
Il est clair que l’orientation de l’indice S&P 500, référence clé de Wall Street et baromètre mondial de la prise de risque, dépendra des politiques de Donald Trump. Prévoir les rendements boursiers n’est jamais facile. Les analystes anticipent le plus souvent des performances annuelles dans une fourchette de 0 à 10%, avec une concentration des prévisions entre 5 et 10%. Cependant, la distribution observée des rendements annuels depuis 2000 est beaucoup plus uniforme que la distribution en cloche prévue par les analystes. Les variations extrêmes du marché boursier sont bien plus prononcées que ce que l’on imagine habituellement. Le S&P 500 a enregistré des performances supérieures à 25% à cinq reprises au cours des 25 dernières années, tandis qu’il a perdu 15% ou plus à trois occasions. Les prévisions de Wall Street se sont aussi révélées trop pessimistes dans quatre des cinq dernières années. En résumé, les analystes peuvent prédire la direction du marché, mais l’ampleur des variations de prix est souvent sous-estimée.
Entre croissance et risques de retournement
À première vue, les perspectives de bénéfices pour le S&P 500 en 2025 sont prometteuses. Les analystes adoptant une approche top-down projettent une croissance des bénéfices par action (BpA) d’environ 12,3% en moyenne. L’analyste le plus pessimiste anticipe un niveau de profits étale pour l’année prochaine (+0,5%), tandis que le pronostic le plus optimiste indique une croissance des BpA de 19,4%. Ces prévisions permettent d’établir un objectif de prix consensuel de 6’508 pour le S&P 500 d’ici la fin de l’année 2025, bien que l’intervalle des prévisions de prix soit beaucoup plus large que celui des BpA, oscillant de -25% à 19%. Cette disparité découle de l’hypothèse de multiple de valorisation.
Pour 2025, le point de départ des valorisations est l’objet de débats. Le ratio cours/bénéfice du S&P 500 a considérablement augmenté en 2024, atteignant 24,8 fois les bénéfices enregistrés sur les douze derniers mois. Le niveau de valorisation est donc très élevé, et rend plus difficile toute progression supplémentaire du marché. De surcroît, cette survalorisation est concentrée sur une poignée de méga-capitalisations qui représentent désormais environ un tiers de la capitalisation boursière totale. Par exemple, Tesla se négocie à des multiples exorbitants de 150 fois. Cela rappelle la bulle des technologies de l’information et des télécommunications (TMT) de la fin des années 1990, que l’ancien président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, avait qualifiée d’«exubérance irrationnelle»…quatre ans avant que la bulle n’éclate. Les valorisations ne constituent pas nécessairement un indicateur fiable de faiblesse à court terme. Des ratios cours/bénéfice élevés s’accompagnent souvent d’un sentiment haussier qui se retrouve dans les enquêtes menées auprès des investisseurs particuliers, ainsi que dans la position actuelle des investisseurs institutionnels. En d’autres termes, les investisseurs sont disposés à payer un prix élevé pour les actions, en projetant la poursuite du marché haussier.
Il est essentiel de garder à l’esprit que ces multiples élevés peuvent potentiellement amplifier le retournement de marché si un choc défavorable perturbe le cycle économique. De plus, la causalité macroéconomique pourrait fonctionner dans le sens inverse. Un moment «Minsky», soit une chute soudaine des marchés boursiers, est toujours envisageable. Étant donné la taille du marché boursier américain, les investisseurs subiraient des pertes conséquentes, compromettant leur santé financière. Un cycle de désendettement s’ensuivrait, accompagné de ventes forcées d’actifs à prix réduits, créant ainsi les conditions d’une panique de marché auto-réalisatrice.
Le krach boursier des années 2000 est intervenu alors que l’économie américaine était robuste et l’avait précipitée dans une récession, certes de courte durée, mais aux conséquences économiques profondes et durables. La récession «bilancielle» (liée aux pertes financières) a contraint la capacité des institutions financières à accorder des crédits. La crise du crédit qui s’est ensuivie avait engendré son lot de restructurations des entreprises, une vague de défauts de paiement avec des taux de recouvrement très faibles (les ventes forcées dépréciant rapidement la valeur des actifs) et une montée du chômage, malgré la stabilisation rapide de l’activité économique.