Tout ce que le dernier rapport du GIEC ne dira jamais

David Czupryna, Candriam

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Nous n’avons pas besoin d’un énième rapport pour savoir que brûler toute forme d’énergie fossile contribue directement au changement climatique. Il faut agir.

Beaucoup ont déjà écrit sur ce que le dernier rapport du Groupe 1 du GIEC – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – nous apprend de nouveau et de déjà bien connu sur l’état du climat et son évolution probable. Mais il y a aussi beaucoup de choses que ce rapport ne dit pas. En voici quatre exemples éloquents. 

1. Ce rapport ne nous dit pas comment réduire les émissions de GES anthropogéniques.

Ce document, de près de 4’000 pages quand même, constitue la contribution du Groupe 1 du GIEC au 6e rapport de synthèse du GIEC qui sera, lui, publié dans un an. Le Groupe 1 concentre ses efforts sur l’étude du climat en vue d’en modéliser de façon la plus précise possible le comportement futur en fonction de différents scénarii d’émissions de gaz à effet de serre (GES). C’est au Groupe 2 que revient la tâche de fournir la synthèse des connaissances actuelles sur les impacts du changement climatique sur les sociétés humaines, les systèmes agricoles et les écosystèmes. Quant au Groupe 3, il lui revient la lourde tâche de présenter les décisions possibles afin de réduire les émissions de GES et les impacts du changement climatique. 

Les rapports du GIEC sont fondés sur l’état de la science au moment de la rédaction.

Cela étant dit, l’absence de solution exhaustive dans ce premier rapport n’enlève rien à l’urgence, à la lecture de ce rapport, d’agir de toutes les manières connues depuis de nombreuses années pour faire baisser les émissions. Nous n’avons pas besoin d’un énième rapport du GIEC pour savoir que brûler toute forme d’énergie fossile contribue directement au changement climatique, que ce soit dans le moteur d’une voiture, dans la chaudière d’un bâtiment ou dans le fourneau d’une aciérie. Il est également acté que les émissions de méthane dues à l’élevage représentent une des plus importantes sources - 14,5%1 - d’émissions de GES. De là à en appeler à des mesures plus ambitieuses en vue d’aligner nos politiques publiques et nos comportements privés avec ces constats, il n’y a qu’un pas, malheureusement difficile à franchir. Mais ces difficultés tiennent moins à l’incertitude concernant les mesures à prendre, et bien plus à l’inertie collective et les incitants court-termistes qui caractérisent l’action publique dans beaucoup de pays.

2. Ce rapport ne nous apprend au fond rien de vraiment nouveau.

Les rapports du GIEC sont fondés sur l’état de la science au moment de la rédaction. A mesure que la compréhension des scientifiques sur le comportement des glaciers, des océans et de l’atmosphère s’affine, les prévisions du GIEC se font plus précises. Les rapports du GIEC fonctionnent en donnant des prévisions toujours associées à une indication de probabilité. On apprend donc dans ce rapport que les scientifiques sont désormais capables de modéliser l’atmosphère avec un maillage de 100 km (25-50 km au niveau régional). Pour comparaison, la taille des «mailles» du modèle utilisé lors du premier rapport de 1990 était de 500 km. Cette meilleure résolution des modèles climatiques, comme c’est le cas pour le capteur d’un appareil photo, permet aux scientifiques de fournir des prévisions plus précises, à une échelle régionale et non plus seulement globale. 

Il serait cependant erroné de conclure de cette amélioration permanente qu’il est préférable d’attendre le prochain rapport, et puis encore le prochain, dans l’optique de baser toute décision sur les données scientifiques les plus précises possibles, voire d’espérer des conclusions inverses à celles connues jusqu’à présent. Ce qui a changé depuis 1990, ce n’est pas la direction du changement climatique, ni son origine anthropique, mais le fait que les scientifiques sont aujourd’hui capables d’étayer ces convictions avec une quantité beaucoup plus importante de données.

