Une nouvelle traversée du Rubicon

Agnès Belaisch, Barings

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Financer la dette de la crise: comment l'Europe s'attaquera-t-elle au plus grand défi de l'année?

L’année 2021 sera significative pour l'Europe pour plusieurs raisons. La campagne globale de vaccination en est bien sûr la principale raison, mais d’autres enjeux majeurs vont avoir un impact à long terme. Notamment celui de savoir comment les gouvernements vont gérer la facture de la pandémie. Globalement, les politiques budgétaires, très généreuses, ont apporté un soutien financier aux ménages et aux entreprises pour qu'ils puissent survivre jusqu’à la fin de la crise. Près d’un tiers du produit annuel a ainsi été consacré à cet effort: les mesures fiscales se montent en effet à quelque 32% du PIB de la zone euro. 

Faut-il payer la facture de la pandémie et, si oui, quand? 

La clause de dérogation à la limite de 3% du PIB annuel fixée par l'UE pour le déficit public expire à la fin de 2021. Une décision doit donc être prise vers la mi-2021 pour que les budgets de l’année suivante puissent être élaborés en conséquence. Certains aimeraient à tout prix éviter que l'austérité ne redevienne un sujet de conversation. Dans un contexte de taux d'intérêt bas, voire négatifs, l’encours de la dette pourrait être reconduit chaque année, se transformant en une sorte d’obligation perpétuelle. D'autres considèrent que la règle des 3% est une condition nécessaire à la croissance et à la stabilité économique. Une nouvelle traversée de Rubicon est donc au programme cette année. 

En Europe, la possibilité d’emprunter à taux d'intérêt négatifs facilite
le financement de la dette d’autant plus que la croissance va bientôt s’accélérer. 

L’argument en faveur du changement de paradigme a le vent en poupe. Bon nombre d’éminents anciens hauts fonctionnaires et conseillers politiques américains, dont un prix Nobel, recommandent au nouveau président de mettre en œuvre un grand programme de dépenses, malgré un déficit public déjà élevé.1 Pour eux, avec un choc comme celui de la pandémie, un déficit budgétaire est expansionniste: chaque dollar dépensé dans des investissements productifs, tels que les infrastructures et la R&D devrait rapporter davantage qu’un dollar de PIB. En d'autres termes, avec des taux d’intérêt bas, les dépenses se paieront d’elles-mêmes. Le niveau de dette n’a pas d’importance et les cibles budgétaires devraient être abolies.2 

Le fonds de relance se prépare à débourser des centaines de milliards d'euros pour investir dans les technologies numériques et vertes qui permettront d'augmenter la croissance tendancielle. De plus, il n’y aucune pression à la hausse des taux d’intérêt. L'inflation sous-jacente est à son plus bas niveau et la Banque Centrale Européenne est plus éloignée de son objectif qu'elle ne l'a jamais été. Lorsque la reprise viendra, l'inflation pourrait retrouver son niveau d’avant la pandémie, qui était déjà faible autour de 1%, et bien en dessous de l'objectif de 2%. En fait, la BCE devra elle-même réfléchir à comment stimuler cette inflation. Elle mettra toute sa confiance dans les gouvernements nationaux alors qu’ils déploient leur fonds de relance pour que ceux-ci déclenchent une croissance suffisante et un peu plus d’inflation. Elle n’aura aucune raison de relever son taux directeur.

Même si la dépense est facilement finançable, il est impossible
d'imaginer que l'Europe décide de se passer de discipline budgétaire. 

En l’absence d’un budget commun permanent qui permettrait de soutenir une convergence économique nécessaire au fonctionnement d’une monnaie unique, les cibles budgétaires sont perçues comme un outil qui assure une certaine harmonisation entre pays membres de la zone euro. Cependant, réactiver la limite de 3% de déficit dès l'année prochaine est non seulement irréaliste mais aussi dangereux. Un ajustement aussi brutal à travers une hausse d’impôts risquerait de replonger l’Europe dans la récession. Quant à la limite de 60% du PIB pour la dette, elle n'est plus pertinente depuis longtemps. Alors quel ancrage budgétaire l’Europe va-t-elle choisir? 

Il est probable que la réponse prenne du temps à se dessiner. 

L’argument proposé outre-Atlantique d’imposer une limite maximale au PIB alloué au service annuel de la dette devrait vraiment être pris en considération. D’autres options restent à inventer. L’investissement public dans l'éducation et la recherche pourrait être retiré du concept de déficit. Une limite pourrait être imposée au besoin de financement net annuel relative au PIB. Cette approche a déjà été utilisée comme mesure de viabilité de la dette lors de la crise Grecque. Le pour et le contre de chaque option seront pesés. Entre temps, il est probable que la grande question de 2021 sera de donner aux gouvernements une période de transition suffisamment longue pour équilibrer leurs comptes. Et quand César traversa le Rubicon, la guerre restait encore à gagner. 

1 «Fiscal policy advice for Joe Biden and Congress», J. Furman, L. Summers, B. Bernanke, et K. Rogoff, Brookings Institute, 1 December 2020.
2 «Fiscal Resiliency in a Deeply Uncertain World: The Role of Semi-autonomous Discretion», P. Orszag, R. Rubin, and J. Stiglitz, Peterson Institute for International Economics, Janvier 2021.

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