Une Grande-Bretagne tranquille ou super?

Chris Iggo, AXA IM

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Les sondages indiquent que le paysage politique du Royaume-Uni va bientôt connaître un changement de générations.

Les marchés ne disposent pas de beaucoup de points de repères quant à la future politique économique du parti travailliste, mais ils sont probablement enclins à penser que compte tenu du chaos politique qui a régné ces dernières années, un changement serait le bienvenu. Cela pourrait profiter au marché boursier britannique. Il est bon marché et ses actions sont en partie mal appréciées. Néanmoins, les analystes sont confiants que la croissance des bénéfices et les baisses de taux d’intérêt contribueront à améliorer le sentiment. Les actions sont bon marché, de même que la livre sterling, et le Royaume-Uni ne représente qu’une petite partie de l’actionnariat mondial. Boris Johnson et Liz Truss sont partis, le Brexit a atteint «l’apogée» de ses répercussions et les priorités politiques s’éloigneront des frêles embarcations sur la Manche, et du Rwanda, pour se tourner vers la politique climatique et énergétique, l’investissement et des échanges commerciaux plus souples avec l’Europe. Le changement devrait faire du bien.

Renouveau

La situation actuelle est très différente de celle de 1997. À l’époque, c’est-à-dire la dernière fois que les travaillistes remportaient les élections législatives au Royaume-Uni, il n’y avait pas encore eu de guerre du Golfe ni de crise financière. Le groupe Oasis était encore au top. Les médias sociaux n’existaient pas (pensez-y un instant!) et la navigation sur le web devait se faire par le biais de portails comme America Online (plus tard AOL) ou Netscape… Entre les deux époques, il existe toutefois un point commun énorme sur la scène politique britannique : la demande pressante de changement. En 1997, le gouvernement conservateur était au pouvoir depuis 18 ans. Aujourd’hui, cela fait 14 ans que les conservateurs sont aux commandes du Royaume-Uni. Or, la démocratie ouvre la voie au changement lorsque l’électorat en a assez du gouvernement en place. ‘Laissez donc quelqu’un d’autre mettre la pagaille’ semble être la devise dans l’air du temps. Les sondages indiquent qu’un changement massif sortira des urnes à l’occasion du vote du 4 juillet. Selon un récent sondage YouGov, les travaillistes obtiendraient 46% des voix et les conservateurs seulement 21%, ce qui à la Chambre des Communes se traduirait par une majorité de 194 sièges pour le parti travailliste de Sir Keir Starmer. Il s’agirait là d’une victoire d’une ampleur historique qui modifierait le paysage politique du Royaume-Uni pour toute une génération.

Une spirale fatale

Au cours de l’année écoulée, la part de sondage en faveur des travaillistes oscillait entre 40 et 50%, celle des conservateurs entre 20 et 30%. Les sondages peuvent être trompeurs, mais il serait extrêmement étonnant qu’ils soient inexacts au point que le résultat des élections constitue une surprise totale. Pour les conservateurs, l’entrée en campagne de Nigel Farage en tant que leader du mouvement Reform UK est une mauvaise nouvelle de plus. Il est peu probable que le parti réformiste remporte des sièges au-delà de ceux qu’occupent actuellement les partisans de Farage, mais il pourrait prendre des voix aux conservateurs, certains de leurs électeurs étant frustrés par les réponses apportées aux questions telle que l’immigration. Dans les sièges marginaux détenus par les conservateurs, cela pourrait avoir un impact suffisant pour donner la victoire au parti travailliste ou à l’un des autres partis en lice. Il n’est pas inconcevable que le parti conservateur se retrouve avec un nombre de sièges historiquement bas et en proie à une fracture existentielle entre les conservateurs traditionnels de «One Nation» et ceux attirés par le populisme affiché dans l’agenda réformiste de Farage.

Pas de chocs budgétaires

L’hypothèse d’un nouveau gouvernement travailliste est donc probable. Ce que l’on peut en attendre sur le plan politique n’est toutefois pas clair. Lors du débat télévisé avec Rishi Sunak, le 4 juin, Keir Starmer a exclu toute augmentation de l’impôt sur le revenu et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Il y a également défendu l’idée que toute dépense au bénéfice des services publics ou d’un investissement devrait être soigneusement évaluée et financée en conséquence. Il est évident qu’il souhaite faire passer le message que son gouvernement travailliste ne se conformera pas au stéréotype classique du «tax-and-spend» (fiscaliser et dépenser). Certaines taxes seront majorées - par exemple celle sur les résidents non domiciliés, il y aura par ailleurs des taxes supplémentaires sur les compagnies pétrolières et gazières, et les exonérations de TVA pour les écoles privées seront supprimées - mais ce n’est que du menu fretin par rapport à la situation budgétaire dans son ensemble. Les travaillistes n’hésitent pas à évoquer le bilan financier des conservateurs : une augmentation de la charge fiscale globale et le désastreux mini-budget de septembre 2022. La stratégie consiste à faire la part des choses entre la promesse d’une nouvelle stabilité budgétaire et le bilan du gouvernement conservateur de ces dernières années.

Pour les perspectives concernant les taux d’intérêt au Royaume-Uni, les mesures prises par la Banque d’Angleterre (BoE) sont plus déterminantes que les élections. Cependant, si l’on porte le regard plus avant, on constate que tout nouveau gouvernement devra commencer à s’attaquer à la faiblesse budgétaire de longue durée qui résulte de l’accroissement constant des besoins de financement des services nationaux de santé, d’une évolution démographique médiocre et du nombre croissant de bénéficiaires d’allocations de maladie et d’invalidité. Avant le 4 juillet, vous n’entendrez toutefois guère parler de ces sujets épineux.