3. Ce rapport est peut-être le dernier rapport du GIEC.

Comme évoqué, le premier rapport du GIEC remonte à 1990. Trente et un an et bientôt six rapports plus tard, qu’a-t-on accompli en termes de réduction des GES au niveau global? Depuis 1990 les émissions ont cru 40% tandis que la diplomatie climatique allait de conférence en conférence, sans que ni le protocole de Kyoto, ni l’Accord de Paris ne débouchent sur une baisse des émissions de GES. Et entre chaque rapport du GIEC, le monde politique et économique est suspendu dans l’attente du prochain rapport censé apporter des données décisives de nature à enfin créer l’électrochoc nécessaire à la prise des décisions indispensables en vue de réellement réduire les émissions.

Le GIEC est une instance onusienne visant à proposer une synthèse périodique, rédigée par un groupe de scientifiques reconnus. 

Il s’agit de bien voir que le GIEC n’est pas la source première de la connaissance scientifique sur le climat, mais une instance onusienne visant à proposer une synthèse périodique, rédigée par un groupe de scientifiques reconnus, sur le sujet. Dès lors, on peut se demander si l’absence de GIEC réduirait la somme des connaissances disponibles, ou en tout cas la rendrait plus diffuse et difficilement accessible. C’est sans doute là le grand mérite du GIEC: proposer au travers de ces rapports, au moment de leur rédaction, une vision exhaustive et accessible aux décideurs et à tout un chacun de la somme des connaissances sur le changement climatique. 

4. Ce rapport n’annonce pas «un» scénario catastrophe dans lequel l’eau monte de 50 mètres ou la température à Paris dépasse 50°C.

Pendant longtemps, la montée du niveau des mers a cristallisé une bonne part de l’imaginaire collectif autour du changement climatique. Bien que cette montée soit réelle et mesurée au millimètre près, une mauvaise compréhension des chiffres tend à en réduire la portée. Entre 1901 et 2018 le niveau moyen est monté de 20 cm. Le GIEC prévoit que dans le pire scénario, ce niveau moyen montera d’un mètre d’ici 2100. Il serait cependant erroné de conclure qu’il suffirait entre guillemets de relever toutes les digues d’un mètre pour résoudre le problème. Comme souligné, il s’agit là d’un niveau moyen. Mais tout comme le fait d’avoir un compte en banque avec «en moyenne» un solde de 2’000 euros peut cacher des grandes fluctuations de -10’000 à +12'000 euros par exemple, un niveau moyen ne dit non plus rien sur les fluctuations locales et plus ou moins temporaires telles que des inondations causées par tsunamis et tempêtes. 

Ce que dit ce nouveau rapport avec plus de précision et de certitude que lors des précédents rapports, c’est que dernière une moyenne des températures globales qui a déjà augmenté d’environ 1°C, et qui va vraisemblablement continuer à le faire, se cache une augmentation bien plus significative de la fréquence et de l’intensité de phénomènes météorologiques extrêmes dans certaines régions du monde, dont l’Europe. Par exemple, une vague de chaleur telle que celle qu’a connue la France en 2003 aurait de fortes chances de se produire en moyenne tous les 3-4 ans avec un réchauffement de la température moyenne globale de «seulement» 2 degrés. Avec un même réchauffement, les précipitations sur le pourtour méditerranéen diminueraient d’au moins 20%, rendant certaines régions trop arides pour toute culture.

Bref, c’est la fréquence et l’intensité de phénomènes jusque-là considérés comme extrêmement rares, des «freak events», en plus de l’augmentation irrésistible de la température moyenne, qui risquent avant tout de déstabiliser nos sociétés.

Ce rapport du GIEC représente une somme de connaissances, distillées au fil de 4’000 pages que très peu de gens liront. Comme les précédents, il représente une prouesse intellectuelle, scientifique et humaine, par la collaboration de personnes de disciplines et d’horizons très variés qu’il a nécessité pour sa production. Et pourtant, il ne nous dit rien que nous ne sachions au fond déjà, tout en ne nous disant pas l’essentiel: alors que depuis des décennies les grandes lignes du changement climatique ainsi que les principales solutions sont connues, comment convaincre les récalcitrants, et ils sont nombreux, à passer à l’action. Il n’en dit rien, parce que ce n’est pas son rôle bien sûr. Et pourtant l’urgence est dans l’action, pas dans la lecture de rapports, aussi étayés soient-ils.

 

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