut tard que jamais – que l’approche de l’expropriation et de la nationalisation n’était, de toute évidence, pas la stratégie idoine. Portant sur les projets de mines d’uranium dans la province de Dornogovi, cette inflexion de l’approche mongole des investissements étrangers sera-t-elle généralisée à l’ensemble des projets miniers dans le pays? C’est à souhaiter.

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