Un attrayant ennui

Je pense en outre que le regard que portent les investisseurs sur le Royaume-Uni est probablement plus indulgent et davantage basé sur le sentiment. Les élections devraient mettre un terme au chaos politique de ces dernières années. Un nouveau gouvernement n’est pas une garantie de stabilité, mais Keir Starmer dégage une certaine impression d’ennui - ce qui après tout, n’est peut-être pas une mauvaise chose, surtout si l’on se rappelle à quoi ressemblait le Labour en 2020, lorsque Jeremy Corbyn dirigeait un parti beaucoup plus à gauche. L’ennui peut être positif s’il est synonyme de stabilité politique et d’engagement d’une nouvelle politique qui ne serait pas nourrie par le populisme. Les entreprises préféreront évoluer dans un tel environnement.

Une meilleure visibilité pour le monde des affaires

Les domaines où il serait utile que l’on y voie plus clair sont le climat, l’énergie et la politique à l’égard de l’Europe. Dans des domaines tels que la construction de logements, les transports et la production d’énergie, une stratégie «zéro net» pourrait être le catalyseur d’investissements verts plus importants de la part des entreprises britanniques. À terme, la soutien apporté aux énergies renouvelables devrait conduire à une plus grande sécurité énergétique et à une baisse des coûts. Si certaines des clauses régissant la relation avec l’Union européenne (UE) pouvaient être renégociées, ce serait une bonne nouvelle pour les petites et moyennes entreprises qui, ces dernières années, ont été aux prises avec une bureaucratie de plus en plus tatillonne. Si les travaillistes parviennent à mieux gérer l’immigration, cela pourrait être bénéfique à la fois en termes de main-d’œuvre disponible et d’atténuation de la pression sur le logement, la santé et le système éducatif.

Actions britanniques

De nombreuses questions restent encore en suspens. Pour les actions britanniques, il existe cependant un potentiel d’amélioration dans l’esprit des investisseurs, à condition que s’établisse un environnement politique plus stable. L’indice des actions à moyenne capitalisation, FTSE 250, regroupe l’essentiel des entreprises britanniques axées sur le marché national. Historiquement, cet indice a généré de meilleurs rendements que l’indice FTSE 100 à grande capitalisation (dominé par des sociétés dont les revenus proviennent majoritairement de l’extérieur du Royaume-Uni), avec un rendement total annualisé sur 25 ans de 8,3% contre 4,8%. Bien entendu, la volatilité y a été plus élevée, mais le rendement ajusté au risque s’est avéré attrayant sur la durée. Depuis le Brexit, l’indice a toutefois sous-performé. Au cours des trois dernières années, et plus précisément jusqu’à la fin du mois de mai, l’indice des actions à moyenne capitalisation a produit un rendement total proche de zéro, contre 9,7% pour le FTSE 100.

Bon marché

Ce résultat plus faible signifie que les valorisations ont progressé. L’indice des moyennes capitalisations affiche actuellement un ratio cours/bénéfice prévisionnel à 12 mois de 11,7 fois, c’est-à-dire légèrement inférieur à sa moyenne sur trois ans. La plupart des autres indices boursiers ont vu leurs multiples augmenter au cours de ces dernières années. Sur un plan positif, les analystes ont prévu une forte croissance des bénéfices, le consensus des prévisions sur 12 mois tournant actuellement autour de 20% pour l’indice FTSE 250, contre seulement 5% pour le FTSE 100. Et de fait, cela commence à se refléter dans les performances. Au cours des trois mois précédant la clôture du 4 juin, tous les principaux marchés boursiers britanniques ont progressé d’environ 9% en termes de rendement total. À l’intérieur de l’indice des moyennes capitalisations, les écarts de performances sont également importants, ce qui se prête à une gestion active des actions. Depuis le début de l’année, l’action la plus performante a progressé de 167%, tandis que la moins performante présente un rendement total négatif de -50%. Depuis le début de l’année, le rendement médian de ces actions est de 6,2%.

À l’échelle mondiale, les actions britanniques ne font pas le poids. En septembre 2023, la part de l’indice FTSE All-World revenant au Royaume-Uni n’était que de 4%, contre 61% pour les États-Unis. Il est probable qu’elle soit encore plus faible aujourd’hui, compte tenu de l’énorme augmentation de la capitalisation du marché américain. Or, une réaffectation d’un demi pour cent des fonds d’actions mondiaux vers le Royaume-Uni représenterait plus de 20% de la valeur de totale l’indice FTSE All-Share. Un tel mouvement est sans doute utopique, mais on peut s’imaginer que les conditions soient réunies pour que les investisseurs mondiaux aient une perception plus positive du Royaume-Uni que ça n’a été le cas depuis que le pays a voté en faveur de la sortie de l’Union européenne.

Les choses ne peuvent aller qu’en s’améliorant

Nous nous attendons à ce que la Banque d’Angleterre abaisse bientôt ses taux, probablement en août, puis encore une fois plus tard dans l’année. Le rapport sur l’inflation de mai devrait montrer une baisse importante des taux d’intérêt à travers le monde, et les attentes du marché devraient refléter les signes de plus en plus évidents d’un retournement du cycle des taux mondiaux (avec les abaissements opérés cette semaine par la Banque du Canada et la Banque centrale européenne, et de surcroît une plus grande confiance de voir la Réserve fédérale assouplir sa politique monétaire). Des taux d’intérêt plus bas, un changement de gouvernement et la victoire de l’Angleterre à l’Euro - un été ‘Rule Britannia’ génial nous attend une fois de plus!

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