Un été en Trump l’œil

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Contre Trump et marchés, la Réserve fédérale tente de tenir la barre de l’économie. En son sein même, les opinions sont plus partagées.

Que se passera-t-il quand l’économie américaine entrera en récession? La question n’est pas vraiment d’actualité. Mais la poursuite de la baisse des rendements obligataires au cours de l’été, l’inversion des courbes et les mouvements boursiers de plus en plus erratiques ont bien reflété la nervosité croissante des investisseurs et des acteurs de l’économie. La question ne serait-elle pas plutôt qui le Président Trump pourrait-il blâmer, à part lui-même? Il vient de déclarer la Chine et Jerome Powell ses «ennemis», se demandant lequel était le pire. Le caractère contradictoire des injonctions économiques du Président se révèle un peu plus chaque jour. La politique fiscale menée l’an passé, après avoir provoqué une accélération artificielle de l’activité, s’essouffle pour de bon. Une relance budgétaire en période de plein emploi ne pouvait que provoquer une hausse des taux directeurs de la Fed. Ce faisant, le dollar se renchérissait, le pétrole aussi, une conséquence inévitable mais mal venue pour Washington. L’escalade dans la guerre commerciale n’a fait qu’aggraver ces tensions, alors même que le cycle manufacturier – tiré désormais par la Chine – entrait en récession et que le commerce mondial ralentissait. Le dollar, monnaie-refuge, continue d’attirer des capitaux avides de trouver un peu de rendement. 

Enclencher un cycle de réduction des taux directeurs
revient à admettre que l’économie entre en récession.

Les marchés n’échappent pas à leurs contradictions. Déçus par la baisse de juillet, ils craignent que la Réserve fédérale s’en tienne là. Mais enclencher un cycle de réduction des taux directeurs revient à admettre que l’économie entre en récession. Pas de quoi soutenir la bourse en fait. 

Le patron de la Réserve fédérale est un bouc émissaire commode, et son divorce avec le Président est consommé depuis bien des mois déjà. L’escalade verbale de l’été s’inscrit dans un concert d’invectives, et de décisions à l’emporte-pièce qui font craindre à certains que les tactiques de Donald Trump ne soient en fait des déraillements.

En attendant, face à ces surenchères, la Banque Centrale tente de maintenir la barre de l’économie, sans en détenir tous les leviers. Si la situation reste favorable, c’est essentiellement grâce au dynamisme du marché du travail et à la consommation des ménages. Mais ce sont là des indicateurs retardés. L’investissement des entreprises ralentit, le secteur manufacturier se contracte. Les effets de la baisse des impôts sur les sociétés se sont estompés, les entreprises s’inquiètent des conséquences de la guerre commerciale, alors même que la Chine a montré depuis plus d’un an des signes d’affaiblissement certains, et une réelle difficulté à faire évoluer son modèle économique. L’Allemagne quant à elle, pourrait bien connaître une récession technique, subissant le contrecoup du ralentissement du commerce mondial et du secteur automobile.

La poursuite de la baisse des taux fait débat et soulève
de solides oppositions parmi certains gouverneurs de la Fed.

Face à ces défis, le message de la Réserve fédérale cet été porte sa détermination, comme il révèle ses tiraillements internes.

Détermination à conduire la politique monétaire suivant sa mission statutaire, c’est-à-dire assurer le plein emploi sans pressions inflationnistes. L’économie, toute l’économie, rien que l’économie en somme. Cela implique de tenir à bonne distance la politique comme les marchés. Ne pas les ignorer mais de ne pas se laisser conduire par eux non plus. 

Tiraillements au sein de l’institution, où la poursuite de la baisse des taux directeurs fait débat et soulève de solides oppositions parmi certains gouverneurs de la Réserve fédérale. Replaçons-nous d’abord dans un contexte plus long. Comme l’a rappelé Jerome Powell à Jackson Hole, la période actuelle, qui suit la «grande récession» de 2008, semble annoncer une «nouvelle normalité», celle de l’absence d’inflation et des taux d’intérêt très bas. Jusque dans les années 80, la Banque Centrale a dû penser et affuter les outils de la lutte contre l’inflation, après les années de «stop and go». Puis vint la «grande modération», au cycle de croissance rallongé, mais aux dérives financières qui ont abouti à la «grande récession». Quels sont aujourd’hui les outils dont dispose les autorités monétaires pour agir, afin de prolonger la prospérité tout en évitant ces écueils? 

La décision de juillet apparaît comme une demi-mesure
pour une situation en demi-teinte.

Ces réflexions éclairent les dissensions actuelles parmi les gouverneurs de la Banque Centrale. La Fed en fait-elle trop ou trop peu? La décision de juillet apparaît comme une demi-mesure pour une situation en demi-teinte. Comment justifier une action à la fois préventive et modeste dans un contexte de croissance encore soutenue? Peut-on se fier au message des marchés obligataires? L’inversion persistante de la courbe des rendements annonce-t-elle bien une récession, et le niveau des taux à long terme, annonce-t-il un repli durable de la croissance potentielle?

Je retiens trois arguments d’importance. Premièrement, la Fed craint le ralentissement de l’activité aux Etats-Unis du fait du recul des investissements, qui clôturerait le cycle actuel. Deuxièmement, elle entend préserver le plein emploi, alors que le taux d’activité des personnes recommence enfin à progresser et que les salaires des plus modestes augmentent. Dans cette perspective, la guerre commerciale est un facteur aggravant, sans qu’elle soit «équipée» pour y faire face. L’inflation reste modérée, même si elle n’est plus nulle. Enfin la Réserve fédérale a conscience du poids économique du reste du monde. Les Etats-Unis peuvent-ils résister seuls face au ralentissement – voire même à une récession – en Europe et en Asie? Il y a 20 ans, certainement. Mais les temps ont changé.

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